28 décembre 2024

C’est en extirpant, avec la pointe d’un pic orné d’une boule verte, un corps noir lové dans sa coquille que j’ai repensé à la proposition d’écriture de la semaine. L’escargot en soi n’a pas véritablement de goût. C’est la sauce qui fait tout. On pourrait plonger des moules dans cette même sauce — et bien pire encore, blattes, cancrelats, cafards — et ce serait, j’en suis presque convaincu, exactement la même chose.

À vrai dire, c’est tout à fait épouvantable de mettre ce genre de chose dans sa bouche. Non pas que je considère l’escargot comme un être inférieur ou vil, mais qu’un être humain comme moi, supposément civilisé, en fasse une bouchée, c’est proprement abject. Hormis cette indéfectible attirance pour la sauce au beurre persillé, j’imagine que je pourrais me passer, sans effort excessif, de ce genre de mets pour le reste du temps qu’il me reste à vivre.

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J’ai acheté plusieurs boîtes de Mon Chéri chez Lidl. L’une d’elles, je l’ai enveloppée de papier cadeau pour la glisser dans les chaussures de mon épouse. J’ai aussi dégoté un petit miroir à LED, un truc absolument kitsch comme elle les adore. Je l’ai emballé avec la même application minutieuse, le même papier cadeau (en promotion, bien sûr, dans le même magasin). Ces deux cadeaux, de toute évidence peu sérieux, sont là pour lui faire faire une grimace en les déballant.

La grimace. Puis le petit sourir gèné. Puis, enfin, son visage qui s’illumine quand elle découvrira le troisième cadeau : un appareil photo Panasonic Lumix. Une folie que je vais payer à tempérament pendant des mois.

Et maintenant que je l’ai écrit, est-ce que ça me soulage ? Honnêtement, je n’en sais rien. Je me dis que, de toute façon, à part moi, ça ne regarde personne. Et encore, je ne suis pas certain que ça me regarde vraiment non plus. Peut-être qu’il en est de ces gestes anodins comme de tout ce que l’on traverse : ça ne nous concerne que lorsqu’on implore une Providence quelconque de nous voir. De nous *regarder*.

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J’ai commencé à créer des fiches sur Obsidian. Mais si je suis honnête, tous ces outils finissent par se ressembler. Ulysse, Scrivener, Notion, Typora, Obsidian… On passe un temps fou à se demander comment on va les utiliser. On les paramètre, on les organise, on les dissèque. Puis, un jour, on abandonne. On comprend qu’ils ne sont rien d’autre que des leurres, des pièges sophistiqués pour accaparer l’attention.

Ils nourrissent un désir ubuesque d’organisation. Et, par la même occasion, enrichissent des vendeurs de formations en ligne, qui pullulent comme des cancrelats autour de nos incertitudes.

Mais cette fois, je m’en rends compte plus vite. Peut-être est-ce un progrès. J’ai même visionné plusieurs vidéos de créateurs de contenu pour en être bien certain. J’ai téléchargé le livre de Tiago Forte, *Building a Second Brain*, pour m’en convaincre : l’organisation qui compte vraiment, c’est celle avec laquelle je vis au jour le jour. La mienne, désordonnée, imparfaite, mais vivante.

Cela peut paraître prétentieux, mais ce n’est qu’un élan vers une forme d’humilité qui me convient. Le Bouddha disait : "Ne crois qu’en ce que tu expérimentes." Et, surtout, si le Bouddha se dresse devant toi, tue-le.

Alors je m’efforce d’observer tout ce qui se dresse devant moi. Ces petites boules noires que je mâche lentement, qui ont une texture caoutchouteuse et un goût délicieux de beurre aillé. J’attrape une crevette. Je fais et je pense exactement la même chose. Rien ne peut me résister. Du moins, à table.

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Je ne suis pas du tout certain d’avoir compris la proposition d’écriture cette fois-ci encore . D’ailleurs, je ne m’y suis pas accroché bien longtemps. Il me semble que plus ça va, moins je les comprends, ces fameuses propositions. Ou plutôt, je ne cherche plus vraiment à les comprendre. Ce qui m’intéresse désormais, ce sont les pistes fugaces qui les traversent en filigrane, comme des éclats d’idées laissés là, presque par hasard.

