La vie est un rêve.

— La vie est un rêve me dit Georges. Nous sommes au café et il y a un néon qui clignote plus que les autres dans la petite salle où nous déjeunons. Les autres sont sortis pour aller fumer des cigarettes ou pour téléphoner. Nous sommes seuls lui et moi, il vient de terminer sa gamelle de ragout préparé par son épouse. Et tout à coup il me balance ce truc comme un cheveu dans la soupe.
— Oui si tu veux Georges mais il arrive que ce soit un cauchemar comme maintenant, je réplique.
Il me regarde avec un air de chien battu.
—Pourquoi tu dis ça, on n’est pas bien ici, au chaud, on a du boulot et dehors il fait beau malgré le froid.
Et bien sur je donne raison à Georges immédiatement. Excuse Georges, je me suis emballé, tu as raison la vie est un rêve magnifique vu sous cet angle là. L’angle des pauvres cons, des bouseux, des peine à jouir, le point de vue des trous du cul, des foireux, des lâches, des impuissants. Tout cela intérieurement bien sur. Puis je vais laver ma tasse dans l’évier et je dis je vais aller fumer une clope.
La vie est un rêve... le moindre trou du cul n’a plus que ça au bec depuis qu’ils ont parcouru un livre sur le bouddhisme zen ou vu la vie est belle. De l’autosuggestion à grand coups de marteau piqueur. La méthode Coué par la trépanation en dix leçons.
Non la vie n’est pas belle connard, la vie n’est ni belle ni laide, c’est la vie point barre.
On dirait que le monde est devenu encore plus cinglé que je n’aurais jamais pu l’ imaginer...
Désormais il a quelque chose de foncièrement dégoutant qui suinte de partout, aussitôt qu’on ouvre un magazine, la radio, la télé, voir même un bouquin. C’est cette espèce de consensus que l’on s’efforce de nous planter dans le crâne. La vie est belle, soyons positifs, et surtout attirons vers nous l’abondance en ayant les bonnes pensées. Sans oublier le dernier joujou à la mode, mieux que le canard en plastoque qui vibre dans la baignoire : la loi de l’attraction.
La vie est un rêve Georges, surement pour toi gros flemmard alors que je me tape ton boulot pendant que tu glandes. La vie est un rêve prend une pelle et va faire du ciment dehors par tous les temps, va gâcher du plâtre et ratisser des murs toute une journée à n’en plus finir que t’en titubes dans les transports en commun en ayant la trouille de t’endormir, de rater ta station.
Si même un type comme Georges en arrive à dire des conneries pareilles c’est que vraiment ça va vraiment mal je me dis.
Parce que d’ordinaire ce genre de phrases je l’avais entendu plutôt dans les quartiers chics, chez les bobos, ce genre de personnes toujours impeccables qui ont l’art et la manière de tout bien faire au meilleur moment. Etudes, travail, permis, voiture, mariage, gamins, maison, résidence secondaire et tout le tralala qui va avec. Venant de là c’est assez compréhensible que la vie soit un rêve. Tant qu’il ne voient pas l’ennui qui les obligent à voir les choses ainsi.
Mais que ça arrive aussi bas. Chez Georges. Merde.
C’est dire si la confusion règne désormais sur le monde tout entier.
Cela fait 6 mois que nous bossons ensemble. 6 mois le temps que prend un fœtus pour devenir achevé. Pourquoi alors 3 mois de plus ensuite ? on se le demande bien. Moi par exemple j’ai décidé de sortir plus tôt ça me gonflait surement toute cette attente. Un mois plus tôt. On m’a flanqué en couveuse. Isolé du monde paf. J’ai pas du entendre tout le message qui devait normalement m’être transmis durant les 3 mois après ma formation animale. Les voix du Seigneur ne sont elles pas de toutes façons totalement impénétrables. Le grand retournement dans l’utérus j’ai du le louper comme j’ai à peu près loupé tout l’extraordinaire du rêve en me cantonnant au cauchemar. Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
Sans compter que le cauchemar nous place dans le dur immédiatement. On ne peut guère s’illusionner. Et surtout on ne peut plus croire à toutes ces fariboles contemporaines sur le bonheur, la joie de vivre, l’amour et la fameuse loi de l’attraction.
On sait, et c’est indélébile, au contact du cauchemar, à son contact permanent, vital, que tout ça n’est que de la masturbation provenant de l’ennui, de ne pas savoir s’ils sont males ou femelles, j’en passe et des bien pires.
Ce jour là je n’en pouvais plus de Georges, de ses phases à la con, de ce local et de l’usine en général.
Je suis aller trouver la petite dame de la boite d’intérim et j’ai dit bon s’il vous plait, je ne vous supplie pas mais tout de même, faut me trouver autre chose s’il vous plait vraiment madame , c’est trop loin je m’endors trop souvent dans le RER en rentrant chez moi.
Et le lendemain j’ai trouvé Gaston qui n’était pas meilleur ou pire que Georges, mais ça me changeait, c’était au poil.
Post-scriptum
hautPour continuer
import
Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
import
technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
import
La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}