le texte ne parle pas du film d’horreur mais de la scène familiale comme film d’horreur discret : mère double, tableau “authentique” qui masque, enfant qui ne peut ni parler ni hurler et qui trouve une seule action possible — attaquer l’image qu’elle a fabriquée. La BD finale, c’est son propre montage, à lui.
Quand la mère rentra, elle posa la main sur les cheveux de l’enfant et lui demanda s’il avait bien appris ses leçons pour le lendemain. Elle ajouta qu’il fallait travailler sérieusement à l’école, et lui, au lieu de répondre, regarda l’horloge au mur de la cuisine : la grande aiguille rejoignait la petite, il était exactement 19 h. Le père ne reviendrait pas, il était “dans le Nord, en tournée”, et par la fenêtre la nuit avalait déjà les collines, les champs de luzerne, le vieux cerisier au fond du jardin. L’enfant se réjouit en silence : pas de marche jusqu’à la ferme, pas de pot à lait à porter dans le noir. Après la soupe aux pâtes, trop fade, il débarrassa la table, empila les assiettes et les verres dans l’évier de porcelaine, puis glissa vers le salon où la mère s’était allongée sur le canapé. À la télé, un générique tournait ; il s’attarda près d’elle, se fit câlin, pour gagner quelques minutes. Quand le père n’était pas là, il arrivait qu’on le laisse veiller un peu. Sinon, c’était la lampe de poche sous le drap et les bandes dessinées lues en cachette. Les premiers zombies apparurent derrière les vitres de la maison du film. Un visage gris, mangé, un regard vide collé à la fenêtre. L’enfant sentit son ventre se contracter, sa gorge se bloquer. Il aurait voulu crier mais rien ne vint. Il chercha la mère du regard. Elle tenait une cigarette au coin des lèvres et étalait du vernis rouge sur ses ongles de pied, concentrée sur la courbe du pinceau. En remarquant sa pâleur, elle souffla que ce n’était que du cinéma et qu’il était l’heure d’aller se coucher. Dans sa chambre, au-dessus du lit, un sous-bois en automne occupait tout un pan de mur. C’était une huile que la mère avait peinte quelques mois plus tôt et reléguée là faute de place dans le salon ou la chambre conjugale. Pour lui donner l’air ancien, elle avait passé un vernis à craquelé qui dessinait une toile d’araignée fine à la surface. L’enfant resta un moment à fixer cette forêt immobile. Sans trop savoir ce qu’il faisait, il prit la grande paire de ciseaux posée sur le bureau, tira une chaise près du mur et se hissa dessus. Avec un soin appliqué, il fendit la toile en longues entailles horizontales, puis verticales, jusqu’à ce que le sous-bois se transforme en quadrillage de chair pendante. Quand il eut fini, il reposa les ciseaux, descendit de la chaise, attrapa son album de bandes dessinées préféré, construisit une petite tente avec le polochon et l’oreiller, alluma la lampe de poche et se glissa dessous. Le bruit de la télé, au loin, devenait sourd. Entre les cases en noir et blanc, il retrouva enfin une histoire qu’il pouvait supporter.
compression
La mère revient, parle d’école, l’horloge marque 19 h, le père est loin, la nuit tombe sur le cerisier et les champs. L’enfant mange sa soupe, débarrasse, rejoint le salon. À la télé, un film de zombies commence ; un visage pourri sur une vitre le tétanise. À côté, la mère fume et se peint les ongles de pied, lui assure que “ce n’est que du cinéma” et l’envoie se coucher. Dans sa chambre, un grand tableau de sous-bois peint par elle occupe le mur. Il prend les ciseaux, grimpe sur une chaise et lacère la toile en croix, patiemment. Puis il se fait une tente avec les oreillers, allume la lampe de poche, ouvre sa bande dessinée : une autre histoire prend la place de celle de la télé.