Ce matin, je me sens vide. Si plein de rien. Un trop-plein de rien. Débordant d’absence. Pourtant, je n’en éprouve plus de honte. C’est presque obscène d’y apercevoir comme une jouissance. Je goûte pleinement cette sensation. C’est un acte de résistance. Je refuse de croire que le vide est une faute. Ce vide, c’est mon luxe personnel. L’opposé de cette opulence qu’on m’a toujours vantée, celle qui cache les manques sous des artifices inutiles. Me voici à la source du désir. Là où rien n’est nommé, où tout peut commencer. J’entends les voix qui murmurent : comme c’est enfantin. Mais qu’importe. Ce vide est un espace creux, mais habité. L’enfant que j’étais, l’adolescent révolté, le jeune homme arrogant, le vieillard larmoyant – tous continuent d’y exister, à leur manière. Je ne les fuis pas. Je sais ce que je dois au monde pour avoir la force de dire "je". Mais je sais aussi ce que je dois à ce "je" pour m’extraire du poids du monde. Ce vide n’est ni une fuite ni une faiblesse. C’est un point de départ qui se confond avec l’arrivée. Un lieu où je peux être, simplement. C’est comme prendre le temps de s’asseoir au bord de la rivière et regarder passer les nuages se reflétant à la surface. Puis l’injonction de se relever, de revenir de nouveau dans le mouvement, le brouhaha, ressurgira tôt ou tard, elle revient toujours, pour tenter d’imposer silence à jamais.