Après Tolkien — fragmentation, mondialisation et futur de l’imaginaire
Avec Tolkien, la fantasy moderne s’était dotée d’un socle mythologique. Le Seigneur des Anneaux offrait un monde cohérent, une profondeur historique et linguistique, une consolation fondée sur la victoire fragile du bien. Mais dès les années 1960–70, ce modèle devient objet d’imitations et de contestations. L’essor du marché de poche aux États-Unis assure à Tolkien une diffusion massive. L’édition Ace Books (1965), bien que non autorisée, puis la réédition Ballantine Books, propulsent The Lord of the Rings au rang de phénomène générationnel. Les étudiants, la contre-culture hippie, se reconnaissent dans la communauté des Hobbits, symbole de résistance à l’industrialisation et à la guerre du Vietnam. Cette réception transforme Tolkien en mythe collectif. Mais elle ouvre aussi la voie aux imitateurs. Terry Brooks publie The Sword of Shannara (1977), copie assumée de Tolkien, succès de librairie qui inaugure la « high fantasy » codifiée : quête, magie, créatures, mal absolu. Margaret Weis et Tracy Hickman lanceront les Dragonlance Chronicles (1984–85), mélange de roman et de jeu de rôle, consolidant les archétypes. La fantasy devient un genre industriel, répétitif, où l’héritage tolkienien est recyclé. C’est contre cette récupération que Michael Moorcock prend position. Dans son essai pamphlétaire « Epic Pooh » (1978), il accuse Tolkien d’évasion infantile, de nostalgie conservatrice. Pour Moorcock, la Terre du Milieu est une pastorale idéalisée qui détourne le lecteur des réalités du monde moderne. Ses propres récits, notamment le cycle d’Elric de Melniboné (1961–72), incarnent une réponse radicale : anti-héros albinos, dépendant d’une épée vampirique, Elric subvertit l’archétype du héros vertueux. L’ordre cosmique n’est plus manichéen, mais oscillant entre Loi et Chaos. Là où Tolkien cherchait la consolation et l’harmonie, Moorcock installe le tragique et l’ambivalence. Cette tension marque une première fracture : d’un côté, la fantasy tolkienienne se multiplie sous forme de clones, répondant à une demande de marché ; de l’autre, une veine critique s’affirme, refusant la consolation et explorant la noirceur. Déjà, l’imaginaire se fragmente. Le mythe restauré par Tolkien devient objet de déconstruction.
À partir des années 1970, l’imaginaire sort du face-à-face Tolkien/Moorcock pour s’élargir et se diversifier. La fantasy cesse d’être un bloc homogène : elle devient un champ polyphonique, où se mêlent anthropologie, postmodernisme, horreur et introspection. Ursula K. Le Guin inaugure une autre voie avec le cycle de Terremer (Earthsea, 1968–2001). Ici, pas d’empires ni de royaumes féodaux : un archipel de petites îles, une magie fondée sur le vrai nom des choses, un héros qui doit apprendre à reconnaître son ombre intérieure. Le Guin, marquée par l’anthropologie de son père Alfred Kroeber et par le taoïsme, propose une fantasy du juste équilibre, où l’adversaire principal est souvent soi-même. Ses récits, comme A Wizard of Earthsea (1968) ou The Tombs of Atuan (1971), déplacent le centre de gravité : la quête n’est plus conquête mais initiation, retour à soi. Elle ouvre la voie à une fantasy philosophique et anthropologique, qui rompt avec les archétypes héroïques. Gene Wolfe, avec The Book of the New Sun (1980–83), brouille encore davantage les frontières. Sous une apparence de science-fantasy (un futur très lointain où la technologie se confond avec la magie), il construit un récit narré par un bourreau, Severian, doté d’une mémoire parfaite mais d’une fiabilité douteuse. L’imaginaire devient labyrinthe narratif : la voix du narrateur est elle-même un piège. Wolfe mêle héritage chrétien, symbolisme médiéval et spéculation futuriste, dans une langue dense et allusive. Ici, la fantasy n’est plus consolation mais énigme, texte à décrypter. Dans un autre registre, Stephen King intègre l’imaginaire au quotidien. The Stand (1978), It (1986) et surtout le cycle de The Dark Tower (1982–2004) hybridisent horreur, fantastique et fantasy. Chez lui, la frontière entre monde réel et monde imaginaire se dissout. L’Amérique contemporaine devient territoire hanté, traversé de forces surnaturelles. King inscrit l’imaginaire non pas comme échappée, mais comme infiltration : le quotidien est toujours prêt à basculer. Neil Gaiman, enfin, avec Sandman (1989–1996), puis American Gods (2001), pousse la logique postmoderne. Sandman tisse une mythologie contemporaine où cohabitent dieux antiques, figures oniriques et références pop culture. American Gods imagine des divinités nées des croyances modernes (médias, argent, technologie) qui s’affrontent aux anciens dieux immigrés. Ici, la fantasy devient réflexive : elle parle des mythes, de leur survivance et de leur transformation dans le monde contemporain. Ces auteurs illustrent la diversification des voix après Tolkien. L’imaginaire n’est plus unifié par une grande fresque mythologique. Il devient mosaïque : anthropologique (Le Guin), énigmatique (Wolfe), hybride (King), postmoderne (Gaiman). Chacun s’empare des formes héritées pour les déplacer, les interroger, les fragmenter. Le résultat est une fantasy plurielle, qui ne se contente plus de restaurer un mythe mais en explore les brisures.
