28 février 2025

Je me suis réveillé avec cette phrase en tête. Ce qui est proche se doit de rester loin. Je me dépêche de la noter avant qu’elle ne s’efface, avant qu’elle ne rejoigne ces limbes où s’échouent les textes morts-nés, ceux qui naissent dans les rêves et n’atteignent jamais le jour.

Vers 2h. Un Doliprane effervescent. Puis relecture des Montagnes de la folie. (Hallucinées). Je n’avais jamais pris la peine de lire la préface de David Camus. Cette fois, je m’y attarde. C’est comme du Lovecraft, me suis-je dit. Puis l’esprit a bifurqué. Impossible de rester concentré. Le Procès. K. J’ai vu passer une annonce récemment. The Trial d’Orson Welles, avec Anthony Perkins dans le rôle de K. J’ai cherché, retrouvé, visionné une bonne partie du film en attendant que le médicament fasse effet.

Il doit y avoir un lien entre HPL et Kafka. Ces personnages, chez Lovecraft, contraints de dire alors qu’ils préféreraient se taire. Comme K., figé devant le portail de la Justice. Et puis cette idée : Ce portail, il l’a créé lui-même. Ce n’est pas une barrière extérieure. C’est sa propre idée de la Loi, un concept d’inaccessibilité qu’il est condamné à ne jamais franchir. Parce que son rôle, le seul qu’il s’autorise en silence, c’est de ne pas pouvoir passer. Et alors, une évidence : L’absurde d’hier paraît aujourd’hui plus réel que jamais.

J’ai toujours pensé que nous étions les créateurs de tout ce que nous traversons. Que nous étions, chacun, à l’origine de nos propres labyrinthes. Que le sens de cette existence ne se joue pas dans le rêve que nous appelons réalité, mais dans une autre dimension, un hors-champ immense, supranaturel, qui nous dépasse. Que nous ne sommes que des histrions, des figures égarées sur une fresque gigantesque dont nous ne percevons que les contours.

Un couloir d’hôpital. Sous terre. Des centaines de corps nus, entassés sur des étagères. Les camps. Mais quelque chose cloche. Les corps ne sont pas maigres. Ils sont luisants, pleins, presque gras. Et de leur juxtaposition insensée se dégage une étrange sensualité. Un mélange de visions. Je ne sais pas si c’est un rêve ou un souvenir.

Au moment où j’écris ces lignes, la douleur est supportable. La douleur est une foreuse de conscience. Avoir mal est une chose. Entretenir ce mal en est une autre. Mais quand ai-je compris cela pour la première fois ? Je ne sais plus. Était-ce ce jour où je suis resté allongé sur le carrelage froid de la cuisine à V., après une trempe magistrale ? Cette sensation de froid collé à la peau, ce corps immobilisé, incapable de pleurer, incapable même de penser ? Mais détaché totalement de cet ensemble bourreau/victime qui, dans le recul soudain, ne faisait plus qu’un. Ou était-ce cette autre fois, dans l’enfance, quand la branche du cerisier s’est rompue sous mon poids, m’envoyant percuter la terre avec une violence inattendue ? L’impact. La douleur vive. La respiration coupée. Ce moment suspendu où on se demande si l’on va se relever. On revisite la chute et l’on s’aperçoit que tout ne tombe pas au même rythme. Un précipité reste suspendu. Un témoin silencieux qui observe l’ensemble.

Ou peut-être n’était-ce ni l’un ni l’autre. Peut-être était-ce J., et son absence soudaine. Sa disparition. Un matin, elle n’était plus là. Et alors, ce n’était plus une douleur localisée. C’était autre chose. Un vide sidéral, froid, effroyable. Mais encore une fois, l’étrange possibilité de mise à distance, de mise en abîme.

Ce racisme que tant de gens reprochent à Lovecraft me fait penser à un rêve récurrent de mon enfance. Un géant terrassé par des créatures affreuses. (Gulliver ?). Leur langage était la pire torture. Plus que les coups. Plus que la douleur physique. Je ne sais pas si c’était la peur de l’étrangeté, de l’étrange, ou de l’étranger. Je ne sais même pas si c’était de la peur. C’était du mépris. On pouvait me torturer autant qu’on le voulait, cela ne m’effrayait pas. Je comprenais que ces créatures existaient parce que je les inventais. Elles tiraient leur raison d’être à la fois de mon mépris pour elles et de leur mépris pour moi. Elles étaient les sentinelles d’un territoire inconnu. Elles m’accompagnaient dans cette tâche absurde : Explorer quoi ? L’âme humaine ? La douleur ? L’illusion magistrale que je m’étais inventée afin d’essayer, chichement, de m’incarner dans ce monde.

