Mon ami Paul
Paul Léautaud
Il se réveille avec la chatte sur les genoux et il la prend délicatement dans les mains se lève et la repose sur le siège, le fauteuil Voltaire. L’animal ronronne de gratitude et se recroqueville douillettement pour s’enfoncer à nouveau dans le sommeil . Monsieur Paul remplit alors le poêle de charbon en maugréant : la neige est de retour devant le petit pavillon de banlieue.
Il effectue une toilette sommaire, au lavabo, s’habille de vêtements à peu près propres puis, flanqué de son vieux galure cabossé et de son pardessus beige, il regarde à nouveau la pièce qu’il s’apprête à quitter : un salon chaotique où dorment de multiples animaux, chiens, chats, lapins, et même un perroquet à l’œil mi clos sur le perchoir , puis il referme la porte et rejoint la mairie de Fontenay aux roses, dans l’espoir que le 86 sera bien en service malgré les intempéries nocturnes. Nous sommes en 1908, la voirie qu’on paie de nos impôts ce n’est pas pour des pommes lâche t’il pour se rassurer.
Arrivé dans les locaux du Mercure, il ne salue personne et trotte jusqu’à la petite table du bureau qu’on lui alloue pour rédiger ses chroniques. Ici, il est plus connu sous le pseudonyme de Maurice Boissard.
Au début on lui propose de s’occuper de la chronique "dramatique" mais il tourne tout en dérision et n’a pas son pareil pour relever le moindre défaut de langage, de style, et surtout il avertit de toute absence de style justement si bien que peu à peu les lecteurs se mettent à attendre avec impatience, la nouvelle saillie de Maurice Boissard, qui ne manque pas de leur faire se tenir les côtes ou d’assombrir l’avenir de ses victimes quotidiennes.
Il tient comme cela 45 ans de suite , dans un travail mal payé en rédigeant parallèlement une oeuvre monumentale qui sera connue sous le nom de "journal". Il a déjà obtenu un succès d’estime qui ne dépassera guère les frontières des cercles littéraires, concernant un premier roman, autobiographique comme il se doit " le petit ami" mais ce sera dans les années 50 grâce aux entretiens radiophoniques avec l’écrivain Robert Mallet
Par chance je tombe ce matin sur un podcast de France Culture nous étions en 2019 je ne sais plus le mois. https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/entretiens-paul-leautaud-robert-mallet
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}