Parfois, c’est un mot qui surgit et que j’ai envie de développer. Parfois, c’est une liste qui s’impose, d’un seul coup, sans prévenir. D’autres fois encore, c’est une sensation, quelque chose de diffus, d’insaisissable, que je ne parviens pas à nommer clairement et qui me fait tourner en rond comme un derviche. Cette impossibilité de cerner ce que je veux dire — ou même ce qu’on attend de moi — devient presque un moteur. Une énergie étrange, faite de confusion et de mouvement. Mauvais élève comme d’habitude. Quand je bèle, j’ai toujours un chat dans la gorge, et c’est affreux comment je bèle faux. Je m’en suis encore fait la réflexion en disant à voix haute : « Mazette, cette bûche bat tous les records de bûches surgelées ! » Une phrase idiote, et moi qui avais vraiment l’air con après l’avoir prononcée. Je ne peux m’empêcher de trouver quelque chose de familier dans cette absurdité, dans ce faux-bêlement qui me poursuit. Comme si tout ça, finalement, faisait partie du jeu... Peut-être que F. ne le fait pas exprès. Ou peut-être que si.

Après tout, ce ne serait pas la première fois que je croise ce genre de méthode. Mes meilleurs professeurs, tous sans exception, avaient cette façon de faire. De poser une question qui semblait claire, mais qui, en réalité, n’avait aucune réponse évidente. Ou bien, ils parlaient ostensiblement d’une chose tout en nous entraînant ailleurs, sur un tout autre sujet. Et moi, en y réfléchissant bien, je réalise que je fais exactement la même chose avec mes élèves.

C’est un jeu subtil, presque pervers parfois. (On utilise le mot pervers à toutes les sauces désormais ce qui fait qu’il ne veut strictement plus rien dire ) — Donner l’impression de parler d’une chose alors qu’on est en train de parler d’une autre. ( mais n’est-ce pas ce que tout le monde fait sans arret ?) Une sorte de mise en abyme pédagogique. Et le plus fascinant, c’est que si je prenais la peine d’interroger ces professeurs aujourd’hui — ceux qui m’ont marqué, ceux qui pratiquaient ce "déplacement" constant — ils me répondraient tous, sans exception, qu’ils ne s’en rendaient pas compte.

Ils diraient que c’est inconscient. Et, bien sûr, ils me feraient ce petit sourire en coin. Un sourire qui en dit long sans rien expliquer. Qui semble dire : « Ah ah, tu crois peut-être avoir compris. Tu es décidément indécrottable ! Peut-être que c’est la vérité. Peut-être que c’est une manière d’éluder. Mais au fond, qu’importe ? Ce n’est pas tant la clarté des réponses qui compte, mais cette ouverture, cet espace que ces méthodes créent en nous.

Pour continuer

Carnets | décembre 2024

31 décembre 2024

Dernier jour de cette année 2024. Rude année. Alors pour lui dire adieu, envie d'une traversée.|couper{180}