À partir des années 1990, l’imaginaire bascule vers une tonalité plus sombre, plus politique. Le modèle tolkienien de la consolation est mis en crise. L’époque impose d’autres questions : effondrement des idéologies, brutalité de l’histoire récente, scepticisme vis-à-vis des récits de salut. La fantasy se teinte alors de réalisme cru, de violence, de désenchantement. George R. R. Martin en est la figure emblématique. Avec A Song of Ice and Fire (à partir de 1996), il construit une fresque monumentale qui subvertit les codes de la high fantasy. Les lignées royales y sont corrompues, les héros meurent brutalement, la magie est rare et ambiguë. A Game of Thrones (1996) ouvre la série par une mise en scène classique — maisons nobles, menaces surnaturelles — mais l’évolution du récit détruit toute illusion héroïque. La politique, la trahison, la contingence dominent. La célèbre phrase « Valar morghulis » (tous les hommes doivent mourir) résume cette logique : pas de Providence, pas d’eucatastrophe, seulement la brutalité du réel. L’adaptation télévisée (HBO, 2011–2019) amplifie ce tournant, exposant la fantasy au grand public mondial comme une littérature de cruauté et de pouvoir. Dans un autre registre, China Miéville incarne le New Weird. Avec Perdido Street Station (2000), The Scar (2002) et Iron Council (2004), il invente la cité tentaculaire de New Crobuzon, saturée de créatures hybrides, de technologies organiques, de mutations grotesques. La fantasy y rencontre le steampunk et l’horreur biologique. Miéville, marqué par le marxisme et la critique sociale, fait de son imaginaire une parabole politique : exploitation, révolution, luttes de classes transposées dans un univers monstrueux. Ici, l’étrangeté ne console pas, elle critique. Le « grimdark », terme forgé à partir du slogan de Warhammer 40,000 (« In the grim darkness of the far future… »), désigne cette tonalité. Joe Abercrombie (The First Law trilogy, 2006–2008) en est le porte-drapeau. Ses personnages sont des anti-héros violents, cyniques, souvent plus intéressés par leur survie que par une quelconque quête. L’humour noir remplace l’idéal chevaleresque. Glen Cook, avec The Black Company (1984–2000), avait déjà ouvert la voie : une fantasy militaire où la fraternité des mercenaires prime sur tout destin providentiel. Ce tournant sombre reflète l’air du temps. Après la guerre froide, les illusions de grands récits s’effondrent ; après le 11 septembre 2001, la violence et l’instabilité deviennent la norme mondiale. La fantasy absorbe ce climat. Elle n’est plus le lieu de la consolation mythologique, mais celui où s’expriment les fractures du politique et du social. Le mythe n’est pas aboli : il est retourné en cauchemar réaliste, miroir du désordre contemporain.
Au tournant du XXIᵉ siècle, l’imaginaire s’ouvre à une pluralité de voix et de géographies. Ce qui avait longtemps été une affaire anglo-américaine, enracinée dans Poe, Dunsany, Lovecraft et Tolkien, se décentre. La mondialisation littéraire fait émerger de nouvelles traditions, de nouvelles cosmogonies, de nouvelles manières de penser le mythe. N. K. Jemisin s’impose comme une voix majeure avec The Broken Earth (2015–2017), trilogie récompensée par trois prix Hugo consécutifs. Elle y mêle apocalypses écologiques, séismes permanents, oppression systémique. Son univers n’est pas seulement inventé : il réfléchit la condition raciale et politique contemporaine. Jemisin revendique une écriture où la fantasy devient espace de critique, lieu où se rejouent l’esclavage, le racisme, l’exploitation, mais transposés dans un imaginaire inédit. Elle ouvre la voie à une fantasy « afrofuturiste », enracinée dans les mythes africains mais projetée dans l’avenir. En Chine, Liu Cixin renouvelle la science-fiction avec The Three-Body Problem (Le Problème à trois corps, 2008–2010). Ce cycle introduit dans l’imaginaire mondial une vision cosmologique d’inspiration chinoise, où les civilisations extraterrestres et l’astrophysique se mêlent à la mémoire traumatique de la Révolution culturelle. La SF devient ici une manière de relire l’histoire politique nationale autant que de spéculer sur l’avenir du cosmos. Sa traduction en anglais (2014) et le prix Hugo remporté en 2015 ont marqué l’entrée officielle de la Chine dans la scène mondiale de l’imaginaire. Du côté du Japon, Haruki Murakami pratique une forme de fantastique minimaliste. Dans Kafka sur le rivage (2002) ou 1Q84 (2009–2010), le merveilleux