Carnets | février 2025

27 février 2025

Ce texte, entre carnet et fiction, capte des fragments d’un quotidien où la distance s’installe, où le monde semble légèrement se déliter. Réel ou réécrit ? Peu importe. Il s’agit ici d’explorer un état, une impression fugace.|couper{180}

Autofiction et Introspection Espaces lieux Lovecraft

Carnets | février 2025

26 février 2025

Hier soir, panne d’ordinateur. Ubuntu en emergency mode. Sans doute après avoir tenté d’introduire Balzac dans le port USB. En fait, non. Ce n’est pas tant l’insertion qui posait problème, mais le montage ensuite. (Je prévois un certain effarement à la relecture de ce texte simultanément à sa rédaction). Problème de format, en tout cas. Et de permissions. Il fallait être le super-utilisateur, le Root de chez root. Or, je ne suis que ce que je suis. Déraciné. J’ai bien galéré, et pour finir, j’y suis arrivé. Comme toujours, en vérité. Du moins, avec ce qui m’intéresse essentiellement. Pour le reste, aucune pugnacité, un désintérêt absolu, voire un j’m’en foutisme total. Vers 20h, enfin, j’ai réussi à me souvenir des manipulations oiseuses effectuées dans le fstab pour faire fonctionner la clé USB. Après avoir commenté la ligne en question, et tout revint dans l'ordre instantanément. Le mardi reste un jour mystérieux. C'est une journée où je ne donne pas cours. Où je ne donne pas suite aux solliciations incessantes du monde. S. part généralement vers 11h pour voir sa vieille mère. Je suis seul jusqu’à 16h, parfois 17h. J’oscille entre écriture et lecture, me laissant porter par l’une ou l’autre selon l’humeur. Hier, j’ai suivi David Camus dans son périple sur une bonne centaine de pages, dans Autour de Lovecraft que j'ai retrouvé en faisant du ménage dans mes disques durs. Et soudain, une angoisse. Si ce récit était une nouvelle de fiction ? Et si ce personnage, tellement attachant, baptisé David Camus par David Camus lui-même, n’existait pas ? Si toute cette histoire s’était déroulée totalement différemment ? A cet instant vertige car je me suis retrouvé face à la pensée affreuse qu'il s'agissait d' une sorte de trahison. Et j'ai compris que si j'étais capable d'imaginer ce genre de chose, d'en avoir une trouille bleue, c'est que cela touchait un point névralgique en moi. Que j'étais absolument capable de balader le lecteur et moi-même sur des pages et des pages sans aucun scrupule quant au contrat tacite qu'impose la relation écrivain lecteur, et vice versa. La pensée m’a tenu en éveil jusqu’à une heure avancée de la nuit. À la fin, en sentant enfin le sommeil venir, je me suis moqué de moi-même, de ma candeur enfantine. Je l’ai même saluée amicalement, car elle m’a semblé, à cet instant, précieuse. Ce matin, il ne me reste que de très vagues impressions des paysages et des êtres rencontrés durant ma courte nuit. À l’image de ma vie réelle, sans doute. Ce qui relance, une fois de plus, la question : qu’est-ce que je fais de ma vie ? Qui suis-je ? Suis-je le personnage d’un rêve que je ne parviens pas à rêver moi-même ? Un simple figurant dans une production cosmique ? Je ne peux pas vraiment évoquer la jalousie. Je crois que ce mot est une rustine que je convoque par paresse et ce depuis que l'on m'a apprit à réparer un pneu de vélo. Au delà de ce mot il y a un gouffre que j'ose rarement explorer. Il y a le temps qui file à très vive allure, il y a cette silhouette, cet épouvantail balloté par les intempéries qui part de plus en plus en lambeaux, il y a des serpents rêves qui ondulent tout autour de son chapeau depenaillé et qui explosent les uns après les autres en projetant leurs entrailles gorgées de sang rouge ( ça doit rester rouge au moins trois mois ) vient me sussurer une voix. Quelque chose rode autour de ce texte que je n'arrive pas à enregistrer pour le publier. Non pas qu'il soit bien ou mal écrit, ce n'est pas ça, il manque quelque chose tout simplement et ce manque fini par devenir une ombre de plus en plus imposante à chaque relecture. Quelques pistes soudain avec la figure géométrique d'un triangle flottant tel un portail et de vagues souvenirs d'une chambre d'hôtel parisienne. En plissant les yeux j'arrive à lire le titre d'un livre posé à même le sol en linoléum près d'un lit sur lequel un homme dort. "Critique dans un souterrain" de René Girard. Le désir est sa nécessité triangulaire soudain me reviennent, et tout l'effroi ancien lié à cette découverte. Puis je regarde l'homme qui dort comme pour s'évader de cette terrible vérité. Empathie soudaine irrépréssible, et la petite phrase de D.C à la toute fin d'un paragraphe à propos de HPL. "Il y a de l'amour". Musique : Max Richter On The Nature Of Daylight ( entropy) 2018|couper{180}

