6 avril 2022
Le fantasme d’un âge d’or revient perpétuellement pile poil au moment des grands bouleversements. Dans l’hypothèse que l’Akasha me présente, je manque de m’étouffer de rire.
Madame X est élue présidente de la République française, et c’est la mise en place d’un merveilleux âge d’or.
Tout le monde mange.
Tout le monde dort.
Personne n’a plus peur de rien.
Nous avons été mis en stase.
Des somnambules dont les lèvres balbutient parfois des choses incohérentes au fin fond de leur rêve éveillé :
« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir, hou hou hou tsoin tsoin. »
Tandis que les sauriens leur charcutent les neurones à coups de simulations virtuelles, de jeux télévisés débiles, et de chansons à l’eau de rose.
Retour du feuilleton HEIDI.
Tout le monde est beau, tout le monde il est gentil.
Sauf à peu près tout ce qui n’est pas gaulois.
Et de pure souche, s’il vous plaît.
Sauf les Russes, évidemment. Ces bons aryens.
Entre bons aryens, comment ne pas s’entendre ?
— Tu as fini de bailler aux corneilles ? me dit Hildegarde, assise près de moi dans le compartiment. On a du boulot à préparer.
Elle ouvre sa petite mallette de voyage, dans laquelle j’aperçois, bien rangées, toute une collection de petites fioles remplies de liquides colorés.
— Oh doucement, Hilde, tu sais bien que je n’aime pas être réveillé brutalement.
— Si tu rêves à ce genre de choses, tu crées un portail dans les possibles et l’Akasha enregistre. Donc, stop tout de suite ce genre de bidule, s’il te plaît. On a déjà assez de bordel, mieux vaut pas en rajouter.
— Tu as raison. Cause-moi de botanique, le paysage est morne au-delà des fenêtres.
Je sais prendre Hildegarde par les sentiments. Il suffit de lui parler de plantes pour que je l’observe se trémousser de plaisir sur son siège.
— Tu te vois plutôt incinéré ou enterré et bouffé par les vers de terre ? me demande-t-elle.
— Euh… moi je ne vois rien du tout de tout ça. Éventuellement, ce ne sera que ma dépouille à qui ça arrivera et dont je me tamponnerai comme de mon tout premier haut-de-chausse.
Avec Hildegarde, on a une relation fraternelle, du genre à se taquiner tout le temps. Elle est un brin bourrue et fait toujours semblant de ne pas supporter les fantaisistes de mon acabit. Mais c’est comme l’huile et le vinaigre entre nous-deux. Et s’il n’y a pas de salade à assaisonner, on se rabat l’un sur l’autre pour un rien.
— Tu crois à l’âge d’or, Hildegarde ? je demande.
— Tu veux parler de maintenant ? Elle dit. Bin oui, forcément que j’y crois, puisque je le vis.
— Oui mais non, je veux dire, au paradis, Hilde. Avec des chérubins tout nus qui soufflent dans des trompettes et des jardins remplis de fleurs fraîches à l’infini ?
— T’es rien couillon, toi, elle dit. Pourquoi pas aussi aux vierges qui, dès qu’un pauvre bougre se fait exploser la tronche, deviennent toutes nymphomanes en l’accueillant à bras ouverts ? Et pourquoi pas à la petite souris et au Père Noël, par-dessus le marché ?
On explose de rire et c’est à ce moment-là que la contrôleuse ouvre la porte du compartiment. Une grande blonde athlétique, avec des yeux gris-bleus souriants.
— Tiens voilà la première qui arrive, une Walkyrie visiblement, dit Pablo en face de nous. Est-ce que le train a déraillé ? On est tous morts et on est arrivés au paradis ?
Puis il fait une mimique, qui doit ressembler, à son avis, à une sorte d’hommage ou de révérence à la grande blonde, en achevant le tout par un clin d’œil salace comme il en a le secret.
— Tiens-toi donc, espèce de paysan, dit Salvador, moustaches orientées 10h10.