s’infiltre dans le quotidien, discret, irréfutable. Ses récits se construisent comme des rêves éveillés, où le réel se fissure par petites touches. Loin de la fresque mythologique, Murakami explore la porosité entre monde intérieur et monde extérieur, une forme d’onirisme urbain propre au Japon contemporain. Dans le sous-continent indien, Salman Rushdie avait déjà ouvert la voie avec Midnight’s Children (1981) et The Satanic Verses (1988) : une écriture où le réalisme magique, hérité de García Márquez, rencontre les mythologies indiennes et l’histoire coloniale. L’imaginaire devient ici postcolonial : il ne se contente pas d’inventer des dieux, il revisite ceux d’une culture multiple, fracturée par l’histoire. L’effet est clair : la fantasy et la science-fiction cessent d’être un monopole occidental. Elles deviennent un champ mondial. Des auteurs nigérians (Nnedi Okorafor, Who Fears Death, 2010) aux écrivains arabes ou latino-américains, chaque aire culturelle propose ses propres mythologies, ses propres visions du monde. L’imaginaire devient polycentrique. Cette mondialisation n’efface pas l’héritage de Tolkien ou de Lovecraft : elle l’intègre, le détourne, le hybridise. Jemisin reprend la structure de la fresque tolkienienne mais en fait une fable politique et écologique. Liu Cixin reprend le vertige cosmique de Lovecraft mais le transpose dans une perspective matérialiste chinoise. Murakami reprend l’onirisme de Dunsany et le réduit à une faille dans le quotidien. Rushdie, enfin, retourne l’héritage des mythes pour interroger l’identité contemporaine. Ainsi, l’imaginaire du XXIᵉ siècle se distingue par sa diversité. Il ne cherche plus un mythe unique : il multiplie les voix, les cosmogonies, les récits. La Terre du Milieu était un monde unifié ; notre époque préfère la mosaïque.
Depuis la fin du XXᵉ siècle, l’imaginaire ne se joue plus seulement dans les livres. Il circule, se transforme, se multiplie à travers le cinéma, les séries, les jeux de rôle, les jeux vidéo. Le mythe n’est plus l’œuvre d’un auteur isolé : il devient collectif, interactif, transmédiatique. Le jeu de rôle marque un tournant décisif. Dungeons & Dragons (1974) s’appuie directement sur l’héritage tolkienien : races (elfes, nains, orques), classes (magicien, guerrier), univers pseudo-médiévaux. Mais il transforme la fantasy en pratique collective : les joueurs créent ensemble des récits improvisés, portés par des règles. La narration devient partagée. Le mythe se vit en groupe. Quelques années plus tard, Call of Cthulhu (1981) transpose Lovecraft dans le jeu : non plus la quête héroïque, mais l’enquête vouée à l’échec et à la folie. Ces jeux installent l’imaginaire dans une pratique active, participative, où les frontières entre auteur et lecteur s’effacent. Le cinéma amplifie cette mutation. Star Wars (1977) de George Lucas devient une mythologie contemporaine, empruntant à Joseph Campbell (The Hero with a Thousand Faces, 1949) la structure du voyage du héros. Tolkien, Lucas, Campbell : un triangle fondateur de l’imaginaire populaire moderne. Puis viennent Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson (2001–2003), qui mondialise la Terre du Milieu en blockbuster, et Harry Potter de J. K. Rowling (1997–2007 ; films 2001–2011), qui crée une mythologie accessible aux adolescents et devient phénomène global. Ces sagas installent l’imaginaire au centre de la culture de masse. Les séries prolongent ce mouvement. Game of Thrones (HBO, 2011–2019), adaptation de Martin, diffuse la fantasy à un public inédit, introduisant violence, politique et sexe à grande échelle. L’imaginaire n’est plus périphérique, il devient mainstream. Les jeux vidéo, enfin, constituent l’un des grands laboratoires du mythe contemporain. The Elder Scrolls (depuis 1994) offre un monde ouvert aux mythologies multiples. Dark Souls (2011) et Bloodborne (2015) développent une esthétique lovecraftienne, où l’histoire est fragmentaire, transmise par l’exploration et l’indice. Ici, le joueur n’est pas spectateur mais acteur : il reconstruit le mythe en jouant. Cette transmédialité modifie profondément la fonction du récit. Chez Poe, Dunsany, Lovecraft, Tolkien, l’imaginaire se transmettait dans un texte clos. Aujourd’hui, il circule entre médias, se prolonge par les fans, se recompose en permanence. Les communautés en ligne inventent, commentent, détournent. L’imaginaire devient collectif et mouvant. Le mythe ne se reçoit plus seulement : il se pratique.
