Avril 2019
11 avril — Védas et aborigènes
Deux choses reviennent obstinément : les Védas et les peintures aborigènes. Ce sont d’abord des systèmes pour ne pas oublier. Les chants mis en forme deviennent un mode d’emploi du monde. Les toiles aborigènes reprennent toujours les mêmes histoires d’ancêtres qui marchent, se métamorphosent. C’est cette fonction d’aide-mémoire qui me touche : l’idée qu’un dessin, un mot puissent empêcher que tout se défasse trop vite.
13 avril — Le doute
Instiller le doute, c’est une technique de gouvernement au quotidien. On commence par répéter que personne ne sait ce qui est vrai, qu’il y a "des versions". Le sol se met à bouger, la peur remonte. La violence arrive là, comme issue de secours. À force de jouer avec le doute et la peur, les mots de la démocratie se chargent de crasse.
14 avril — Highlander
Je suis Connor MacLeod, je vis depuis quatre siècles et demi : la phrase revient avec la musique de Highlander. Il y a en chacun de nous un désir de lâcher le secret autour duquel on a construit notre petite légende. On le protège à coups de mensonges, comme un dictateur en réduction. Le seul "Prix" accessible : arrêter de jouer les immortels, accepter d’être pris dans le même destin de mortels que les autres.
14 avril — Légende d’artiste
Est-ce vraiment nécessaire de se fabriquer une légende d’artiste ? On ne parle plus de Picasso comme d’un peintre, mais comme d’un personnage. J’ai passé des heures à rédiger ma "bio". Une fois terminé, j’ai relu avec l’impression de tenir un roman arrangé. J’ai fermé le fichier. L’excès d’aveux finit par tuer la suggestion.
15 avril — La porte
L’habitude s’est installée si profondément que même la porte de l’atelier ne compte plus. Ce matin, j’ai pris le temps de sentir le métal froid, le grincement des gonds. Cette porte, je l’ai franchie des centaines de fois sans y penser. Les rares moments où j’arrive à rester avec une poignée, une odeur de térébenthine sont les seuls où quelque chose de neuf se glisse.
21 avril — Cruauté
Il y a d’abord cette cruauté d’enfant qu’on rebaptise "innocence". Un jour, on m’a demandé de devenir poisson après avoir été pêcheur. Se retrouver de l’autre côté de l’hameçon ne s’est pas fait sans casse. La peinture est arrivée là. Sur la toile, tout commence par un chaos, et c’est précisément là que ça m’intéresse. Au bout du compte, il ne reste qu’un dernier adversaire à abattre : soi-même, dans ce qu’on a de pourri.
22 avril — La mort
D’un côté, ce petit bonhomme debout devant la toile, de l’autre, la surface blanche qui attend. Entre les deux, il n’y a pas un "projet", il y a la mort. Tant que tu n’as pas vraiment compris que tu vas crever, tu peux jouer à peindre. Ce qui pousse vraiment, c’est la trouille et l’obsession, la hantise de disparaître sans trace.
24 avril — Étrangeté
Il arrive qu’une chose se présente comme si on la voyait pour la première fois. Une fraction de seconde qui a la densité d’une éternité minuscule. Je ne crois pas beaucoup à "l’originalité" ; le banal n’existe que comme une manière de ne plus voir. L’étrangeté, à ce moment-là, n’est plus un choc mais une présence discrète.
28 avril — Iris
J’aurais pu arracher la fleur, la croquer. À la place, je me suis retrouvé à genoux dans le jardin des moines, l’appareil collé au visage. Pendant un instant, je ne sais plus où se termine la fleur et où je commence. Le diaphragme s’ouvre, 1/60e de seconde. Nous sommes à l’unisson sous la rosée, l’iris et moi.