Du bel objet

À Knossos en Crète des jeunes gens sautent par dessus un immense taureau. Rien à voir avec la corrida actuelle. Même si tu es en mesure d’imaginer à toute fin, pour l’animal, un sort funeste identique. L’aspect joyeux de la mosaïque, cet instantané capturé par un artiste anonyme, évoque la vie, la joie, la danse, l’harmonie, et n’incite pas à penser la mort. Et si tu te souviens de ton étonnement quand tu comprends que la civilisation minoenne, à cette époque, avait déjà compris la nécessité d’expulser hors de son habitat ses miasmes, ses déchets grâce à un ingénieux système d’égouts qui sillonne toute la ville, ces deux éléments suffisent pour t’inventer une nostalgie, celle d’un temps où l’être humain était encore digne de ce nom. Toujours le fantasme d’un paradis perdu. Ce genre de pensée qui n’a pour fonction que celle de vouloir toujours t’aider à t’enfuir du présent, d’une réalité qui ne te convient pas. Et si tu réfléchis encore un peu, que tu te souviennes des tragédies grecques, des récits d’Homére, de toute cette hémoglobine qui ,en filigrane, y coule à grands flots, le doute, quand à l’idée d’un tel paradis, se dissipe aussitôt. La brutalité d’autrefois est bien semblable à celle d’aujourd’hui. Cependant que tu te complais encore, de temps en temps, à imaginer qu’elle ne se manifeste pas de la même façon. Une brutalité innocente, joyeuse, contre une brutalité consciente, d’une tristesse infinie. La fin justifie désormais plus que jamais les moyens. Est-ce que cette finalité est si différente aujourd’hui ? Probablement pas. Le pouvoir sur autrui, la réussite, la célébrité, le profit, l’intérêt, voici les fins pour une majorité et qui se déclinent sous tant de masques, de comédies, désormais grotesques. Et si jadis tu pensais que ces buts ne relevaient que des préoccupations d’une minorité, aujourd’hui tu sais que même un misérable est en droit de s’en illusionner au même titre qu’un magnat de l’industrie pharmaceutique. S’il ne peut régner sur un empire il le fera depuis son angle de rue par tout moyen possible. Les buts à la con se sont emparés de la plupart des cervelles. Et même toi, tu y auras succombé comme tout à chacun.

L’art naît ensuite tout au bout de ce constat. Et si enfant tu n’étais pas aussi lucide quant à ce que tu viens d’écrire, ton instinct réagissait immédiatement face au beaux objets dont tu n’avais qu’une envie, celle de les détruire. La plupart du temps quand tu relevais un manque, que la colère t’emportait vers les zones les plus obscures de toi. La destruction des objets, pas n’importe lesquels, surtout ceux qui étaient le fruit de sacrifices, de temps passé à économiser pour se les offrir ou les créer, étaient ta cible prioritaire. A quoi donc pensais-tu lorsque tu t’emparas d’un cutter pour l’enfoncer dans une des toiles réalisée par ta mère et qu’elle avait accrochée à l’un des murs de la chambre ? Que voulais-tu anéantir sinon toute la fausseté que tu imaginais alors comme seule responsable de ton malheur enfantin ? Et que savais-tu de l’intention qui l’avait menée à peindre ces chefs d’œuvre familiaux entre quelques heures de ménages, de repassage, le dépeçage d’un lapin, l’engorgement d’une poule, dont tu conserves encore les souvenirs ensanglantés accrochés à l’un des poiriers du jardin. Et ce que tu considérais comme manque, il te fallait au moins une culpabilité à sa mesure, voire la dépassant pour que tu puisses l’oublier, t’en défaire afin d’être responsable, de te procurer ce vertige - cette illusion de contrôle de maîtrise qu’offre en creux une telle responsabilité.

Maintenant tu t’agaces de la même façon à la lecture de certaines phrases assénées par des membres du groupe de l’atelier d’écriture sur la bonne pratique de l’écriture, la relecture, le polissage des textes. Toute cette peine que d’aucuns mettent en avant pour désigner un texte remarquable, bien écrit ou qui tombe bien comme un vêtement. Mais dont le fond est d’une indigence à hurler. Ta colère n’a pas vraiment changée. Elle est toujours aussi intacte. Sauf que tu n’utilises plus de cutter. Tu coupes autrement dans le vif. Tu tournes les talons, tu rejoins le silence.

Pour continuer

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

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technique mixte 70x70 cm

mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

La ramener