Puis, s’adressant à la contrôleuse :
— Mademoiselle, vous illuminez cet instant. Comment puis-je vous honorer ?
La grande blonde prend un air ahuri et dit :
— Bin z’avez qu’à présenter vos billets… en polonais.
Et nous ne sommes même pas étonnés, tous autant que nous sommes, de comprendre la langue.
— Moi j’aimerais que mon corps soit momifié, qu’il devienne comme un vieux parchemin, me confie Hildegarde.
Et nous voilà tous à rigoler devant la grande fille, qui est un peu rougeaude tout à coup.
— Ah, je vous l’avais dit que c’en était une. J’ai un sixième sens pour les repérer.
— Rustre ! Tu ne penses donc toujours qu’à jouir, le tance Salvador en faisant les yeux doux à la femme en uniforme.
Puis il ajoute qu’il la peindrait bien nue, avec de très longues jambes, pour qu’elle puisse gambader dans le désert au côté de ses magnifiques éléphants.
On rigole.
C’est à ce moment-là que l’on voit la grande blonde s’élever dans les airs. Son crâne traverse le plafond, puis son corps tout entier. Et nous sommes tous soulevés, comme des crêpes, de nos sièges.
Enfin, le train déraille, comme au ralenti. Tous les wagons pénètrent les uns dans les autres.
Dire que quelques instants auparavant, je rêvais d’un âge d’or. Le quotidien nous rattrape toujours séance tenante.
Il y a eu un attentat sur le train Paris-Varsovie. Une explosion. Est-ce un hasard ? Ça m’étonnerait bien.
Pour continuer
Carnets | avril 2022
notule 10
Dernière mouture de cette toile qui finalement relève plus de l’icône.|couper{180}
Carnets | avril 2022
notule 24
Bientôt une nouvelle guerre avec toute sa panoplie d'inepties, c'est à prévoir comme on prévoit tranquillement les différents ingrédients d'une liste de course. On voit très bien désormais que la seule issue au capitalisme en cas de crise est de semer le désordre, de créer la confusion, pour parvenir à augmenter exponentiellement la peur dans les populations. Ce qui entrainera l'arbitraire des choix envers une cause apparente ou une autre larvée, peu importe. Et au final cette demande de sécurité, d'être rassuré, de s'en remettre à une autorité incontestable. La pantomime jouée par les faibles et les forts. Représenter l'horreur une fois de plus pour que les légendes reprennent du poil de la bête. Celle du héros, comme celui d'un âge d'or passé ou à venir. Avec toute la hiérarchie des couillonades habituelles, dont on peut déjà apercevoir les longs nez. La valeur travail, la valeur sincérité, la valeur solidarité, travail famille patrie. On secoue le pochon du loto et on tire à nouveau avec le hasard comme prétexte. On n'y coupera pas, c'est une nécessité car nous avons encore besoin de la douleur pour apprendre. Encore plus de douleur, pour parvenir à saisir l'inexistence de l'égo. De ce "je" à qui on ne cesse de demander son avis à seul fin de le renforcer. Sondages d'opinion, élections, cartes de fidélité et double voire triple authentification. Et plus cela devient raisonnable plus on obtient le contraire justement. Une irrationnalité qui se banalise, pour ne pas dire une bêtise qui se démocratise. Quand la bêtise devient la raison, la violence n'attend que ce feu vert pour se répandre, jetant à bas les institutions, en créant d'autres, toujours plus absurdes et kafkaïennes. Comme je le disais encore hier, concernant les gens de ma génération, les sexagénaires, nous avons englouti notre pain blanc qu'on l'accepte ou pas. Il en résulte une désagréable impression de satiété mal adressée pour les plus à l'écoute du pouls du monde. Un peu de culpabilité mais pas trop, et souvent une envie de réparer les pots cassés. C'est peut-être mon cas. Encore que cette envie je la trouve tout aussi suspecte que toutes les autres précitées. L'envie de fuir au fond d'une grotte ou au sommet d'une montagne, à priori ne me quitte pas depuis