Tu as une matière vivante et simple : chaleur d’Avignon, fatigue de festivalier, rencontre avec une jeune femme qui tracte, promesse d’accolade, et, derrière, un vrai enjeu : la pièce te parle très directement de ton obsession de l’année, “devenir messie”, peinture engagée vs peinture du regard. Là, tu touches à quelque chose de vraiment intéressant : le théâtre qui vient te dire “non, tu n’es pas obligé d’être le prophète de quoi que ce soit
Comme tous les ans, le Festival d’Avignon déborde de spectacles et, sous la chaleur écrasante, il devient parfois difficile de savoir si l’on cherche d’abord du théâtre ou une salle climatisée avec un fauteuil. Ce jour-là, j’étais plutôt dans la deuxième catégorie, vacancier fourbu qui aurait accepté n’importe quel programme pourvu qu’il y ait de l’ombre. Une jeune femme est venue nous aborder, tract à la main, pour nous parler d’« Un soir chez Renoir ». Elle avait ce mélange de timidité et de passion qui donne envie d’écouter ; elle a même promis une accolade tendre si nous venions. C’est sans doute ce détail, plus que le sujet, qui a fait pencher la balance. Nous sommes entrés, avons trouvé des sièges “pas pires ni meilleurs qu’ailleurs”, et le spectacle a commencé. Sur scène, ils sont encore jeunes, eux aussi : Degas habillé de sombre, un peu dandy ; Renoir un peu dépenaillé ; Monet sans le sou ; Berthe Morisot d’une élégance discrète — notre recruteuse du trottoir — ; Zola, barbe déjà solide, encore journaliste, et une jeune femme posant comme modèle. La question qui les occupe est simple et brûlante : faut-il continuer à courir le Salon officiel ou inventer une exposition en marge ? Au fil de la soirée, chacun défend sa vision de la peinture. Zola les harcèle presque : il veut faire d’eux des messagers, des porteurs de cause, des figures exemplaires. Il réclame du message clair, de la dénonciation, des tableaux qui sauvent le peuple. Renoir, Morisot et les autres résistent : ils parlent de lumière, de couleur, de l’instant qui passe, de ce qu’ils sentent dans leur corps devant un motif. Je me suis surpris à respirer un peu mieux en les entendant refuser cette camisole du “tableau-messie”. Toute l’année ou presque, j’avais charogné de mon côté à vouloir donner une mission à ma peinture, à coller du sens, de la thèse, sur chaque geste, comme si le simple fait de regarder et de peindre ne suffisait plus. Dans la pénombre de la salle, je voyais ces jeunes gens, promis à la postérité, batailler pour le droit de peindre simplement ce qu’ils voyaient, sans se transformer en prophètes. Ça venait me chercher très directement. Je ne vais pas déflorer les ressorts du spectacle, mais si vous aimez la peinture et que vous passez par Avignon, ce “soir chez Renoir” vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre, sous les costumes et les répliques, cette vieille question toujours neuve : est-ce qu’un tableau a vraiment besoin d’autre chose que la lumière pour exister ?
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Avignon, chaleur écrasante, je cherche surtout une salle fraîche et un fauteuil. Une jeune femme nous aborde pour « Un soir chez Renoir », tract à la main, regard passionné, promesse d’une accolade si nous venons. On dit oui pour elle autant que pour la pièce. Dans la salle, Degas en sombre, Renoir un peu défait, Monet sans argent, Berthe Morisot discrète, Zola déjà barbu. La question tourne autour de la table : continuer à courir le Salon officiel ou monter leur propre exposition ? Zola pousse pour une peinture à message, des tableaux qui dénoncent, qui sauvent, des peintres en prophètes. Renoir, Morisot résistent : ils parlent de lumière, de couleurs, d’instant à saisir. Dans le noir, j’entends surtout ça : le refus d’être messie. Toute l’année, j’ai voulu donner une mission à ma peinture, coller du sens partout. Eux me rappellent qu’un tableau peut se contenter de regarder le monde et de le rendre, sans autre bannière que la lumière.