Il fallait que Cheng trace quatre ou cinq traits à l’encre pour se sentir éveillé. Ensuite, une tasse de thé noir sans sucre.
Dans sa masure, aucun luxe. Cheng n’était pas pauvre. Peintre lettré, ses peintures suffisaient à ses maigres besoins. Il avait dépassé la soixantaine. Il restait modeste. Il attendait encore l’essentiel, sans l’attendre. Il s’en remettait à la discipline : une attention sans faille à de minuscules gestes.
Dès qu’il quittait sa natte, il s’asseyait à la table devant la fenêtre qui donnait sur la vallée. Il fermait les yeux, respirait, trempait le pinceau dans l’encre, et laissait la main suivre son mouvement, emportée par l’expiration. Quatre ou cinq traits, réalisés avec la plus grande concentration.
Sentir la feuille bruisser, entendre les cris d’oiseaux, le poids des pattes des fourmis sur le plancher. Être mêlé à ces premiers instants donnait à ses gestes une solennité burlesque pour tout observateur.
Chaque matin, Cheng s’enfonçait dans la discipline de ces traits. Oublier l’éveil. Entrer dans la feuille blanche.