Carnets | décembre 2024

30 décembre 2024

Lu quelques pages du Porte-Lame de Burroughs vers 3h du matin. Ce qui résonne avec la vidéo de Pacôme Tiellement sur son Rabelais dans sa série sur l'empire romain contre le Christ ou vice versa. Toujours pas trouvé l'angle avec lequel pénétrer l'opacité de la proposition d'écriture de F. Le rire, sans doute, serait un recours, en y a-t-il vraiment un autre ? À l'institution Saint-Stanislas d'Osny, près de Pontoise, je me souviens du petit Legallo, dont je fis faire le tour du parc presque complet à coups de gifles et de coups de pied au cul. Du gros Lefranc, à qui j'envoyais un uppercut parfait après qu'il eut traité ma mère de nom d'oiseau. De la nonne Thérèsa, qui me troubla tant que j'en fis mes premiers rêves érotiques. Sans compter la voluptueuse Mathilde, qui avait la plastique affolante des femmes préhistoriques, et que j'épiais, me portant malade les jours où elle venait faire le ménage au dortoir. Et aussi de Poinsard, professeur de mathématiques aux mains baladeuses et glaciales, dont l'haleine sentait la pastille Pullmoll ou l'affreux cachou. De toute une série de noms s'achevant en sky, parce que les prêtres ici furent, avant d'être déportés, polonais. Je me souviens aussi du nom de la rivière dans laquelle je pêchais avec des agrafes attachées au bout de ficelles des épinoches. Les épinoches ont grosso modo la même triste figure écrabouillée et mélancolique que l'une des deux sœurs Richaume, dont j'étais amoureux enfant parce que j'aurais voulu la voir sourire à tout prix. Et Monsieur Blavette, professeur d'allemand émérite, qui nous parlait de la Sarthe comme du Paradis, avait aussi une gueule de traviole et je crois fermement aujourd'hui que c'est pour cette raison principale que je l'aimais bien. Setsensesich wirsetsenuns. Après, je ne sais plus trop ce qui s'est passé, j'ai lu encore quelques pages de Burroughs, j'ai trouvé ça bien, c'était comme si je visionnais un film, des images fabuleuses. Puis, vers le milieu de la journée, sans doute un blanc, le sommeil. J'ai relu ce que j'avais écrit à 4h du matin, ça ne vaut pas un pet de lapin, mais je le garde parce que c'est un auto-jugement du lendemain après coup et que la nuit du 29 au 30, je ne dormirai pas bien non plus, j'avancerai dans Burroughs et peut-être aussi sur Obsidian. J'ai créé pas loin de 5000 fiches en une journée grâce à un script Python qui va fouiller dans mes bases de données SQLite. Je devrais faire une rubrique spéciale pour tout le temps que je passe à bricoler sur SPIP, sur Python, sur Obsidian. Mais ça n'aurait plus rien à voir avec le Dibbouk. À moins que si, justement. Je n'en sais rien. Lu aussi quelques textes sur le blog de l'atelier d'écriture. Pas encore mis à la proposition 7 pour autant. Et que je crois bien que j'ai foiré totalement la précédente. Me suis même fendu de quelques commentaires parce que tout simplement ça me venait naturellement. Je regrette un peu ce naturellement aujourd'hui. Puis je me dis que demain, un autre auto-jugement me dira encore autre chose. Une saleté de vautour me dévore le foie et je n'ai pas inventé l'eau chaude ni les allumettes. C'est une injustice flagrante. Encore une. Dans le fond, la justice est l'anomalie, voilà ce qu'il convient de se dire pour pouvoir se tenir debout.|couper{180}

