tu essaies de dire que la vraie réponse à l’événement n’est ni le bavardage défensif, ni le grand concept, mais une attention à de très petites choses (lueur, sourire) qui laissent le mystère entier au lieu de le remplir.

Face à ce qui arrive, les pensées partent au quart de tour. Les phrases se dressent comme des boucliers : expliquer, commenter, relativiser, tout ce qu’il faut pour recouvrir la fente qui vient de s’ouvrir et qu’on sent prête à nous avaler. Pourtant, au tout début, avant le commentaire, il y a ce moment nu où l’on ne sait pas encore quoi dire ni comment se tenir. On traverse alors une zone de gêne à vif qui peut basculer aussi bien vers l’insupportable que vers une forme de paix brute. Tenir ce milieu-là, non comme une forteresse mais comme une ouverture, demande du temps, des ratages, des reprises, jusqu’à comprendre que “victoire” et “échec” ne sont que deux noms posés sur la même secousse. C’est peut-être ce que le poète appelait le “bel immédiat” : un instant où la pensée lâche prise, coule un peu, puis revient à la surface, moins compliquée, plus claire. Parfois, ça tient à presque rien : une lumière sur un mur au petit matin, une couleur de ciel juste avant la nuit, un bruit de pas dans l’escalier, un sourire aperçu et aussitôt perdu. Des détails qui ne résolvent rien, qui n’expliquent rien, mais qui empêchent de se refermer complètement. On ne sait pas très bien d’où ça vient ni pourquoi ça nous touche là, à ce moment précis. On sait seulement que, pendant quelques secondes, on n’a plus besoin de se protéger avec des mots.

compression

Quand quelque chose nous tombe dessus, les phrases arrivent avant nous. Elles servent de bouclier pour masquer la faille qui s’ouvre. Si on tient un peu, il reste un court moment nu, ni supportable ni insupportable, juste ouvert. C’est là que la pensée décroche et revient autrement, plus simple. Parfois, il suffit d’une lumière, d’un bout de ciel, d’un sourire retrouvé sans raison. On ne comprend pas, mais on respire à nouveau, sans commentaire.