L’imaginaire n’a jamais cessé de se transformer. Après Tolkien, il s’est fragmenté, mondialisé, diffusé à travers tous les médias. Mais qu’en sera-t-il demain ? Plusieurs lignes de force émergent déjà. La première est écologique. La climate fiction (cli-fi) s’impose comme un horizon narratif. Kim Stanley Robinson (The Ministry for the Future, 2020), Margaret Atwood (MaddAddam Trilogy, 2003–2013), ou encore N. K. Jemisin prolongent cette veine. Le récit d’imaginaire devient laboratoire de l’avenir climatique, lieu où s’expérimentent les possibles du désastre et de la survie. L’apocalypse n’est plus surnaturelle : elle est environnementale. La seconde est technologique. Les intelligences artificielles, les réalités virtuelles, les métavers offrent un nouvel espace mythologique. L’imaginaire ne se contente plus de représenter : il s’incarne dans des environnements interactifs. Les IA génératives, capables de produire textes, images, voix, participent déjà à la création de fictions. Le risque, mais aussi la promesse, est celui de mythologies numériques collectives, produites non plus par un auteur mais par des communautés augmentées par la machine. La troisième est géopolitique et culturelle. L’imaginaire se décentre. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine proposent leurs propres cosmogonies. La pluralité s’impose : pas de mythe universel, mais une mosaïque mondiale. Ce que Tolkien voulait pour l’Angleterre — une mythologie nationale — se déploie aujourd’hui à l’échelle planétaire, chaque culture inventant ses propres récits fondateurs. Enfin, une quatrième tendance est plus incertaine : la quête d’un mythe commun. Dans un monde fragmenté, saturé de récits concurrents, il reste la possibilité qu’un nouvel imaginaire collectif émerge, comme Star Wars l’a fait en 1977 ou Harry Potter en 1997. Peut-être à travers un médium encore à inventer, peut-être à travers une hybridation du jeu, du texte, du cinéma, de l’interaction. Le mythe de demain sera sans doute transmédiatique, participatif, et global. Ce qui est certain, c’est que l’imaginaire garde sa fonction ancienne : dire le monde, le rendre habitable, négocier avec la peur et le désir. Poe, Dunsany, Lovecraft, Tolkien répondaient chacun à leur époque. Depuis, d’autres voix ont fragmenté, contesté, prolongé. Et demain, d’autres encore inventeront. Car l’imaginaire, toujours, est ce qui nous permet d’habiter l’inconnu.
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Qui tient le dictionnaire des noms ?
Dans les systèmes numériques, un « nom » n’est pas un simple label : c’est une poignée opératoire. Le Triangle de Zooko soutient qu’un système de noms ne peut pas être à la fois humain-mental (mémorisable), sécurisé et décentralisé — on n’obtient que deux propriétés sur trois. Les DIDs (Decentralized Identifiers — Identifiants décentralisés), normalisés par le W3C, prétendent recomposer ce triangle : des identifiants contrôlés par leurs détenteurs, résolvables sans autorité centrale, vérifiables cryptographiquement, et reliés à des preuves (verifiable credentials). Que résolvent-ils vraiment ? Et que laissent-ils ouvert ? (Wikipédie) Le triangle de Zooko Le Triangle de Zooko pose une contrainte simple et tenace : pour un système de nommage (noms d’utilisateurs, adresses, domaines, identités), on voudrait des noms mémorisables par des humains, sécurisés (difficiles à usurper) et décentralisés (sans racine d’autorité unique). La conjecture dit : choisissez-en deux. Le DNS (avec DNSSEC) est humain-mental et sécurisé, mais centralisé (racines ICANN). Les adresses bitcoin ou .onion sont sécurisées et décentralisées, mais illisibles pour l’humain. D’autres systèmes bricolent des répertoires locaux « de confiance » : humains et parfois sécurisés, mais qui ne passent pas l’échelle globale. (Wikipédie) Cette trilemme a suscité, depuis vingt ans, des tentatives de « carré » : tout avoir. Les années 2010 ont vu émerger des solutions à base de blockchain (Namecoin, ENS, Handshake…) promettant des noms lisibles, sécurisés et décentralisés. Les papiers techniques restent partagés sur le verdict : gains réels (résistance à la censure, auto-authentification), mais coûts en gouvernance, risques de captation de noms rares et attaques Sybil si les mécanismes d’attribution sont faibles. Le triangle n’est pas renversé, il est déplacé : une propriété « gagnée » se paie ailleurs (allocation, arbitrage, lisibilité universelle). (arXiv) C’est dans ce paysage que le W3C a standardisé les DIDs — Decentralized Identifiers (DID) v1.0 — Identifiants décentralisés — en Recommandation (19 juillet 2022). Un DID ressemble à ceci : did:method:clé, où method indique comment résoudre l’identifiant (dans une blockchain, un registre distribué, un service pair-à-pair…), et