Nouveau mois, nouvelle sous-rubrique. L’année en compte douze. Elle-même est une sous-rubrique. À la racine, le carnet. Un carnet : l’incarné. Tu expliques ça à quelqu’un — sans doute à toi-même, puisque les autres s’en fichent. Il faut l’accepter. Même si c’est complètement faux, il faut l’accepter comme une donnée invariable. C’est à ce prix. Tu n’es pas ta meilleure ni ta pire compagnie. Tu es ta fatalité. Ta destinée, si tu préfères. Et les rubriques, les sous-rubriques se dispersent comme des objets célestes, filant à grande vitesse dans le néant, englouties par l’oubli. Je ne devrais pas glisser dans l’ironie. Je ne devrais pas faire tout un tas de choses. C’est parce que je ne devrais pas que je les fais. Caractériel peut-être, mais pas mouton. Pas docile au point d’oublier le petit jeu de pouvoir derrière les conseils, les « c’est pour ton bien », les « si tu continues… ». C’est à cet instant qu’il faut parler des poules. Quand les poules auront des dents, disait-on. Très probable qu’elles en ont désormais, au moment même où je perds toutes les miennes. Parlons donc de cette ironie, puisque tu brûles d’en parler. Tu peux commencer ton discours de toutes les façons possibles, on arrive toujours à ce point : tu ne peux t’empêcher d’être ironique. Autrement dit, tu montres ton amertume, ton pessimisme, au nez et à la barbe du monde entier — monde réduit à un lecteur sans visage, qui lirait et dirait : dommage, l’ironie est en trop.
Ce qui revient à donner au bavardage une fonction spéciale, comme à toute conversation. Faire comme si tout, au moment même où nous échangeons ces banalités, était normal. Nous savons que rien ne l’est, mais nous faisons semblant, en badinant, que ça le soit. Le bavardage devient alors un acte de lâcheté ou de courage. Les Anglais l’ont porté jusqu’à l’héroïsme. Les Français l’ont laissé glisser vers l’abjection, la délation, l’infect. La raison en est simple : en anglais, une conversation ressemble à un bruit de fond. En français, si par hasard tu y pénètres, l’impression d’être prisonnier du sens surgit aussitôt, l’agacement est immédiat. Tu verras là, peut-être, une bonne raison — la principale — pour laquelle tu ne lis qu’en anglais en ce moment. Ce qui est, bien sûr, inexact. Mais la tentation d’une conclusion trop logique était trop forte pour que tu la laisses en plan. Car la logique a désormais atteint un degré de stupidité crasse. Il faut garder toute ta vigilance pour ne pas t’y laisser endormir. Ne pas devenir l’un de ces somnambules par la bouche desquels la Logique, comme un démon possédant, s’exprime. Dans ce monde inversé la logique est la stupidité et la stupidité la seule voie de salut. Mais je vois que tu cherches encore à expliquer quelque chose qui n’interesse personne. Tu regardes tout autour il faut vraiment que ce personne existe n’est-ce pas. Tu cherches à expliquer pour créer ce golem fait de bavardage de bave, de colère, cette entité qu’on pourrait considérer et il faut absolument qu’on la considère ainsi —comme grotesque, burlesque. Une créature totalement inepte mais dont la fonction justement est de protéger le guetto du risque énorme que représente l’éradication de toute ineptie.
Du balcon de la Logique, sis au troisième étage des immeubles haussmanniens, nous vîmes jadis ses tenants insulter l’ineptie grouillante dans la rue. Ils en avaient peur. Ils avaient peur aussi pour leur tapis rouge, dans l’escalier qui s’arrêtait pile à leur étage. Alors ils dirent : nous avons bien une force publique destinée à contrer l’ineptie, envoyons-la. Une fois le calme rétabli, on dépêcha la voirie pour faire place nette, épousseter le génie perché au sommet de sa colonne, que tout ce vacarme avait un peu sali. Et tout revint dans l’ordre. La fenêtre se referma. La Logique fut sauve. Et tout recommença, exactement de la même manière.
Et toi, qui vis toujours au septième, dans ta petite chambre de bonne, tu vois tout cela défiler chaque jour dans ta tête. Bien sûr que tu le vois, et que tu ne l’oublies pas. Tu ne peux pas l’oublier. Même quand tu n’étais pas là, les choses se sont passées ainsi mille fois, et elles se reproduiront de la même façon. Ce ne sont pas les gens de bonne volonté qui sont les maîtres ici-bas. Ce ne sont pas les gens du tout. C’est tout à fait autre chose. Nommons-le l’Innommable et opposons-lui Personne, comme dans l’histoire de Polyphème. Reste à trouver les moutons. Le bélier auquel s’accrocher sous la fourrure, traverser le péage incognito, s’en sortir. Peut-être le temps est-il proche. Peut-être que la Saint-Glinglin est déjà là, aux portes de la cité. Nul ne le sait, même pas toi qui as l’air si souvent de tout savoir.
Intégration de quelques articles dans une nouvelle rubrique , une petite histoire de l’imaginaire en occident principalement, et dans la littérature fantastique.