Auteurs littéraires Le basculement du quotidien vers le fantastique Lovecraft

Carnets | février 2025

25 février 2025

Le fragile territoire du peu Il s’en faudrait de peu. D’un presque rien. Un grain de sel, une ombre, un souffle d’air suspendu au bord de la fenêtre. Cette sensation de peu, cousue de bric et de broc, est une étoffe effilochée qu’on drape autour des épaules en guise de certitude. Ce peu est un territoire mouvant, une ligne tracée du bout du doigt sur une vitre embuée, une parole suspendue, prête à basculer dans le vide. C’est un équilibre instable, une marche hésitante sur un fil qui tremble. On avance sans savoir si le prochain pas portera ou s’il nous laissera tomber dans l’indéfini. Un frisson de précaution guide chaque geste. Le monde entier semble s’être resserré autour de cette sensation fugace, ce presque rien qui fait toute la différence entre le vide et l’existence. Écrire comme on rapièce Une maille de solitude, une autre d’ironie, une troisième d’impatience. On tricote, on rapièce. Voilà un début de journée en forme de casquette irlandaise, rugueuse et chamarrée, posée de travers sur un crâne encombré d’idées dissonantes. C’est ça, écrire. Une couverture en patchwork où chaque morceau a une humeur propre : la chaleur d’un souvenir, la fraîcheur d’une peur qui mord la peau, la laine rêche d’un regret. On coud des mots comme on répare une veste trouée par l’usure du temps. On rajoute un pan ici, une couleur là, sans trop savoir si l’ensemble tiendra, si la structure ne s’effondrera pas sous le poids de son propre déséquilibre. Mais il faut avancer, bâtir, même à coups de rafistolages. Parfois, dans la couture maladroite d’une phrase, surgit une beauté imprévue, une harmonie accidentelle. L’effort et la boucle D’ici peu, je pourrais sortir dans la rue et courir n’importe comment. Faire le tour du pâté de maisons comme on trace une boucle dans une histoire, revenir au même point et prétendre qu’on avance. Mais non. Il y a cette promesse, ces 1500 mots qui s’alignent comme une rangée de moutons sur une lande battue par le vent. Ils résistent, s’accrochent, s’effacent parfois avant d’être repris, réécrits, redessinés dans un effort aussi vain que nécessaire. L’écriture est un marathon sans ligne d’arrivée. On court, on s’essouffle, on trébuche. On pense atteindre un sommet et, en réalité, on tourne en rond. L’illusion du mouvement, un chemin balisé d’ombres, un jeu de piste dont le but reste inconnu. Silence et fuite Le silence grignote l’espace. Un silence feutré, comme la neige qui tombe sans bruit sur un sol glacé. Ça me rappelle Zatopek, sa foulée chaotique, son souffle coupé en lambeaux. Est-ce que je cours après quelque chose ? Ou est-ce que je fuis ? Le silence est un piège. Il attend, se tend, se tapit dans les interstices. Il pèse de tout son poids sur l’air. Un silence habite, un silence qui bruisse, rempli de ce que l’on ne dit pas, de ce que l’on tait par habitude, par peur ou par fatigue. Alors on écrit, pour briser cette chape étouffante, pour donner une voix à ce qui autrement resterait conféré aux replis de la conscience. Gigue de mots Je voudrais écrire en dentelle et en granit, avec la souplesse d’une lumière d’automne et la rudesse d’une pluie de novembre. Mais les mots viennent comme ils veulent. Parfois ils tombent dru, parfois ils s’effilochent. Peu ou prou. Peu me chaut. Les mots sont capricieux. Ils glissent, ils s’effacent, ils résistent. On les cherche, on les trouve, on les perd. Parfois ils s’alignent avec une évidence éclatante, parfois ils s’entrelacent en un chaos indomptable. On essaie de les guider, mais ils nous échappent toujours, comme une musique qui refuse de se fixer sur une partition. Assembler et rapiécer Alors j’écris. Pour assembler, pour rapiécer. Pour voir si, de tous ces morceaux, peut naître une forme qui tienne debout, comme une casquette irlandaise qu’on enfonce bien sur la tête avant d’affronter le vent. J’écris pour conjurer l’absence, pour donner une texture aux pensées éparses, pour broder du sens sur ce qui, parfois, semble n’en avoir aucun. J’écris en espérant que, quelque part, entre les lignes et les silences, se cache une vérité que je n’ose pas nommer. Et si ce n’était que ça, après tout ? Une quête absurde, mais nécessaire. Un pas après l’autre, un mot après l’autre, sans jamais vraiment savoir où l’on va. Le flot incontrôlable des poèmes Depuis quelques jours, des poèmes sortent de mes doigts comme des filets de bave d’une bouche édentée. Ça ne m’appartient pas. Je me le dis et me le répète. C’est un refus dans le refus. Une tour de rondins qui dépasse la canopée de mon marasme. Placer du gras et des titres saucissonnés à la manière marketing le rendra-t-il plus lisible, plus digeste, me demande le Dibbouk. On se regarde. Rien ne passe. Tension. Suspens qui dure. Et qui s’achève par une défaite. La mienne, comme toujours. Alors je retrousse les manches, j’éteins ma conscience. J’écris sous la dictée. Musique : Nils Frahms "Says" SPACES|couper{180}

Autofiction et Introspection écriture fragmentaire