Le "petit quelque chose"

Rompu à tous les artifices scénaristiques , il dédaignait désormais de lire des romans. La plupart du temps le premier paragraphe de la première page suffisait pour qu’il sache qu’il lui serait inutile, voire toxique de persévérer dans la lecture. Il ignorait la compassion, l’attendrissement, c’était un ayatollah de la langue, d’un radicalisme exacerbé par ce qu’il considérait comme l’ennemi public numéro 1, la médiocrité distillée par le divertissement, l’ennui produit par les machines à pondre de l’illusion à bas prix. Ses vastes connaissances de l’art du récit, du mensonge, qu’il avait puisée dans les récits oubliés datant de la plus haute antiquité, désormais formaient un obstacle qui ne lui permettait pas de s’adonner sans honte à la consommation des livres de fiction. Il ne voyait plus que les os des ouvrages, leur chair était devenue inconsistante, fade , épicée à outrance de poncifs, de clichés - une sauce indigeste destinée à masquer aux insensés l’indigence terrifiante des péripéties de bas étage qu’on y trouvait de façon répétitive.
Rare était l’exception. Le petit quelque chose qui, lorsqu’il tombait dessus recréait le monde, balayait la morosité, redonnait un peu d’espoir en la journée qui commence. Il ne parcourait les livres que le matin de bonne heure comme on essaie d’entretenir un jardin par temps de canicule.
Il suffisait d’une tournure de phrase, d’un agencement inédit dans l’ordre des mots, bien sur à peine détectable, simple- avec le poids de la définition accompagnant cet adjectif- pour que sa respiration s’accélère, que son cœur se remette à battre, pour que la vie anime encore une fois ses membres, ses mains, ses doigts, et qu’il tourne, non sans un mélange d’inquiétude et d’espoir, la page.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}