
Nous regardons et ne voyons pas grand-chose. Nous pensons et c’est fichu. Nous pensons voir ce qui n’a rien à voir. Parce que nous sommes envahis par une foule d’images parasites qui s’interposent entre nous et la réalité. Du coup, nous fabriquons une réalité commune, si je puis dire, mais ce n’est pas la nôtre. Le poids de la peinture au cours des âges, toutes ces œuvres formidables que nous conservons au fond de la rétine, il faudrait les balayer dans l’instant présent et revenir à un état sans langage, sans souvenir, sans futur non plus.
Juste être là, les yeux bien ouverts. S’y fier et domestiquer la main pour qu’elle suive le tracé. Qu’importe la maladresse, car ce que l’on recherche avant tout, c’est simplement notre adresse véritable qui ne ressemble à nulle autre. Combien de fois m’a-t-on dit : c’est moche, ça va finir à la corbeille… Recule-toi, ferme les yeux, ouvre-les à nouveau. Tiens, je mets un cadre pour voir… et maintenant ?
Il faut des années de désapprentissage pour apprendre à voir. Et en tant que prof, c’est aussi cela mon boulot : détecter dans le moche le merveilleux qui s’y cache.