Comètes
La solitude des comètes qui traversent l’infini. Elles vont et viennent attachées à leurs trajectoires cycliques ; la prochaine sera visible aux environs de juillet-août 2126 en France et a été baptisée 109P/Swift-Tuttle. Les comètes sont constituées de glace, paraît-il. Peut-être que toute l’eau de notre planète provient d’une collision avec l’une de ces voyageuses au long cours qui, un jour, aura décidé de nous heurter pour terminer son voyage en beauté. Il y a de cela quelques mois, j’avais éprouvé une nécessité de géométrie. Je m’étais mis à peindre de façon appliquée de petites formes que j’avais auparavant soigneusement dessinées. Je cherche la relation de ce fait, ce besoin soudain de géométrie qui s’était relié à la civilisation chaldéenne, et notamment à la déesse Ishtar, et cette histoire de comète. Le lien est probablement la structure de l’eau, les formes que peuvent emprunter ses molécules suivant les territoires qu’elles traversent. Je n’allais pas très bien à l’époque où j’ai réalisé cette série de toiles géométriques, et il me semblait qu’elles m’aideraient à me sentir mieux, ne me demandez pas pourquoi ni comment. D’après des études scientifiques, il est possible de structurer les molécules d’eau. Elles peuvent ainsi devenir de magnifiques formes géométriques si on se trouve dans un état de gratitude, un sentiment d’amour, si on met du Mozart ou des chants grégoriens dans leur environnement. À l’inverse, elles deviennent difformes lorsqu’elles sont en présence de la douleur, de la fausseté, de la violence et de la musique métal. Sans doute la nature profonde des comètes se modifie-t-elle également suivant les galaxies qu’elles traversent, les peuples qui les habitent. Du reste, ne sont-elles pas considérées soit comme des signes néfastes, soit comme des signes bénéfiques dans les archives de l’humanité ? Sans doute qu’une observation attentive des situations géopolitiques et de leurs relations avec la structure des molécules d’eau nous permettrait de faire un grand pas vers l’harmonie possible de la planète. Sans doute pourrait-on même commencer par faire attention à ce que l’on pense, éprouve et dit devant un simple verre d’eau dont le contenu rejoindra nos propres cellules et les impactera. On commence tout juste à comprendre une toute petite partie de la réalité constituée d’ondes, de fréquences, de vibrations. Et évidemment, même dans ce domaine nouveau, le risque de complot qui a désormais tout envahi est grand. D’après certaines sources plus ou moins fiables sur Internet, il y aurait même une censure concernant certaines œuvres musicales, car elles auraient le pouvoir d’harmoniser trop bien les humeurs. Notamment un cantique dédié à saint Jean-Baptiste, qui, on s’en souviendra, est connu pour baptiser par l’eau. L’eau est un élément étrange, c’est le seul qui peut passer par trois états différents : liquide, gazeux et solide. Et, tout modernes que nous pensions être, nous n’en savons pas beaucoup à son sujet. Cela devrait forcer notre modestie. Un sage a dit que l’on commençait à devenir sage lorsqu’on découvrait l’étendue de notre propre ignorance, je ne peux qu’être d’accord avec cette réflexion. C’est à partir du constat de cette ignorance que l’on peut vraiment se mettre à étudier, vraiment, et non pas répéter bêtement ce que l’on croit savoir pour l’avoir lu ou entendu ; c’est en l’expérimentant pour soi-même surtout. La seule certitude que je peux avoir, c’est que je ne sais rien. Je crois que cela m’est venu progressivement, comme des voiles qui se déchirent. Alors, bien sûr, je peux parfois paraître un peu bizarre pour un certain nombre de personnes qui, elles, semblent savoir ce qui est vrai et faux, des personnes « normales ». Mais je préfère, de mon côté, rester accroché à mon constat d’ignorance, et ce, aussi bien dans ma vie de tous les jours qu’en peinture, par exemple. Une ignorance fondamentale, si je peux dire. Sitôt que l’on croit savoir quelque chose, une porte se referme dans notre esprit et ça commence à sentir le renfermé. Le mieux que j’ai trouvé, c’est de laisser toutes les portes ouvertes pour aérer continuellement la pièce. Du coup, oui, je crois que les comètes ont un rôle important à jouer dans l’équilibre de l’univers ; je crois qu’il serait bon que je me remette à écouter des chants grégoriens, et à éprouver de la gratitude lorsque j’ouvre le robinet pour boire un simple verre d’eau. Je crois aussi à la possibilité de penser tout le contraire demain et ce n’est pas bien grave. Je ne peux rien commander d’avance, je ne peux qu’autoriser l’instant à être ce qu’il est et m’enlever le plus souvent du chemin, car c’est souvent moi l’obstacle.
