En inscrivant le titre ce J.215 je me demande où est le J.01, dans quel lieu, quel temps ? Il n’est peut-être pas dans le carnet 2024, plutôt dans celui de 2023. Est-ce que ça me chagrine, me réjouit ? non, je crois que je reste assez indifférent vis à vis de ce commencement. Il fallait bien commencer. Et aussi cela m’interroge quant au refus catégorique, je crois qu’il est catégorique, concernant toute notion de catégorie. Que ce soit une catégorie de genre, de temporalité ( d’où mes hésitations permanentes à conjuguer les temps) Et aussi de plus en plus je bute sur des mots qui m’étaient, le croyais-je, si familiers. Et aussi, une fois la familiarité évanouie, par je ne sais quelle diablerie, je me retrouve face à des mots inconnus.
Plus j’écris, plus j’ai l’impression de m’aventurer dans une langue inconnue. Plus je me rends compte à quel point j’ai inventé une langue personnelle, avec toutes les explications prêtes d’avance pour me défendre qu’elle ne soit pas tout à fait une langue commune. Alors que je sais, je le sais même très bien que cette langue nous est profondément commune. Peut-être même que je m’enfonce dans cette singularité qu’à seule fin d’en faire du commun.
Je ne soumets plus mes textes à l’intelligence artificielle. La dernière fois que j’ai tenté l’expérience, il m’est apparu comme cette évidence que le commun dont elle se fait une définition n’est pas celui que je brigue. Elle veut que je place au dessus du moindre paragraphe un titre en gras servant de mot-clef, que mes phrases soient les plus simples et claires possibles. Courtes surtout. Et puis elle achève souvent son propos en évoquant la dépression, le peu de sympathie que lui inspire le narrateur. Au bout du compte, l’intelligence artificielle est très proche de ce que peut-être l’opinion publique. Un ensemble de poncifs réglés sur le fameux « bon sens », une illusion valant bien la mienne, sauf que la mienne est beaucoup moins partagée.
J’ai voulu faire l’expérience encore de me rendre sur un réseau social. Je crois que je ne pouvais pas choisir pire que Tik Tok pour me souvenir de la vacuité absolue que ces applications m’inspirent. Cependant je me suis accroché, hier dans l’après-midi, durant deux bonnes heures. C’était « intéressant » de voir comment la substance vitale est aspirée littéralement par le défilement de ces petites vidéos de quelques secondes. Je crois même que je me suis mis à faire défiler de plus en plus vite, ne captant qu’une bribe de phrase à chaque vidéo. A la fin je me suis amusé à rester un peu plus longtemps que d’ordinaire, disons deux secondes plutôt qu’un quart de seconde, et j’ai très bien vu que l’algorithme avait repéré ce qu’il analysa être un embryon d’attention. Mais au bout de deux heures j’ai refermé l’application avec la sensation d’avoir été sucé de toute ma moelle. Est-ce cela que les gens éprouvent en se rendant sur les réseaux sociaux ? se faire vampiriser leur plaît ? les excite ? Il y a même si j’ose l’affirmer, quelque chose de l’ordre de l’acte sexuel, et qui rabaisse cet acte à de la consommation ni plus ni moins. J’imagine soudain un circuit électrique ou électronique, où quelqu’un, quelque chose aurait installé une sorte de dérivation pour profiter d’une énergie infinie, pour profiter d’une énergie autrefois gratuite.