Angle évident : l’homme qui a fui, qui se croit écrivain, qui se sent merdeux, et que “le nous” vient repêcher malgré lui. C’est une scène de retour, de reprise, pleine d’ambivalence.

Finalement, elle était venue le chercher dans son village perdu du nord du Portugal. Un matin d’août, il était au bar de Jacinto pour un café. Dans la rue, presque personne ; le vent, après avoir cassé des branches d’eucalyptus et poussé leurs vieilles peaux jusqu’au Vao, s’était enfin calmé. Les deux sœurs étaient déjà là, assises dans l’ombre. La plus âgée le regardait avec ses yeux de merlan frit ; ça l’agaça, mais il s’apprêtait malgré tout à les saluer quand il la vit, elle, descendre de la voiture derrière la vitre. La robe blanche faisait ressortir son teint mat. Leurs regards se trouvèrent aussitôt. Il bifurqua vers la porte du café pour l’accueillir, bras ouverts. C’était une surprise, mais au fond pas tant que ça. Il avait quitté Paris quelques semaines plus tôt, après une énième dispute, pour revenir se planquer dans ce coin avec ses rêves d’écrivain, histoire de les réanimer une fois de plus. Ce qui avait déclenché son départ, cette fois, c’était la phrase d’Allan, très digne, très discret, très britannique et horriblement condescendant : « Vous savez, jeune homme, il faut vous trouver un nid et vous calmer, et tout ira bien, vous verrez. » Quand il avait vu qu’elle approuvait en silence, il avait bouclé son sac et foutu le camp. Il s’était dit que la différence d’âge finissait par peser : il voyait ce vieux type essayer de recoller quelque chose avec elle en lui offrant une écoute tranquille, ce qu’il ne savait pas encore faire. Bref, il se sentait merdeux. Il n’avait pas oublié, néanmoins, de réclamer son dû, et la liasse de billets au fond de sa poche le rassurait vaguement. Ça ne réglait ni la honte, ni la colère, ni l’amertume, mais au moins il avait de quoi tenir. Et maintenant elle était là, dans ses bras, à nouveau. Il respirait ses cheveux, sa peau, sentait le poids de son corps de femme. « Je suis venue te chercher parce que tu nous manques trop. » Le “nous” le toucha : il incluait l’enfant. Ce “nous” le remettait dans le tableau, lui rendait une place qu’il avait essayé d’effacer ces dernières semaines. Dans le café, il sentit que les deux sœurs s’agitaient ; il se demanda un instant s’il fallait aller les saluer, mais elle le tira vers elle pour l’embrasser et, avec la politesse, les sœurs disparurent. Ils allèrent récupérer son sac et prirent la route de l’aéroport. En regardant défiler les eucalyptus et les maisons basses, il se moqua de lui-même et de ses délires d’intello bobo qui avait rêvé de s’installer avec une Portugaise, peut-être même de l’épouser, d’avoir des enfants qui courraient pieds nus vers le Vao. L’avion décolla, il eut un léger haut-le-cœur. Très vite, il n’y eut plus en bas que des carrés minuscules, des taches de vert, des taches de bleu.

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Un matin d’août, dans le village perdu du nord du Portugal, il boit un café chez Jacinto. Le vent s’est calmé, les eucalyptus ont laissé des lambeaux d’écorce jusqu’au Vao. Les deux sœurs l’observent dans l’ombre, la plus âgée avec une insistance étudiée. Il s’apprête à les saluer quand il la voit descendre d’une voiture, robe blanche, teint mat. Leurs regards se croisent, il sort l’accueillir. Il a quitté Paris quelques semaines plus tôt, après une phrase d’Allan, vieux british condescendant, et son silence à elle en guise d’accord. Il est parti avec sa honte, sa colère et une liasse de billets dans la poche, persuadé de raviver là-bas ses rêves d’écrivain. Maintenant, elle est là, dans ses bras. « Je suis venue te chercher parce que tu nous manques trop. » Le “nous” inclut l’enfant, lui rend une place. Les sœurs s’agitent au fond du café ; il hésite à les saluer, puis laisse tomber quand elle l’embrasse. Ils vont chercher son sac, roulent vers l’aéroport. Sur la route, il rit de lui-même et de son fantasme de bobo installé ici, enfants pieds nus courant vers le Vao. L’avion décolle ; en bas, le village se réduit à quelques mouchoirs de vert et de bleu.