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Carnets | octobre 2021
La plaie de vouloir plaire
Ce type était littéralement sanguinolent. Un écorché vif tout à fait conforme à ces moulages de la chapelle de Sansevero réalisés par Giuseppe Salerno, qui soulèvent les tripes. Et tout cela provenait, une fois l’embrouillamini des prétextes, des raisons et des fausses pistes dépassé, de son obsession de vouloir plaire. Même lorsqu’il se trouvait seul, il ne parvenait pas à échapper à cette malédiction logée au plus profond de lui-même. C’était encore pire qu’un sacerdoce. Un truc congénital, une maladie immune sur laquelle la science n’avait dédaigné se pencher, vu l’immense préjudice économique que sa résolution ne manquerait pas d’apporter. Car, dans le fond, cette affection, ainsi que la nomme le corps médical, peut se développer en tout un chacun sans prévenir et prendre des formes bénignes, généralement sans véritable gravité. Mais chez ce type elle était parvenue au dernier stade d’un cancer, par pure négligence, ou plutôt par cette étrange volonté qui oblige les autruches, en cas de peur soudaine, à se plonger la tête dans le sable. C’est donc ainsi qu’il se présenta devant moi, un jeudi, lorsque je donnais encore des cours ce jour-là, lorsque mon affaire était encore florissante et que l’on venait de tous les environs et même d’un peu plus loin pour profiter de mon enseignement du dessin et de la peinture. La crise ayant déjà fait des ravages, j’avais remisé mes prétentions, baissé les prix et ouvert mes portes au tout-venant. C’en était terminé des patientes sélections que j’effectuais afin de choisir parmi la cohorte des quidams de tout acabit qui affluait qui, parmi eux, mériteraient de s’asseoir dans mon atelier avec pour seul objectif qu’ils puissent en tirer du profit. J’éliminais les touristes, les prétentieux, les vaniteux, les fâcheux, parmi lesquels un grand nombre de ménagères entre 50 et 65 ans qui espéraient venir ici trouver non point un véritable enseignement artistique, mais un moment de détente, quelque chose d’amusant susceptible de tromper leur ennui, tentant de masquer plus ou moins convenablement leur vide qu’elles ne cherchaient qu’à combler d’un tas d’objets hétéroclites. Il y avait aussi quelques bonshommes perdus, cherchant vaguement à s’exprimer tout en étant poussés par le dégoût de s’inscrire sur des sites de rencontres en ligne, fatigués de la masturbation, la cervelle embrumée par leur mémoire adolescente à laquelle, vainement, dans la débine généralisée du monde, ils tentaient encore de s’accrocher. Je prenais un plaisir non dissimulé à foutre tout ce petit monde dehors, à leur dire : non, ce ne sera pas pour vous, désolé, ici c’est uniquement pour apprendre le dessin et la peinture, vous savez, vous risqueriez de vous ennuyer, c’est pour votre bien que je vous dis non, bonne journée ! Et le pire c’est que plus je refusais de monde, plus il se pressait à ma porte. Bref, les temps avaient donc changé et j’avais dû mettre de l’eau dans mon vin, et comme ce blasphème ne suffisait encore pas, j’avais réduit le montant de mes émoluments, j’étais au bord de proposer des cartes-cadeaux d’abonnement. C’est pour dire le marasme où nous nous étions progressivement enfoncés sans même nous en rendre compte. Du coup, veuillez excuser la digression, j’avais oublié ce pauvre type devant la porte. Bonjour, c’est pour quoi ? je demande. C’est pour apprendre la peinture. Très bien, et dans quel but ? Parce que je suis tout seul depuis je ne sais plus combien de temps et que je voudrais bien faire quelque chose de mes dix doigts qui puisse plaire au monde. Ce qui me permettrait, je l’imagine, d’exister, de ne plus être cet ectoplasme que je ne cesse d’apercevoir dans toutes les vitrines de la ville. On ne fait pas de peinture ici pour plaire, je réponds. Vous vous êtes gourré d’adresse, mon petit bonhomme. Il se mit à faire une drôle de moue, comme dans les films de science-fiction où l’on voit soudain un homme normal, ou une femme, se transformer en bestiole intergalactique avec des tentacules et des antennes qui lui sortent de partout. J’ai juste eu le temps de lui claquer la porte au nez en gueulant : merde, mon vieux, allez donc vous faire soigner avant qu’il ne m’explose au visage. Derrière la porte, qui n’était pas encore blindée avec six points de sécurité à cette époque, je pus encore l’entendre geindre : s’il vous plaît, je ne sais pas quoi faire pour vous plaire, aidez-moi. Il y eut quelques raclements de ce que j’imaginais être des griffes sur le panneau de bois puis sur le mur extérieur. Enfin tout fut silencieux. J’allumai une clope en revenant vers l’atelier en éprouvant un soulagement immense, le même probablement que peut éprouver un type qui vient de dire merde à son patron. Puis la journée s’étendit comme une immensité, un horizon sans borne devant moi.|couper{180}
Carnets | octobre 2021
L’art refuge, l’art ouverture.
