Depuis hier me trotte en tête cette phrase entendue au détour d’une discussion : “il faut écrire en dessous de soi”. J’ai aussitôt effacé le “il faut” et déplacé le verbe : peindre en dessous de soi. Non pas au-dessus, non pas à hauteur d’une idée de soi, mais un peu plus bas, à un niveau où l’on cesse de commenter ce qu’on fait. À partir de là revient l’autre injonction, plus sourde : se taire. Se taire en haut comme en bas, laisser tomber le brouhaha, la voix intérieure qui explique tout. Hier encore, je me suis surpris en train de vouloir être conscient jusque dans mon sommeil. Vieille habitude : au bord du cauchemar, me répéter que je peux me réveiller quand je veux, que je tiens la sortie. Je l’ai tellement pratiquée qu’elle est devenue réflexe. Et puis, un jour, plus rien ne répond : je me dis que je peux me réveiller et je reste coincé dans le rêve, pris dans une matière lourde qui ne cède pas. C’est là que la question grince : à quoi bon vouloir tout le temps être conscient ? On se raconte que lâcher ça nous livrerait à la démence, mais n’y a-t-il pas déjà une forme de folie à vouloir tout retenir, à refuser que quoi que ce soit nous échappe, comme ces malades qui se souviennent de tout et ne peuvent plus vivre avec cette surcharge. Hier après-midi, en peignant, la radio parlait du roman arthurien. Origines vers 500 après J.-C., fragments de récits en latin, en gallois, en breton, puis les reprises, les traductions, les transports d’un pays à l’autre. À un moment, l’invitée dit qu’Arthur, au départ, n’est pas tant un prénom qu’une fonction : un chef dont on a besoin quand les habitants, pris entre Romains, Saxons et autres envahisseurs, se réfugient dans les terres les plus ingrates. J’écoute ça en posant des ocres sur la toile, en cerclant des masses avec du bleu nuit, de l’outremer. Le nom Arthur circule, change de langue, s’épaissit de légende ; sur la toile, il ne reste qu’un amas de formes serrées, encerclées par le bleu. Je pense que j’ai longtemps vécu avec un Arthur intérieur, un chef chargé de rester conscient coûte que coûte, de tenir le front, de ne jamais laisser le tableau ou le texte se faire sans son contrôle. Peindre en dessous de soi, ce serait peut-être déposer ce chef-là, le laisser sortir du cadre. Laisser l’amas ocre se faire encercler sans chercher immédiatement à en donner le sens, accepter que quelque chose travaille pendant que je me tais un peu, que je ne tiens plus tout sous la lumière crue de la conscience.