clé pointe vers un document DID (DID Document) qui contient des métadonnées : clés publiques, services de résolution, paramètres de rotation ou de révocation. L’idée : découpler l’identité d’une personne ou d’un service de tout registre central, tout en permettant la vérification cryptographique et la portabilité. (W3C) Les DIDs prennent sens avec les Verifiable Credentials (VC — Justificatifs vérifiables), également normalisés au W3C — Verifiable Credentials Data Model v2.0 (Recommandation, 15 mai 2025). Un VC est un ensemble d’assertions signées (ex. « cette personne possède tel diplôme »), émis par une autorité (université, administration) à destination d’un titulaire, qui peut ensuite présenter ces preuves à un vérificateur — sans exposer plus d’information que nécessaire (sélective disclosure), et avec des mécanismes de révocation/expiration. L’émetteur et le vérificateur peuvent chacun être identifiés par des DIDs. Ensemble, DIDs + VC visent une promesse : sécurité, décentralisation, et — via des alias locaux — un certain confort humain. (W3C) Où gagne-t-on par rapport au triangle ? Sécurité : l’authenticité se prouve par cryptographie (signatures, preuves), et la rotation de clés limite l’usurpation durable. Pas besoin d’un certificat X.509 adossé à une CA géante ; on peut vérifier à la volée via le DID Document. (W3C) Décentralisation : pas de racine unique ; chaque méthode DID (did:key, did:web, did:ion, etc.) définit son substrat (du simple fichier HTTPS aux ancrages sur des réseaux distribués). On substitue une fédération de méthodes à la pyramide DNS/ICANN. (W3C) Humain-mental (partiel) : un DID n’est pas, en soi, mémorisable. Mais on peut lier un DID à un alias local (carte de contacts, carnet d’adresses, UI du portefeuille d’identité). L’humain ne retient plus la clé, il retient un nom de relation (petname). Zooko n’est pas nié ; on déplace l’exigence d’humanité vers la couche d’interface. (Wikipédie) Où le triangle continue de mordre Lisibilité globale : si chaque communauté maintient ses alias, le conflit de noms ressurgit à l’échelle globale (deux « @alice » pointant sur deux DIDs différents). Les DIDs n’éliminent pas le problème social d’arbitrage des noms rares ; ils le déplacent. (Wikipédie) Gouvernance de méthodes : la méthode DID est un point de confiance (qui maintient la chaîne, le registre, le fichier HTTPS ?). On troque la racine unique contre des racines multiples — il faut auditer les méthodes. (W3C) Expérience utilisateur : sans bons alias, l’humain reste face à des chaînes opaques. Les projets de noms « blockchain » (ENS, etc.) offrent des alias globaux, mais réimportent captation spéculative et litiges. (arXiv) En pratique, le paquet DID + VC + UI de petnames/contacts permet un compromis robuste pour ma série « Vrai nom » : on garde des noms opératoires (DIDs) découplés des personnes civiles, on atteste des attributs via des preuves révoquables, et l’on retrouve, côté humain, le nom vécu (alias de relation). Autrement dit : on sépare, enfin, nom qui agit et nom qui parle. À quoi cela sert-il pour tes thèmes (golem / EMET→MET / gestes d’arrêt) ? Geste d’arrêt : un VC peut être révoqué, un DID roté — équivalents techniques de MET (désactivation) plutôt que de la lettre magique. Ici, l’arrêt est procédural, journalisé, auditables. (W3C) Réduction de surface : au lieu d’user du nom-civil (exposé, indexable), on présente un VC minimal (« +18 ans », « membre de X ») sans livrer plus — moindre emprise des « golems de papier ». (W3C) Traçabilité maîtrisée : par séparation des rôles (émetteur / titulaire / vérificateur), on limite les corrélations sauvages. Là encore, le pouvoir ne disparaît pas ; il devient conditionné. Et les systèmes « tout-en-un » (ENS, Namecoin, Handshake) ? Ils fournissent des alias globaux (lisibles), ancrés sur des chaînes publiques. Ils « semblent » battre le triangle : lisibles et décentralisés et sécurisés. En pratique, ils obtiennent le trio au prix d’autres contraintes : gouvernance (qui tranche les collisions ?), inégalités d’allocation (accaparement précoce), et interopérabilité (hors DNS). Les études académiques sur ENS ou Namecoin confirment ces déplacements : on gagne en résilience, on perd en médiation institutionnelle. (arXiv) Encadré — Schéma minimal (triangle de Zooko, en texte) Humain-mental (mémorisable) /\ / \ / \ Sécure /______\ Décentralisé (anti- limites (sans racine usurp.) de Zooko) unique) Exemples rapides : DNS/DNSSEC → Humain + Sécure, pas Décentralisé. Adresses .onion / clés → Sécure + Décentralisé, pas Humain. DIDs + alias locaux → Sécure + Décentralisé nativement ; Humain via UI de relation (petnames). (Wikipédie) Encadré — Ce que les DIDs résolvent / ne résolvent pas Résolvent Vérification sans registre central (documents