Carnets | décembre 2024

27 décembre 2024

statue -1279 / -1213 (Ramsès II) Lieu de découverte : Khénou de Ramsès II E 16357 Département des Antiquités égyptiennes Je peux le dire sans fausse modestie : mon inexpérience d’aujourd’hui est le résultat de toute mon expérience passée. Que veut dire 'avoir le sens de la formule' ? Que veut dire 'avoir le sens' ? Que veut dire 'formule' ? Que veut dire 'que veut dire' ? Rien qui ne retienne mon attention plus de quelques minutes ce matin. Admettons que j’écrive une seule phrase par jour, qu’au bout de trois cent soixante-cinq jours j’en efface les trois quarts, et qu’enfin le peu qui reste atterrisse dans un tiroir : serais-je pour autant plus réaliste ? Pourquoi tant de questions ? La journée commence donc ainsi, avec l’acuité d’une inexpérience née de l’expérience d’hier, et l’ignorance encore neuve du lendemain. Le froid mordant m’a pris la main, s’est insinué jusque dans mes os, en traversant la cour pour me rendre à l’atelier. Le froid m’a rendu. Donc voilà : me voici vomi, vomissure du froid. Atèle-toi donc encore à ça. Je crois que ma main ne m’appartient plus. Il faut absolument que je dépose cette main courante. Elle pend, inerte, et je la regarde comme on regarde un merle sans vie qu’on n’a pas le courage de jeter. Aux ordures. Aujourd’hui est, selon EDF, un jour rouge. Ils envoient un mail pour te prévenir. En voudrais-je du rouge que je l’aurais. En vous, d’rage, du roux. Du sucre et du miel. Je n’sais plus. En. Vous. E. Rouge sang. Rouge EDF. Rouge et bon baiser de Russie. J’anonne Jeanneton, sans faux cil ni Marthe Oh. vous voici arrivés à ORLÉANS deux minutes d’arrêt. Je tente de remonter l’Amazone pour trouver sa source, mais je n’ai en main qu’un **LUBRIQUE CUBE**. Vous jouez au LEGO, mon salaud, vous et tous vos actes illégaux. J’erre, monte, descend, en pire rogue, l’amas zone. Du côté de j’erre honte, de guerre lasse ça descend, monte, bifurque. Parce qu’en plus, à moins que vous l’ignoriez, tout cela devrait avoir un SENS. Sauf qu’on ne peut pas être et avoir été. De plus c’est l’hiver. Quand la bise fut venue nue qu’elle eut été déposée sur des lèvres gercées. L’ascenseur, sir, vous voici prié d’y monter. Un groom, gras, un loukoum Oum Kel SOUM qu’il assume. Avec un étrange chapeau en forme de pot de yaourt, le regard oblique, me fait le signe que l’on adresse aux obligés. Vous voici obligé, mon cher. Ils se sont donc ligués, ce ne sera pas possible autrement, Dotremont. L’ascenseur grince. Chaque étage : un bruit sourd, quelque chose se décroche lentement derrière les parois. BADABOUM. Je peux le dire sans détour : mon inexpérience d’aujourd’hui est l’aboutissement de toute mon expérience passée. Mais pourquoi mettre 'd’' ? D’accord : aujourd’hui est l’aboutissement de mon expérience d’hier. Au jour d’hui. Au jour. Au. A. U. Hue ! Quelque chose. Un clapotis. (Prononcé Capoti pour Truman). L’homme trou. La bocca de la verita. Je vais mourir. Mais quand ? Méchant. Je vis mourir tant de mécréants qui s’écriaient des choses affreuses à propos d’eux-mêmes. Ce qu’ils croyaient être eux-mêmes. Ils se tordaient comme des marionnettes désarticulées. Des vers de terre, des vers jetés par des Russes dans une large cheminée. MAïakovski. Je crois que c’est l’un d’eux qui m’a crié : "Tu viens avec moi ?" Je n’ai pas répondu. J’ai à dorer, humer, l’odeur de la fumée du calumet. Mon inexpérience d’aujourd’hui est l’aboutissement naturel de toute l’expérience d’hier. Le mot "naturel" donne l’idée d’une évolution logique, et "toute" amplifie la richesse et la complétude des expériences passées. Je ne suis pas fou. Mais patrac, parfois Patrick. Non, non, pas de trique, je vous en prie. J’aurais volontiers contre un violon troqué ma trique. Les sans gland long des eunuques, les grelots des grêles, le goût de la grenade éclatée. La grenade m’explose en bouche. Mille balles de ping-pong m’empêchent de parler. Mille et une nuits chères à rasades. Les grains se collent à mon palais. J’avale, moi aussi j’avale. Je le vois désormais quand je sors de la vallée : j’ai beaucoup et souvent avalé. Des cools œuvres. Mais voilà : mon inexpérience d’aujourd’hui découle de l’expérience d’hier. Plus directe, plus incisive. Cette version simplifie encore davantage le message tout en conservant son essence. Admettons que j’écrive une seule phrase par jour, pas pas jour, maman nuit. Et que dans trois cent soixante-cinq jours, j’en efface les trois quarts. Il est minuit moins le quart. Puis qu’enfin le pneu qui reste termine sa course dans un tiroir : serais-je plus réaliste pour autant ? En Isère, misère si tu n’as pas les bons pneus, dit la sécurité routière. Je retirerais bien ma peau si j’étais certain qu’elle n’en recouvre pas une autre, et ainsi de suite. Et à la fin encore une autre, encore. En corps ça germe. Mais j’ai peur de ce que je trouverais en corps : un carnet, un de ces vieux carnets brûlés. De la cendre, le fameux goût ou dégoût des cendres. Un mercredi. Avoir le sens de la formule, c’est être capable de formuler une idée de manière concise, percutante et mémorable. Cela revient à trouver la phrase juste, souvent empreinte de finesse, d’humour ou de profondeur, qui marquera les esprits. Ça revient. C’est sûr. Ça revient. ça s’en va et ça revient. L’HISTOIRE est très loin d’être linéaire, elle donne des claques, elle est six cliques. Empreintes relevées, on ne découvrit aucune finesse chez Eliott Ness. Mais les abonnements grimpent à la salle de fitness. "Ce matin", l’idée d’apprendre ou de comprendre le "sens de la formule" semble poser une question rhétorique : est-ce un besoin réel ou simplement une pensée passagère ? Cela reflète peut-être une hésitation entre l’envie de maîtriser cet art pour briller, et une certaine indifférence ou lassitude face à cette notion. Que veut dire avoir le sens de la formule ? Rien qui n’attire mon intérêt ce matin. Tu aimerais bien dire ça suffit comme ça me suffit les villas au bord des plages, la tête de chien qui remue sur le haillon arrière, villa mon cul ou pan ! chaud vilain ! mais tu dis rien. T’es mort, la mâchoire broie du silence de mort. Tu avales du rien. Le mors aux dents n’est plus là. Le vieux cuir bouilli a fondu dans la neige blanche tout autour de ton corps qui n’émet plus aucun son au fond des bois.|couper{180}