Il y a un truc qui s’est déplacé. C’était net, avant, dans les histoires fantastiques. Une apparition, une ombre derrière la porte, une silhouette là où il ne devait y avoir personne. Un surgissement. Aujourd’hui, c’est autre chose. Ça travaille autrement. Ça n’arrive plus en un coup, en un basculement. C’est déjà là, en filigrane, dans le quotidien, dans les gestes, dans ce qu’on croit connaître et qui, d’un coup, n’est plus si sûr.

C’est la maison, qui commence à poser problème. Elle fait du bruit, elle respire. Pas besoin de fantômes, pas besoin d’entités. L’angoisse est là dans le mur, dans les angles morts, dans la façon dont la lumière glisse sur le parquet. La Maison des Feuilles, c’est exactement ça : un escalier qui s’allonge alors qu’il ne le devrait pas, un couloir qui s’étire, et soudain plus personne ne sait comment sortir.

C’est aussi le travail, les visages dans l’open-space, trop lisses, trop symétriques. Des détails qui dérangent. On ne sait pas pourquoi, mais c’est là. On sait qu’on ne devrait pas poser la question. On sait qu’on ne veut pas savoir. Brian Evenson fait ça très bien. Des nouvelles où les choses ne sont jamais vraiment dites, où ce qui est inquiétant n’a même pas besoin de se montrer.

Et puis il y a la ville, le métro, la foule. Ça parle un peu trop bas. Un regard qui dure un quart de seconde de trop. Un message qui arrive sur le téléphone, un numéro inconnu, un simple “je sais”. Aucun contexte, pas d’explication. Black Mirror a joué là-dessus. Le malaise au creux des objets du quotidien. Un téléphone, une appli, un message vocal laissé par un mort. L’angoisse sans artifice.

Parce que c’est ça, le fantastique contemporain. Ce n’est plus un démon dans un miroir, ce n’est plus un vampire derrière la porte. C’est un doute. Une fissure dans la perception. Quelque chose qui n’a pas besoin de se montrer pour exister. Un écart qui s’installe, sans prévenir. Et qui ne repart plus.


Ça commence comme une blague, un mème sur un forum, une photo de bureau déserté, murs jaunes, lumière crue. Ça pourrait être une arrière-salle d’entreprise fermée depuis vingt ans, une moquette qui a pris l’humidité. Rien. Pas un bruit, sauf ce bourdonnement d’électricité dans les néons. Juste un espace où tu n’es pas censé être.

On dit que tu y arrives par accident, comme si tu glissais entre deux pixels du réel. Il suffit d’un moment d’inattention, d’une porte ouverte au mauvais endroit. Et puis, plus rien. Les Backrooms t’avalent. Tu marches, les couloirs se répètent, tous identiques, jusqu’au vertige. Aucun point de repère, pas de fenêtres. Un sentiment de déjà-vu qui tourne mal. C’est trop lisse, trop grand, trop vide. Comme si quelqu’un avait effacé ce qu’il devait y avoir.

Ce n’est pas une histoire avec une trame. C’est une sensation, une menace sans visage. Et c’est pour ça que ça marche. Parce que l’angoisse, maintenant, elle est là où on ne l’attend pas. Pas de fantômes, pas de créatures qui sortent du noir. Juste un endroit qui n’a pas de raison d’être.

C’est la peur du vide, mais un vide qui s’étire. Une absence qui devient tangible. Tu te demandes depuis combien de temps tu marches, pourquoi l’air sent ce mélange de poussière et de moisi. Tu essaies de te rappeler comment tu es arrivé là. Tu ne trouves pas.

Le fantastique d’aujourd’hui, c’est ça. Plus besoin de surgissement, plus besoin de choc. Juste une dislocation de l’espace, une logique qui se dérègle. Tu crois que tu peux retrouver la sortie. Puis tu te rends compte que tu ne sais plus comment tu es entré.

Et ça, c’est pire que n’importe quel monstre.

illustration : PB/ Boissy-Saint-Léger,RER 1982