mes tous premiers pas. Comme si justement je savais déjà tout des tenants et des aboutissants de la satiété factice dans laquelle dès les premiers jours on m'a plongé. Les fameuses trente glorieuses ne sont rien d'autre qu'un tampon hygiénique, une sorte de bouchon à un phénomène périodique. Ma chance est d'être né prématurément quelques semaines trop tôt. Sinon je n'y coupais pas, j'allais devenir un petit robot comme les autres sans même m'en rendre compte. Le simple fait d'avoir été relégué dans une couveuse à l'hôpital Saint-Michel, dans le 15 ème arrondissement de Paris, est une chance. Car le déchirement, l'absence, le manque, à peine éjecté de la matrice maternelle m'auront donné le ressort nécessaire étrangement pour m'éveiller. C'est à dire une forme de rage directement reliée à l'amour et à ce constat d'impuissance de pouvoir le trouver normalement en l'Autre. Cette transition des limbes dans les limbes si l'on veut m'aura mis en contact immédiat avec une sensation d'équanimité qui doit venir de bien plus loin que ma naissance. Qui probablement remonte justement à cet indifférencié, ou le mal et le bien n'existent pas plus que l'ombre et la lumière. Où l'absence de séparation finit par créer le fantasme de la séparation comme pour mieux constater sa donnée immuable. Une sorte d'ennui ontologique. Je mentirais si je disais que je me souviens de cette période. Par contre lorsque mon imagination désire s'y alimenter elle n'y découvre aucune joie, et sans doute aucune peine véritable non plus Car pour éprouver ces deux émotions il faut bien évidemment les relier à quelque chose de défini, il faut bien créer une relativité. J'arrive au monde comme tout le monde par une femme, mais je n'ai guère le temps de nouer une relation claire avec elle en tant que mère, que déjà je m'en trouve séparé une seconde fois. N'est-ce pas étonnant d'y penser. Il en résulte en tous les cas un rapport d'étrangeté à la mère, à la femme puis aux autres et au monde finalement. Le fait que j'ai passé des années à suivre le penchant naturel de la plainte, m'y accrochant, parce qu'elle me construisait, ne me sert plus à rien. Je crois que l'échafaudage tout entier s'est effondré en 2003 au mois de février à l'hôpital de Créteil. Ma mère est allongée devant nous, mon père et moi. Elle a les yeux grands ouverts elle est shootée à la morphine, les yeux gris bleu immenses grands ouverts mais elle semble ne pas nous voir, nous distinguer. J'ai passé la main devant ses yeux pour voir si ils suivaient le mouvement, rien. Un regard de nouveau né au moment même de repartir dans l'indistinct. Elle nous a laissé seuls encore une fois j'ai pensé. Du coup j'ai pris les commandes avec un sang-froid comme celui que l'on s étonne de rencontrer sur un champ de bataille, durant un accident de la route, ou dans la panique d' une émeute. Je ne me suis pas laissé envahir par l'émotion, j'ai oublié que c'était ma mère, j'ai juste pensé à l'homme que j'accompagnais et qui était encore mon père à cet instant. Je n'étais plus un fils vraiment mais un compagnon apte à gouverner, à naviguer dans la confusion de ce moment. J'ai dit prends lui la main. Ce qu'il a fait sans broncher. Puis je me suis approché de l'oreille de la mourante et j'ai dit, c'est bon ma petite maman, rien ne te retient plus ici, tu peux y aller. Je n'en reviens toujours pas en y repensant. Cette froideur, cette totale absence d'émotion personnelle, et qui m'a autant effrayé que surpris d'où venait t'elle ? Tout de suite après nous sommes rentrés à la maison familiale à Limeil Brévanne . Nous n'avons pas échangé un seul mot. Et le lendemain matin très tôt l'hôpital a appelé pour dire que maman était décédée. J'éprouve le besoin de dire maman comme pour me rassurer encore. Pour me dire que moi aussi j'ai eu une