Ver luisant

Il disparaissait. Il aimait ça. Et il aimait encore plus réapparaître, juste au moment où tout le monde pensait qu’on ne le reverrait jamais.

Au début, c’était amusant. Surtout pour lui. Quand il revenait, il voyait dans leurs yeux un mélange de surprise et de soulagement. Ils pensaient qu’il avait enfin décidé de rester. Mais après quelques fois, ça n’avait plus d’importance. Il se pointait, il repartait. C’était tout.

Linda, elle, avait cessé de poser des questions. Au début, elle demandait : « Où étais-tu ? ». Maintenant, elle disait juste « Ah, te revoilà. » Il s’asseyait à table, elle finissait sa cigarette, le cendrier plein devant elle. Il voyait bien qu’elle n’attendait plus rien.

Un soir, il est revenu. Linda était là, en train de faire la vaisselle. L’eau coulait dans l’évier, elle ne s’est même pas retournée. Il a pris une bière dans le frigo et s’est assis à la table. Le bruit de l’eau. Le bruit du frigo qui ronronne. Un silence tout le reste du temps.

« Tu sais, » dit-elle, en s’essuyant les mains sur un torchon. « T’es comme un foutu ver luisant. Tu brilles un instant, puis tu disparais. Comme si c’était un jeu. »

Il a haussé les épaules. « Peut-être que c’en est un. »

Elle s’est assise en face de lui, les bras croisés. « Tu penses que t’es le seul à disparaître ? Je connais d’autres gars comme toi, qui se tirent dès que ça chauffe. »

Il a bu une gorgée de bière. Le goût amer dans sa bouche.

« Tu parles de ces types qui défient tout, hein ? » dit-il. « Ces gars qui pensent qu’ils peuvent changer les choses. Révolte, tout ça. »

Elle le regardait, ses yeux ternes, fatigués.

« Ouais, » répondit-elle. « Et ils finissent tous par faire la même connerie. Ils pensent qu’ils peuvent échapper à tout, mais en fait, ils se foutent juste dans la merde encore plus profondément. »

Il n’a rien dit. Il savait qu’elle avait raison. Il pensait à ces gars qui partaient, qui cherchaient autre chose, un truc qui n’existait peut-être même pas. Mais au fond, il se demandait si c’était vraiment différent de ce qu’il faisait lui-même.

« Pourquoi tu reviens alors ? » demanda-t-elle.

Il a haussé les épaules une nouvelle fois. « Peut-être que c’est tout ce qu’on sait faire. Disparaître et revenir. »

Elle a allumé une autre cigarette. « Ça devient fatiguant. Pour moi aussi, tu sais. »

Ils sont restés assis là un moment, sans parler. Juste le bruit du frigo, le grésillement de la cigarette. Le silence.

« Tu sais quoi ? » a-t-il dit finalement. « T’as raison. Je brille peut-être, mais ça change rien à l’obscurité. »

Linda l’a regardé. Pas un sourire. Rien d’autre qu’un regard las.

« Alors quoi ? » a-t-elle demandé.

Il a regardé autour de lui. La table, la lumière jaune au plafond, la fumée de cigarette qui montait doucement. Rien n’avait changé. Et ça ne changerait jamais.

« Je sais pas, » a-t-il dit en se levant. « Je sais pas. »

Il est sorti. La porte a claqué doucement derrière lui. Linda a regardé la porte, mais n’a pas bougé. Elle a pris une autre bouffée, a écrasé la cigarette dans le cendrier et a continué de fixer la table, comme si elle attendait quelque chose. Mais rien n’arriva.

Carnets | octobre 2024

27 octobre 2024

Ce projet littéraire s’inscrit dans une démarche inspirée par l’atelier écopoétique de François Bon , où la consigne visait à explorer l’interaction entre l’eau et le paysage humain à travers une narration fluide et contemplative. S’inspirant de La traversée de la France à la nage de Pierre Patrolin, le texte cherche à capter des fragments d’un paysage urbain dégradé, traversé par l’ombre d’un fleuve disparu. Par un jeu d’alternance entre les temporalités (présent, futur, futur antérieur), et une attention portée aux détails concrets, l’écriture restitue une ambiance d’abandon et de transformation lente, tout en évitant les clichés littéraires.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | octobre 2024

Rome brûle tout le temps

Rome brûle. Le monde s’effondre autour de nous. Dans ce chaos, la création, qu’elle soit écriture ou peinture, pour le narrateur devient un rempart fragile. Pas pour sauver le monde, mais pour se sauver soi-même. Face à l’impuissance, peindre ou écrire est une manière de faire avec, d’accepter l’incontrôlable tout en continuant à tenir debout.|couper{180}

affects idées Répétition quotidienne

Carnets | octobre 2024

ni

Face à l'absurdité du quotidien, l'accumulation devient une forme de résistance. À travers une série de négations, "Ni" explore les petites frustrations de la vie moderne, les contradictions de nos sociétés, et l’effondrement progressif d’un monde saturé de promesses non tenues. Chaque ni est un rejet, une tentative d’expulser ce qui nous accable, de la tartine qui tombe toujours du mauvais côté aux discours vides des dirigeants. Mais à force de nier, c'est une autre réalité qui se révèle : celle d'un univers où tout semble s'effondrer sous le poids de ses propres absurdités. Ce texte, à la fois drôle et tragique, nous plonge dans un crescendo inexorable, où la répétition devient catharsis.|couper{180}

écriture fragmentaire peintres Répétition quotidienne