DID). (W3C) Rotation / révocation d’identifiants sans changer de « personne ». (W3C) Lien avec des preuves (VC 2.0) minimisant l’exfiltration de données. (W3C) Ne résolvent pas Conflits de noms lisibles à l’échelle globale (si on veut un « @alice » mondial). (Wikipédie) Gouvernance des méthodes (qui garde le substrat sain ?). (W3C) Ergonomie sans UI de qualité (sinon chaînes opaques). Lexique (réutilisable) Zooko’s Triangle — Triangle de Zooko : trilemme noms humain-mentaux / sécurisés / décentralisés (choisir deux). (Wikipédie) DID (Decentralized Identifier) — Identifiant décentralisé : identifiant vérifiable dont la résolution ne dépend pas d’une autorité centrale ; spécifié par le W3C DID v1.0. (W3C) DID Document : document associant au DID des clés, services et règles de mise à jour. (W3C) VC (Verifiable Credential) — Justificatif vérifiable : attestation signée (émetteur → titulaire → vérificateur), modèle W3C VCDM 2.0. (W3C) Petname — Nom de relation : alias local attribué par l’utilisateur (lisibilité sans prétention globale). (Wikipédie) À retenir (pour la série « Vrai nom ») Le triangle ne disparaît pas : on relocalise la contrainte. Les DIDs donnent des noms opératoires robustes ; les VC apportent des preuves révoquables ; l’interface fournit les noms vécus. Le pouvoir ne s’évanouit pas : il devient procédurel, auditable, révocable. Autrement dit : un cadre où nommer n’expose pas fatalement — à condition de garder la main sur qui résout quoi, avec quelles preuves, jusqu’à quand. Sources clés Triangle de Zooko — présentation & typologie (exemples DNS, .onion, Bitcoin). (Wikipédie) W3C — Decentralized Identifiers (DID) v1.0 — Recommandation (19 juillet 2022). (W3C) W3C — Verifiable Credentials Data Model v2.0 — Recommandation (15 mai 2025) + historique. (W3C) Analyse académique ENS / Namecoin (forces/limites, « solution au triangle » revendiquée). (arXiv) Sommaire de la série 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer) 2. Nommer pour prendre — Isis & Rê (Papyrus de Turin) 3. Nommer pour délier — Rumpelstiltskin (ATU 500) 4. Noms à l’ère réseau — Vernor Vinge 5.Argile et algorithmes — à Propos du Golem 6. Qui tient le dictionnaire des noms ? — Triangle de Zooko Voir tous les épisodes (page du mot-clé)|couper{180}
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I. Prologue — Pourquoi « vrai nom »
Le vrai nom : ce que les mots font (True Name : What Words Do) On appellera « vrai nom » une forme d’énoncé qui produit des effets réels : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un énoncé opératoire capable d’ouvrir, de lier ou de délier. La différence est concrète : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adressée, formée et conditionnée, le monde bouge — une guérison advient, un contrat tombe, une porte s’ouvre, une machine s’arrête. Pour s’orienter, trois régimes : le nom habilitant (confié dans une relation, il autorise et engage), le nom d’emprise (obtenu par ruse ou négociation, il donne prise et déplace la souveraineté sans forcément renverser l’ordre), le nom résolutoire (énoncé exact qui révoque sans violence ce que d’autres paroles ont lié). Le point commun n’est pas la solennité mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pièges à éviter : la métaphysique paresseuse du « mot secret qui surplombe tout » — un nom n’est vrai que par usage, s’il agit dans un cadre donné — et la réduction au papier administratif ou au handle en ligne — utile mais insuffisant si l’on n’explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n’est ni relique ni formulaire : c’est un opérateur enchâssé dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela éclaire l’obsession du golem : EMET → MET, une lettre effacée qui change l’état de la créature. Le détail formel — la lettre, l’ordre des signes, la condition d’énonciation — gouverne l’exécution. Mythes (Isis et le nom secret de Rê), contes (Rumpelstiltskin), fictions spéculatives (Le Guin, Vinge) et ingénierie des identités (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la même chose : la puissance d’un nom tient moins à sa beauté qu’à sa capacité à faire quelque chose quelque part, pour quelqu’un, contre quelque chose. La publicité d’un nom n’est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s’il fuit hors de la relation ; un nom d’emprise cesse d’être opératoire s’il est anticipé et encadré ; un nom résolutoire doit être proféré en face et à temps pour produire sa révocation. Le secret n’est pas fétichisme, c’est mesure de sécurité ; inversement, la publicisation ciblée est une stratégie de désarmement. Méthode pratique : à chaque « vrai nom », poser trois questions — qui nomme, sur quoi agit l’énoncé, comment s’arrête-t-il — et y répondre sans lyrisme : allié ou adversaire, corps ou contrat