Lier, délier, entretenir.
Se lier. Lier des relations, passer du temps à les entretenir, être attentif, se rappeler au bon souvenir de, faire un signe, donner des nouvelles, en prendre, penser aux autres, s’intéresser aux autres, aller vers les autres. Autant de termes implantés de longue date dans la cervelle et qui produisent ce bruit de marteau-piqueur. Une cacophonie, une panique de l’ouïe. Je me suis toujours senti incapable d’effectuer ces actions ainsi qu’on me le demande sans cesse depuis ma naissance. Non seulement incapable mais de plus je suis entré en résistance vis à vis de cette chose impérieuse, le contact.
Je ne me sens pas naturellement porté vers le contact. Bien sur au début il a fallu que je me force un peu. Beaucoup. La grégarité, faire comme tout le monde, apprendre les codes, serrer des mains, claquer la bise, tapoter un dos une épaule, passer deux doigts sur une joue, tout cela je l’ai fait. Mais sans vraiment en éprouver un réel plaisir. Cela fit partie des innombrables initiations, le passage obligatoire pour faire partie d’une communauté.
Ensuite on oublie ces résistances car trop content de bénéficier de l’illusion d’être devenu élément d’un groupe.
Tant qu’on ne quitte pas le groupe l’oubli peut être bénéfique. C’est un genre d’hypnose progressive. On s’invente une cordialité, une fraternité, une famille de la même façon que dans les nuages on aperçoit des têtes de chien, ou sur les vieux murs on voit des paysages fantastiques. On veut y croire. Tout n’est que volonté. Jusqu’à la blessure. La blessure nous ramène à l’éveil, à la vraie vie. A la vie du corps, de la matière. On prend un peu de distance avec le virtuel, l’imaginaire, et on affûte ses sens pour mieux voir, mieux entendre, mieux sentir surtout.
On ne veut pas que la blessure se referme, on ne veut pas re sombrer dans l’oubli, dans l’illusion. On se décale. On se délie, on s’éloigne, on se terre, on s’isole, on devient silencieux, on ne donne plus signe.
Et puis on entre encore plus profondément dans l’oubli, dans le monde des pierres, des arbres, des astres morts, dans un travail pour se nourrir, car il faut malgré tout vivre, il faut accepter que vivre est un choix, que vivre n’est ni une bénédiction ni une malédiction. Vivre est un choix de longue date. Rien n’est plus juste que l’expression c’est comme ça. à condition d’en avoir étudié minutieusement chaque terme.
On parvient ainsi à sentir un oiseau se poser sur une branche, une herbe se relever d’un pas qui l’a écrasée, à retrouver dans l’étang le son des sources, et celui des pluies. Un cercle s’est crée, peut-être en est on un des multiples centres, suivant notre appréhension des périphéries.
Se lier se délier n’a plus de raison fausse d’être comme de ne pas être. On prend les choses comme elles viennent, on n’est ni triste ni gai ni de les voir surgir ou repartir. On ne bouscule plus l’équilibre précaire du silence amical qu’on aura mis tant de temps à bien vouloir accueillir.
Pour un peu on dirait bien qu’on est fin prêt soi-même à partir ou repartir
C’est comme autrefois ce vieux solex qui ne démarrait pas, on effectuait de multiples tentatives et on finissait par se fâcher, s’énerver contre la machine, puis on laissait tomber, on allait à pied. Le lendemain on démontait la bougie, on la nettoyait calmement, on la replaçait gentiment et tout à coup le moteur repartait de plus belle. Quel air penaud on avait sous le sourire.
Pour continuer
Carnets | mai 2023
Disparitions
Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}
Carnets | mai 2023
31052023
Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Assemblage
Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}