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Sous l’influence des théories d’Hegel, des romans de Balzac et de George...
jeudi 15 mai 2025
Sous l’influence des théories d’Hegel, des romans de Balzac et de George Sand, de Dickens et de Thackeray, il se forma, quelque part vers 1840, dans la littérature russe, une école qu’on appela l’École naturelle. Un intitulé plutôt ambitieux pour un mouvement littéraire, mais les Russes ont toujours eu le goût des grandes déclarations. À ce moment-là, c’était un certain Biélinsky, célèbre critique aux convictions rigoureuses, qui présidait aux affaires du bon goût littéraire.
Biélinsky, un personnage à la fois arbitre et distributeur officiel de réputation, formula les bases de cette nouvelle esthétique dans une publication assez sérieuse, les Annales de la Patrie. Dans cette revue, il s’attacha à rattacher, comme on dit, le tout à Gogol, lequel, après quelques hésitations, avait fini par s’orienter vers un réalisme pas tout à fait affirmé mais déjà prometteur. Selon Biélinsky, l’art ne pouvait prétendre à l’existence que par la représentation fidèle de la vie — formule un peu catégorique —, et il se devait d’avoir pour principal sujet l’étude du peuple. Une mission exigeante qui, en dépit de son austérité, sut séduire quelques jeunes talents.
C’est ainsi que Tourgueniev, Gontcharov, Pisemsky et Dostoïevski — jeunes, certes, mais déjà bien décidés — décidèrent de se ranger sous cette bannière, avec la conviction qu’ils allaient renouveler la littérature sans pour autant renier le prestige des aînés. En fin de compte, le naturalisme, cette manière un peu obstinée d’examiner le quotidien, remplaça le romantisme flamboyant de Pouchkine et de Lermontov, non sans un certain panache.
Tourgueniev, figure de proue de cette pléiade et auteur de Roudine et des Mémoires d’un chasseur, a d’ailleurs su conquérir en France une notoriété presque flatteuse. Installé la plupart du temps dans nos contrées, il est aujourd’hui à peine moins des nôtres que des leurs, et ses œuvres sont accueillies avec la même curiosité des deux côtés de l’Europe.
C’est plus délicat pour Gontcharov. Bien qu’on puisse difficilement ignorer sa notoriété en Russie, son nom, ici, évoque plutôt un vague mystère. Pourtant, ses livres ont provoqué là-bas un écho considérable, qui a, pour ainsi dire, laissé les lecteurs français de marbre. Peut-être par cette légendaire indifférence que nous cultivons volontiers à l’égard des agitations intellectuelles de nos voisins. D’ailleurs, dans son Histoire de la littérature contemporaine en Russie, M. C. Courrière ne mâche pas ses mots en affirmant que, pour le style et le trait, l’auteur d’Oblomov mérite sans doute une place au premier rang.
Étonnant tout de même, cette manière d’ignorer un talent de premier ordre, comme si l’on avait un peu trop pris l’habitude de tourner la tête quand l’ailleurs se manifeste.