mère, même si le lien entre nous aura été d'une telle bizarrerie... Je nous dois bien cela. Pourquoi je reviens encore à cela ? Pourquoi partir de ce constat que la guerre est inéluctable pour parvenir à la mort de maman. Tout simplement par ce que sans doute c'est à cette occasion qui nous est offerte, la guerre ou la mort et ce même si nous imaginons les circonstances désagréables, que nous sommes sans doute le plus nous-mêmes véritablement. Sans les oripeaux, les déguisements, les mensonges dont nous nous revêtons dans l'illusion du groupe, de la famille de la patrie ou je ne sais quelle autre illusion , nécessaire pour nous distinguer au sein de la confusion générale. En fait comme à peu près à chaque fois que j'écris je me laisse déborder par les mots qui s'inscrivent. Cette fois comme le petit Poucet j'ai pris soin d'inscrire quelques mots clefs dans la case "étiquettes" de l'éditeur que j'utilise pour rédiger ces billets. J'avais écrit "avoir un but", "supporter la douleur" et "croire en un but". J'avais pensé à la question, à la torture je crois en démarrant ce texte. Je m'étais posé la question de savoir si mon but en tant qu'être humain me permettrait de résister à toutes les douleurs qu'un bourreau pourrait m'affliger pour obtenir je ne sais quelle information. Ce qui m'a amené à considérer cette idée de but. Puis partant, en remontant encore en amont du but ce qui pouvait sans faille le créer. Je ne trouve que la foi comme source ou comme raison et cause. Donc pour résumer et pour résister à la torture , il faut croire qu'un but existe même si on ne sait pas lequel car nous ne savons pas qui nous sommes sans cette foi. Peut-être que pour résister à la douleur il faut croire qu'il existe un but, et qu'à force d'y croire il finira par exister vraiment. Peu importe si on y laisse sa peau sous la main du bourreau. Et là comme vous me voyez je peux très bien être Harrison Ford avec tout son attirail d'aventurier le précipice est devant moi, j'avance une jambe, je ferme les yeux et j'avance. Bien sur c'est très américain, cinématographique, risible à première vue. Joe Biden sans doute aussi a coiffé un drôle de chapeau mou alors que le monde entier est face au précipice. Avance t'il aussi sa jambe pour voir si quelque chose de solide supporte le poids de sa foi , de son idéal américain, de sa croyance dans le pognon, dans la démocratie à l'américaine ? Et s'il s'agissait seulement d'un pari encore, d'une simple bévue, une erreur nécessaire juste avant de projeter le monde dans un cataclysme ? Comme ma grand-mère le disait à juste raison il ne faut pas tenter le diable surtout si on a la certitude qu'il n'existe pas. Bientôt la fin de l'ère du poisson, on ne pourra plus filer entre deux eaux. Je ne pourrais plus non plus achever mes textes en queue de poisson ni peindre avec une queue de morue. Quant à l'ère du Verseau elle promet effectivement d'être plutôt glaciale du point de vue des gens qui vivent aujourd'hui. L'émotion ne sera plus nécessaire, les sentiments non plus mais ce sera probablement à ce prix que l'âge d'or reviendra. Etrange âge d'or, incompréhensible encore à l'aube d'une nouvelle fin du monde.|couper{180}
Carnets | avril 2022
notule 9
Si je dis je de façon inconsidérée c’est un blasphème. Si je est un personnage crée par soi c’est différent. Mais c’est dangereux. Le danger de confondre moi et soi. Le blasphème serait de dire je au présent sans rien créer. Je crée mais ce n’est jamais l’ego qui crée. De même pour les maladies On ne devrait pas dire j’ai mal Mais plutôt j’ai eut mal jusqu’à présent Et c’est déjà du passé. Ça a l’air con comme ça si on n’est pas dedans. Mais si on y est c’est magnifique ! Cela dit voilà l’exemple typique d’un tableau bousillé suite à une erreur d’aiguillage entre je et soi.|couper{180}