« Et chaque fois que j’ai été émue, j’ai rêvé d’être nue. De cette nudité profonde où personne ne peut me suivre. Et même pour moi, il n’est pas facile de m’y suivre. J’imagine que cela vient de ce que j’ai vu un jour un insecte gigantesque s’éloigner de moi avec ma propre nudité. Je crois que c’est cette crainte d’être vue nue par quelqu’un qui m’a révélé la véritable nudité de l’esprit. »

C. Lispector, « La passion selon G.H. »

J’ai écrasé des milliers de cafards, cependant je ne suis jamais vraiment parvenu à mettre en mots cette sensation si particulière que le fait d’écraser un insecte déclenche en moi. Il se peut même que j’ai écrasé ces milliers de cafards de la même façon que j’écris ces lignes. C’est la même sensation je crois, celle qui me laisse sans mot.

Ensuite, dans la journée, j’emprunte ce vieux costume aux manches un peu courtes et qui dévoile mes grosses mains, deux mains gauches rougeaudes. Avec ce vêtement et ces attributs désolant, je deviens, en gros , un parfait idiot. Je réponds à côté de tout ce que l’on me demande, ou bien j’interromps des conversations d’une saillie farfelue qui tombe régulièrement à côté de la plaque. Je crois que je n’arrive pas du tout à me prendre au sérieux. Pire que cela, je sais pertinemment que je suis un idiot qui veut absolument exposer son idiotie.

L’idée d’un désastre inéluctable réveille probablement des désirs enfouis depuis des lustres. En même temps que je vois défiler les messages d’avertissement d’une fin du monde inéluctable, je louche sur les gros seins des filles qui présentent des romances. Ce dont je suis parfaitement honteux. Il se peut même que la honte soit le sujet essentiel de toute cette mascarade. Puis la question surgit comme un diable de sa boite : comment peut-on être intelligent et ne pas être profondément affligé, honteux ? Et cette question contient la réponse à bien des phénomènes extraordinaires. Cette question ne peut pas être posée n’importe où n’importe quand par n’importe qui. Évidemment.

Rien ne ressemble plus à une paire de seins qu’une autre paire de seins. Ce qui nous fait imaginer la possibilité d’une différence, c’est l’impossibilité chronique qui ne cesse jamais de se répercuter d’une paire de seins à l’autre, qu’elle soit d’ailleurs titanesque ou pas, dans l’espoir de les retrouver tels qu’ils furent la toute première fois.

Il doit y avoir un point commun entre le fait d’écrabouiller un cafard et le moment de découvrir une paire de seins, c’est du même acabit. A chaque fois on abandonne quelque chose dans cette histoire, quelque chose de consubstantiel à soi. Une part d’âme. Donc il faut que je me contraigne désormais pour le peu d’âme qu’il me reste à ne plus écraser d’insecte, et à ne plus fréquenter les plages nudistes.

— Vous savez que vous n’avez plus le droit de parler de désir à voix haute, c’est interdit.

— C’est tout ce qu’il me reste, il réplique.

noter que lorsqu’on utilise Ubuntu et l’éditeur WordPress, le tiret quadratin s’effectue de cette façon : Ctrl + Maj + u, puis taper 2014, suivi de la touche `Entrée

— ne fonctionne pas du tout si on n’utilise pas du HTML