7 milliards et demi d’individus et toutes les difficultés du monde pour accorder la chorale. Alors oui, l’art peut être un refuge pour s’éloigner un instant de la cacophonie générale, mais il peut être aussi, après cela, un diapason pour parfaire sa propre écoute et découvrir, sous l’apparent chaos, une harmonie poignante, souvent insupportable. Car ne vaut-il pas mieux travailler sur ce qui nous appartient vraiment plutôt que sur une vague impression que produit un mot ? Sans doute cette approche s’effectue-t-elle en deux temps pour celui qui veut exprimer la présence. Le refuge, le repli sur soi en quête de justesse en énumérant tous les couacs dans l’espoir de redresser le gouvernail. Le fantasme de parvenir à la note claire, à la justesse, au pur écho. L’exploration des reflets à la surface de l’eau à un point si extrême qu’on ait envie de se confondre en eux. Narcisse plongeant dans sa propre image ou dans l’image d’un monde créé à sa propre image, ce qui revient au même. Se coupant à jamais ainsi de l’autre. Ou bien, au contraire, s’extirper du reflet, regagner la rive et s’y hisser, puis se remettre debout et ouvrir grands les bras pour accueillir l’autre. C’est ainsi, sans doute, qu’après la retraite forcée, dans l’espérance des grâces des refuges, des salvations personnelles, on finit par comprendre l’égarement, ce puits sans fond que propose le refuge, et que l’on désire s’en éloigner. Avec un enthousiasme de chercheur d’or, bien souvent, comme quelqu’un qui aurait enfin été éclairé vers une « bonne direction », vers le profit à tirer d’une quelconque destination lui faisant miroiter encore cette inflation du moi. Il faut bien en passer encore par là avant de trébucher encore et encore, de se tapir sous une pierre, dans une caverne, sous un pont, pour remettre un peu d’ordre dans ses idées, jusqu’à comprendre que ce serait encore mieux si on n’en avait pas, d’idées. Reste le mystère de l’autre, insoluble par cette voie labyrinthique, par ce jeu de l’oie. Si la peinture, si l’art en général, ne permet pas d’être ouvert à l’autre, de lui offrir un lieu et un temps de repos, d’amitié, d’intelligence à partager gratuitement, peut-être alors vaut-il mieux se lancer dans la confection de pâté en croûte, de terrines, de bons plats à partager avec force blagues et autres saillies et billevesées sans importance. C’est cette sorte de magie que j’attends de l’art désormais. Non pas que, par sa fréquentation, je m’élève vers le génie pour imaginer naïvement m’y hisser à mon tour, mais tout le contraire : pour rencontrer des femmes et des hommes les plus « abordables » du monde. Abordables comme des îles en plein milieu des cités, abordables comme des armistices au beau milieu de la guerre. On nous a trop dupés et on s’est dupé tout seul par habitude de penser l’art comme appartenant à ce génie-là, celui de la rareté, de l’habileté et de la performance. Le génie créé par une élite qui ne cesse depuis des lustres de se mirer en celui-ci. On parle d’une nouvelle renaissance désormais, d’une Renaissance « sauvage ». Et sans doute en faudra-t-il un peu de la sauvagerie pour s’extirper du narcissisme afin de rejoindre le monde. D’ailleurs, pas seulement le monde des hommes, mais le monde en tant que terra incognita. Un monde que nul ne connaît encore. Un monde à créer tout simplement par l’art de se dire bonjour, comment vas-tu, de quoi pouvons-nous discuter ensemble sans nous étriper ? Si l’art ne sert pas à cela, à vivre ensemble entre nous, à vivre au monde tranquillement sans le détruire par peur ou par profit, je me demande bien à quoi il peut bien servir…|couper{180}
Carnets | octobre 2021
Nouvelle exposition dans le Haut-Jura
Du 30/10/2021 au 28/11/2021 exposition de peintures au Caveau des artistes à Saint-Claude (office de Tourisme) fermé le dimanche Exposition Patrick Blanchon au caveau des artistes de Saint-Claude, Jura|couper{180}