La première phrase
Longtemps je me suis couché de bonne heure en espérant que le lendemain matin, à condition d’avoir passé une excellente nuit, je n’aurais aucune peine à voir surgir, comme par magie, sur le papier, la première phrase de mon premier roman, ce qui bien entendu n’arriva jamais. J’eus beau essayer tout une série de stratégies comme par exemple ne manger qu’une soupe pour ne pas alourdir le processus complexe de la digestion, éviter de lire le moindre roman pour ne pas risquer d’être aussitôt influencé par son auteur, éviter toute effusion exagéré envers un tiers entre 21h et 21h30, heure de mon couché, je n’eus de cesse d’enfiler les échecs comme on peut, si toutefois on a le temps et une certaine obstination, enfiler des perles à un collier. Cette première phrase, celle qui me fit tant espérer et surtout tant souffrir, ne se présenta jamais autour de 7h, AM heure à laquelle transi je l’attendais, emmitouflé dans un pull tricoté par une réfugiée afghane ou turque je ne m’en souviens jamais, mais acheté à vil prix et qui m’enveloppait du col aux doigts de pieds (ou presque) oh oui je vous le jure je l’attendais, bien sur de pied ferme, avec mon stylo waterman encre violette en l’air.
Pour tenter de me consoler je me mis à n’écrire que les phrases suivantes, en laissant un blanc en tête de page. Personne n’y vit évidemment que du feu. Ce n’était bien sûr visible que pour moi seul, il y a ainsi des blessures secrètes qu’on ne serait dévoiler au monde sous peine d’en rougir jusqu’aux oreilles de honte.
Et puis plus tard j’ai bien regretté de n’avoir pas utilisé cette honte pour en faire un roman…
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}