ou capacité de système, rétractation ou révocation ou expiration ou contre-énoncé. Cette discipline évite de croire que tous les noms se valent ou qu’un nom vrai serait irrévocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les épithètes de Rê ne soignent rien ; l’inventaire des prénoms plausibles ne délie rien ; l’Old Speech interdit le mensonge et donne un prix à la justesse ; chez Vinge, découvrir le nom civil derrière l’avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les réseaux, un identifiant robuste peut porter des preuves révoquables sans confondre personne vécue et personne de papier. Littérature et ingénierie s’éclairent : la première montre ce qu’est un nom exact, la seconde rappelle qu’un nom opératoire doit pouvoir être retiré et journalisé. Ambition modeste mais tenace : préférer le possible bien dessiné à la grandiloquence, et garder des règles claires sur la façon dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-clé rassemble les matériaux où le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, délie sans casser — et laisse, après usage, un monde un peu plus habitable. Sommaire de la série – 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer) – 2. Nommer pour prendre — Isis & Rê (Papyrus de Turin) – 3. Nommer pour délier — Rumpelstiltskin (ATU 500) – 4. Noms à l’ère réseau — Vernor Vinge – 5.Argile et algorithmes — à Propos du Golem – 6. Qui tient le dictionnaire des noms ? — Triangle de Zooko Voir tous les épisodes (page du mot-clé) Navigation — l’introduction ci-dessus, puis suivre l’ordre 1→6 Chaque article renvoie ici en pied de page (Sommaire).|couper{180}
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Rumpelstiltskin - Le Nain Tracassin
Sous l’entrée ATU 500 du catalogue Aarne–Thompson–Uther, l’histoire est toujours la même : un contrat impossible, un prix exorbitant (l’enfant à naître), et une clause de sortie qui tient en un mot — le nom. Dans Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin, dire le nom du personnage brise l’obligation. Ce conte, souvent rangé au rayon des « malices pour enfants », propose en réalité une théorie du contrat par le langage : ce qui lie peut être délié non par violence, mais par connaissance et énonciation exacte. Ce texte clarifie, pour notre série, l’autre face du « vrai nom » : non pas le nom qui donne prise, mais le nom qui retire la prise. Le ressort narratif paraît simple : un meunier fanfaron promet au roi que sa fille sait changer la paille en or ; mise à l’épreuve, condamné si elle échoue, la jeune femme voit surgir un petit être — Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin — qui accomplit l’impossible en échange. L’échange monte en intensité : premières fois contre colliers et bagues, dernière fois contre l’enfant qu’elle aura du roi. Accord scellé. À la naissance, désespoir ; l’être offre un sursis : si tu découvres mon nom en trois jours, tu gardes l’enfant. Le troisième jour, la reine apprend ce nom, elle le prononce ; l’obligation tombe. Fin. Tout est là, mais le conte nous intéresse moins par sa morale (prudence face aux promesses) que par sa mécanique contractuelle. La paille devenue or n’est pas un miracle : c’est un service rendu contre contrepartie. Au dernier tour, la contrepartie est illicite (l’enfant), mais le contrat est valide dans le monde du récit — jusqu’à l’introduction d’une clause résolutoire : le nom. Dire le nom n’est pas ici un sésame d’emprise (Isis sur Rê), c’est un geste d’arrêt : l’énonciation exacte révoque l’accord. D’où l’intérêt pour notre fil « écrire fait » : certaines phrases annulent ce qu’une autre a lié. Cette structure contractuelle se double d’un jeu sur le secret. Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin détient une puissance opératoire (filage de l’or) tant que son nom demeure inconnu. Le secret n’est pas décoratif ; il est la source de la contrainte. Dès que la reine obtient l’information — par enquête, écoute, hasard organisé selon les versions —, la publicisation (prononcer, à haute voix, en face) agit comme révocation. Il ne s’agit pas d’un porno du savoir : on ne veut pas « tout savoir », on cible un identifiant précis. C’est ici que le conte rejoint notre modernité technique : un identifiant exposé (vrai nom, credential, clé) change les rapports de force sans recourir à une force supérieure. Le conte, d’ailleurs, multiplie les façons de nommer : la plupart des prénoms proposés par la reine échouent parce qu’ils appartiennent à un répertoire public — liste plausible, statistiquement informée, mais non opératoire. Seule la forme exacte convient, celle qui indexe l’être, non son apparence. Dans plusieurs variantes, l’origine de l’information mêle hasard et travail : un messager ou la reine elle-même surprend le petit être qui