Je suis peintre. Mon travail, c’est de faire des tableaux pour vivre. Portraits, paysages, natures mortes, abstraits, décoratif s’il le faut. Les gens les accrochent où ils veulent, après ça ne me regarde plus. Je ne roule pas sur l’or, mais je paie mes factures.

Depuis quelque temps, ma main droite commence à faire sa vie. Je veux tracer un trait, ça tremble. Au début je me dis que c’est la fatigue. Maintenant, quoi que je commence, ça se termine en gribouillis. Je vais voir le généraliste. Examens, résultats : rien de spécial, pas de Parkinson. Un peu de cataracte, c’est tout. Il me propose d’aller parler “à quelqu’un”.

Cabinet de psy. Une fois par semaine, je m’assois dans le fauteuil et je déballe. Très vite, je m’entends faire le malin, broder, enjoliver. Je lui dis que je suis en train de la séduire comme tout le monde. Elle me demande de m’allonger. Là, parfois, c’est une voix de gosse qui sort, pas la mienne. Je ne supporte pas. Je plante les séances.

Après ça, je continue d’aller à l’atelier. Je peins des toiles lourdes, sales, reprises dix fois. Je laisse faire cette main qui ne sait pas où elle va. Je n’appelle plus personne, je ne commente plus trop.

Ce matin, en buvant le café, je pense à ce gamin qui parlait sur le divan. Au lieu de le renvoyer dans son coin, j’ai juste une sorte de douceur pour lui. Je monte à l’atelier. Sur le chevalet, une toile sous un drap. Je soulève. Le tableau est là, pas spécialement accrocheur, mais je reconnais quelque chose : des zones bouchées, des lignes qui lâchent, des couleurs qui se répondent sans logique.

Au fond, ça bouge un peu. Je sens le gamin, quelque part, qui me fait signe. Je ne lui réponds pas avec des mots. Je reste devant la toile, la main droite encore un peu réticente, et je me dis que pour l’instant, ça suffit.