
Dans la salle d’attente du pavillon C de l’hôpital Herriot à Lyon, ce dimanche matin, j’attends.
Un panneau représentant un personnage en fauteuil roulant blanc sur fond bleu turquoise sombre est occupé par une corbeille de plastique sombre dans laquelle on a placé un sac souple de plastique sombre également. Le bord ouvert du sac poubelle, visiblement plus grand que son récipient, a été retourné autour du bord du récipient. C’est un quart d’heure plus tard que j’ai vu qu’il y avait un strapontin replié contre le mur.
Les murs sont d’une couleur indéfinissable, entre blanc cassé et beige clair, avec par endroits, selon les éclairages, des rehauts de jaune.
L’éclairage est composé de quatre appliques à l’intérieur desquelles on peut imaginer des ampoules LED. Sur ma gauche, accroché au mur, un large écran semblable aux écrans plats de télévision affiche en noir les noms des patients qui se trouvent ici dans la salle d’attente.
À chaque fois qu’un nouveau ou une nouvelle venue entre en disant bonjour, presque tous les autres répondent à son bonjour. Certains sont plus audibles que d’autres. La plupart se réfugient aussitôt sur l’écran de leurs smartphones. Certains encore portent des lunettes noires.
Les sièges sont constitués de plastique dur, ajournés par endroits, dossier et emplacement pour s’asseoir (formant sur ce dernier un genre de motif en forme de demi-lune).
Sur un des murs, un palmier, tronc noir feuillage vert sapin, agrémenté de cactus aux coloris divers, bleu pâle, vert de vessie. Quelques fleurs rouges parachevant le tout. Ce qui rompt (un peu, à condition qu’on prenne le temps de le remarquer) avec l’austérité des lieux.
À travers tout cela, des images de cuisine diverses et variées me parasitent l’esprit. Notamment les images pêle-mêle de coins cuisine. Une table bancale le plus souvent, un morceau de toile cirée, un réchaud à deux feux et quelque part dans la chambre l’affichette "Gaz à tous les étages".
Lu la nouvelle proposition de F.B., mais pas encore visionné la vidéo. J’ai décidé de reporter une fois la rédaction de la proposition 02 achevée et publiée. D’ailleurs, j’ai fait exactement la même chose la semaine passée. Une semaine plus tard, je ne me souviens plus du tout du contenu de la proposition précédente. Ce qui entraîne, par conséquent, qu’il faudra que je lise à nouveau la proposition 02 et que je visionne la vidéo que j’avais reportée car je rédigeais la proposition 01.
J’essaie de ne pas penser à ces fêtes de fin d’année en feuilletant Espèces d’espaces encore une fois de retour de l’hôpital. J’en profite pour prendre quelques notes que je pourrai placer dans une entrée des carnets pour ce 1er décembre 2024.
Chez Perec, les contraintes formelles peuvent être soumises à des transformations de complexité croissante : l’oubli, qui s’accompagne souvent de sa propre désignation métaphorique ; la suspension momentanée, zone libre dans l’espace textuel réglé ; le dysfonctionnement volontaire ou « clinamen », affectant les règles du texte ou les structures de la langue ; la surcontrainte, qui ajoute une ou plusieurs exigences supplémentaires ; la métacontrainte : contrainte prévoyant à l’intérieur d’elle-même ses propres mécanismes d’autotransformation, ou modification d’une contrainte par une autre. Par ces diverses manœuvres, Perec impose au lecteur une activité de repérage, de mise ensemble et d’interprétation : bref, au contraire de la fascination passive, un défi tonique et jubilatoire.
(découvert et recopié en passant un bout d’ article sur ce site : https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1990-v23-n1-2-etudlitt2242/500924ar.pdf)
Dans Espèces d’espaces, Perec écrit : « Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d’autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur. »
Et encore : « Les immeubles sont à côté les uns des autres. Ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés : on dit alors qu’ils sont frappés d’alignement, cela veut dire que l’on est en droit de les démolir, afin de les reconstruire dans l’alignement des autres. »
Perec m’accompagne dans cette salle d’attente, où l’alignement des objets, des murs, des noms sur l’écran, semble imposer un ordre rigide mais vide de sens. Je traque, comme lui, les détails inutiles, les failles dans cet alignement — un strapontin replié, un palmier artificiel, un bonjour à peine audible.