chante son nom près d’un feu, la nuit, dans la forêt. La scène n’est pas innocente : le nom n’est pas arraché par torture ni donné par grâce ; il est entendu dans un contexte où le sujet se dévoile par jeu, hybris ou négligence. L’éthique implicite est nette : l’abolition du contrat ne procède pas d’un acte plus violent, mais d’un déplacement d’information. Il faut situer Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin parmi ses variantes. En anglais, Tom Tit Tot — Tom Tit Tot, Whuppity Stoorie — Whuppity Stoorie ; en gaélique, Gillidanda — Gillidanda ; en nordique, Titteliture — Titteliture. Toutes modulent le même motif : nom inconnu → pouvoir ; nom connu → chute. L’onomastique est ici un régulateur social : ce que le village sait ou ignore fait loi. La menace de l’« enfant pris » n’est pas qu’une terreur archaïque ; c’est la figure limite d’un contrat où la personne devient gage. Le conte n’approuve pas ce contrat ; il montre comment le défaire. Nous touchons là une asymétrie utile pour la série. Chez Le Guin (Terremer), le vrai nom se confie sous relation et lie ; chez Isis et Rê, le nom secret s’arrache et donne prise ; chez Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin, le nom exact fait tomber la prise. Trois régimes, trois fonctions. Notre vocabulaire peut s’ajuster ainsi : nom habilitant (Le Guin), nom d’emprise (Isis/Rê), nom résolutoire (Rumpelstiltskin). Dans tous les cas, un point commun : la forme de l’énoncé, non l’intensité dramatique, décide des effets. On dira : la reine « triche » en espionnant. Le conte ne blasonne pas la vertu ; il teste des outils. Que peut l’information précise ? Elle délie les contrats scélérats là où ni la force (armée du roi) ni la piété (prières) n’y suffisent. C’est une leçon politique minimale : il existe des situations où la connaissance remplace légitimement la contrainte. Cela n’innocente pas la ruse ; cela la norme : la ruse est ici publique, contradictoire, prononcée face à l’adversaire — elle expose le nom pour annuler l’emprise, puis cesse de circuler (on ne part pas en croisade pour révéler tous les noms). La scène de la nomination n’est pas une fête de l’humiliation ; c’est un acte de procédure. Le détail final varie : parfois le petit être s’emporte et se déchire en deux ; parfois il fuit ; parfois il tombe dans un trou. Ce débordement grotesque n’est pas le cœur du dispositif ; c’est sa déflation : une fois le nom connu, la figure perd de la substance. L’important est ailleurs : la reine récupère l’initiative, l’enfant reste, l’excès s’arrête. Pour notre série, l’enseignement tient en trois questions à poser à tout « nom » en jeu : 1) Quel type de lien instaure-t-il ? 2) Quel degré d’exposition exige-t-il ? 3) Quelle procédure permet de le révoquer sans violence ? Ce triptyque nous ramène à l’actualité la plus triviale : plateformes et politiques de « vrais noms » ; doxxing comme arme ; DIDs (identifiants décentralisés) et possibilités de révocation ; droit à l’effacement (RGPD). Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin ne fournit pas un modèle juridique, mais une grammaire : parfois, un contrat ne cède pas à la force, il cède à l’énonciation exacte. Et c’est précisément ce qui rend le conte durable : il apprend comment parler pour défaire. — Scène-source (résumé) Une jeune reine doit livrer son enfant à un être qui a filé la paille en or pour la sauver. Clause de sortie : découvrir son nom. Trois jours, une enquête, un chant surpris dans la forêt — « Rumpelstiltskin » —, l’énonciation en face. L’obligation tombe. — Ce que la scène nous apprend Nom résolutoire : dire le nom révoque un contrat. Secret opératoire : la puissance tient tant que le nom reste inconnu. Publicisation ciblée : la connaissance devient acte en étant prononcée à la bonne adresse. Éthique de la ruse : information contre violence ; procédure contre démesure. Encadré — Variantes utiles (ATU 500) Tom Tit Tot — Tom Tit Tot (Angleterre) : même clause, chant nocturne. Whuppity Stoorie — Whuppity Stoorie (Écosse) : variation dialectale, délai modifié. Titteliture — Titteliture (Scandinavie) : insistance sur la danse autour du feu. (Toutes : « nom connu → emprise révoquée ».) Lexique Nom résolutoire : énoncé qui annule une obligation. Nom d’emprise : énoncé qui donne prise (cf. Isis/Rê). Nom habilitant : énoncé qui autorise l’action dans un lien (cf. Terremer). Geste d’arrêt : procédure qui retire une capacité ou révoque un accord. Sommaire de la série – 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer) – 2. Nommer pour prendre — Isis & Rê (Papyrus de Turin) – 3. Nommer pour délier — Rumpelstiltskin (ATU 500) – 4. Noms à l’ère réseau — Vernor Vinge – 5.Argile et algorithmes — à Propos du Golem Voir tous les épisodes (page du mot-clé)|couper{180}