Juillet 2019
4 juillet — Connais-toi
Adolescent, je pérorais sur les philosophes sans rien y comprendre. Le savoir, je l’ai cherché comme un pouvoir. À la quarantaine, de nouveau seul, la phrase de Socrate m’est revenue : "Connais-toi toi-même." En moi, ça a basculé en "accepte-toi toi-même." J’ai compris que tant que je refusais ce que j’étais, tout ce que je savais resterait du décor. Le savoir s’est mis à sentir le piège, cette manière élégante de répéter les mêmes croyances.
5 juillet — La guerre
Télé noir et blanc, début des années 60 : des guerres lointaines défilent. Au village, la guerre prend une autre forme : ragots, jalousies, phrases lâchées au comptoir. Hier, dans l’atelier des métiers d’art, un objet manque. La commissaire penche pour la maladresse enfantine, j’imagine un larcin. Aucun de nous n’a de preuve. Beaucoup de grandes guerres commencent peut-être comme ça : un objet manquant, un doute, et deux façons incompatibles de le supporter.
6 juillet — Chambre
Chambre d’hôtel meublée au minimum. La fenêtre donne sur la rue, le bruit monte sans creux. Je peine à trouver mes repères. Je décide d’accueillir le bruit comme il vient, cet endroit comme un familier que je ne connais pas encore. Je porte l’attention sur chaque morceau du décor. Répéter l’attention pour ne pas lâcher l’intention. Un matin, tout s’aligne un peu : le vacarme ne m’attaque plus, il fait juste partie du décor.
11 juillet — Avignon
Avignon, chaleur écrasante. Une jeune femme nous aborde pour "Un soir chez Renoir", promesse d’une accolade. Sur scène, Zola pousse pour une peinture à message, des tableaux qui sauvent. Renoir, Morisot résistent : ils parlent de lumière, d’instant à saisir. Dans le noir, j’entends le refus d’être messie. Toute l’année, j’ai voulu donner une mission à ma peinture. Eux me rappellent qu’un tableau peut se contenter de regarder le monde.
11 juillet — Ressentiment
Nietzsche avait vu juste : le ressentiment est une énergie bon marché. Il persuade chacun qu’il méritait mieux. L’autre devient un enfer parce qu’il renvoie notre propre laideur. On se renvoie l’image, chacun persuadé d’avoir raison. Ça ne ressemble pas à une grande théorie, juste à une façon d’aimer sans commentaire. Tant qu’on préfère écouter nos voix rancunières, la fin du monde peut encore patienter.
12 juillet — L’arbre
À l’entrée du village, un arbre ne donnait ni fleurs ni fruits. Un jour, un oiseau demanda : "Tu sais d’où tu viens, où tu vas ?" L’arbre n’en savait rien. L’oiseau repartit. Pour la première fois, l’arbre se mit à sentir le monde : la pluie, le vent, l’eau qui montait. Ça faisait mal et ça le tenait debout. Au printemps, l’oiseau revint. L’arbre ne répondit pas. À la place, il se couvrit de fleurs blanches.
13 juillet — Héros
Enfant, je bricolais des holsters dans des chambres à air pour rejouer Zorro. Ces héros me servaient de refuge contre la violence des adultes. En grandissant, je les ai oubliés. C’est en regardant mes tableaux que je les ai revus : chaque toile comme un épisode de série. J’ai ri en me découvrant fils de ces pères de fiction. Sans eux, je ne suis pas sûr que je serais arrivé vivant jusqu’à la peinture.
14 juillet — Répétition
Nous réagissons en pilote automatique : chercher le confort, éviter la douleur. En art, on encense la répétition des motifs qui rassurent le public. Tant qu’on pense avec les catégories des autres — ordre / désordre, utile / gâchis — on rejoue le même scénario. Le vrai travail commence quand on se forge ses propres définitions et qu’on utilise la répétition comme un choix, pas comme une contrainte.
21 juillet — Fin du monde
Allumer la télé, c’est avaler chaque soir une petite fin du monde : guerres, catastrophes, politique grotesque. À force, on finit par croire que tout va s’écrouler. Mais cette ambiance d’apocalypse renvoie chacun à sa propre échéance. Sentir que tout est limité peut donner envie de vivre autrement. Reste un choix simple : se consumer devant l’écran, ou prendre cette perspective de fin comme une invitation à traiter la vie avec plus d’attention.
7 juillet — Main tremblante
Je suis peintre. Depuis quelque temps, ma main droite tremble. Examens : rien de spécial. Cabinet de psy : je fais le malin, puis une voix de gosse sort. Je ne supporte pas. Je plante les séances. Je continue à l’atelier, je peins des toiles lourdes, sales. Ce matin, je pense à ce gamin. Au lieu de le renvoyer, j’ai une sorte de douceur pour lui. Je sens le gamin qui me fait signe. Je reste devant la toile, et ça suffit.