Il y a des jours où peindre ou écrire n’est pas un choix. C’est une nécessité. Pas dans le sens où quelqu’un te le demande, mais dans celui où c’est toi qui attends quelque chose de toi-même. Un geste, un signe que tout ça a encore un sens. Que tu n’es pas en train de disparaître avec tout ce qui t’entoure. Ça pourrait sembler simple. Peindre un tableau abstrait. Écrire ce qui te passe par la tête. Comme si faire cela, c’était tenir le chaos à distance.

Mais parfois, ça ne marche pas. Il y a cette sensation d’impuissance. Rome brûle. Le monde brûle. Et toi, tu es là avec ton pinceau, ton carnet ouvert. Ça paraît tellement dérisoire, non ? Peindre des couleurs ou écrire des mots, pendant que tout s’effondre autour. On pourrait croire que ça n’a pas d’importance. Que c’est égoïste, peut-être même puéril. Mais je me dis que c’est tout ce qu’il nous reste. Ce n’est pas un choix. C’est faire avec.

Faire avec ce qui est là. Accepter que tu ne peux pas éteindre l’incendie. Et pourtant, tu continues. C’est comme si chaque coup de pinceau, chaque phrase écrite, c’était un petit acte de résistance. Non pas contre le monde, mais contre cet effondrement qui pourrait t’engloutir. Peindre, écrire, c’est ne pas sombrer. C’est sauver ce qui peut l’être. Même si c’est juste toi, là, aujourd’hui.

J’y pense souvent. Cette idée que les grands buts, ce n’est peut-être pas pour moi. Je ne vais pas changer le monde. Mais est-ce que c’est vraiment important ? Peut-être pas. Ce qui compte, c’est ce petit geste, ce but minuscule : tenir debout. Que ça passe par une toile abstraite ou quelques lignes dans un carnet, peu importe. L’essentiel, c’est de ne pas se laisser consumer.

Et peut-être que dans tout ça, il y a une forme de sérendipité. Ce mot savant qui dit qu’en cherchant quelque chose, on finit souvent par trouver autre chose. Tu te mets à écrire ou à peindre pour une raison, et ce qui émerge te surprend. Ça te prend de court, comme un accident. Mais c’est peut-être exactement ce dont tu avais besoin. Une ligne de couleur qui déborde, une phrase qui surgit de nulle part. Ce n’est jamais ce que tu avais prévu, mais c’est là. C’est vivant.

Van Gogh peignait pour ne pas sombrer, Sylvia Plath écrivait pour tenir le vide à distance. Moi, j’écris pour ne pas disparaître sous le poids de ce qui m’échappe. Je peins parce que parfois, c’est tout ce que je peux faire. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est suffisant. Ça m’empêche de tomber. Le monde brûle peut-être, mais moi je suis encore là. Et c’est déjà quelque chose.

Je me dis que l’imperfection, c’est ça qui fait tenir. Rien n’est parfait, ni les tableaux, ni les mots, ni les jours qu’on traverse. Mais c’est justement dans cet accident, dans cette marge, que quelque chose se passe. Ce matin, je me suis assis avec mon café. J’ai regardé la toile inachevée contre le mur, les pages ouvertes sur la table. Et je me suis dit que c’était assez. Pas grand-chose, mais assez pour continuer. Rome brûle, mais on fait avec.