Pas les moyens de prendre l’autoroute, les cartes bancaires sont muettes. Je ne prends pas le risque de compter sur les miracles et m’engage sur la D86. Deux heures trente de trajet pour aller jusqu’à Vals-les-Bains. Pas pressé non plus. C’est aujourd’hui dimanche, aucune maman pour apporter des roses blanches.

Station thermale au bout de l’Ardèche. Le niveau de l’eau est extrêmement bas, on peut voir tous les cailloux au fond du lit de la rivière. La saison vient tout juste de commencer. Des cohortes de patients entrent et ressortent du Casino à côté de la Salle Volane. Un couple n’a pas gagné le cocotier, ça se voit. Pas beaucoup de places pour se garer. Un vide-grenier. Mais chance : un part et hop, je me gare.

Mais je voulais parler d’Alain Veinstein, pas de mon expo.

Écouter Alain Veinstein sur la route pendant deux heures trente raccourcit le temps.

Je l’écoutais déjà il y a longtemps et ça raccourcissait les nuits blanches.

Là, dans un dossier sur le Cloud, j’ai réuni tous les fichiers, il y en a un bon paquet, toutes les fois où FB a sorti un bouquin ou presque.

La voix impressionnante de calme et d’attention d’Alain Veinstein et celle de FB, plus nerveuse, plus hachée en contrepoint. C’est fou comme on apprend des gens par leurs voix, surtout quand ils n’y font pas attention.

Alain Veinstein est un professionnel de la voix. On ne peut apprendre de celle-ci que ce qu’il veut bien, à moins d’être un extralucide du tympan.

Je me suis souvent demandé si j’avais ce super pouvoir. J’aurais aimé, je crois. Enfin non, ce n’est pas vrai. J’aurais encore plus détesté. Sans avoir l’ouïe affûtée tant que ça mais suffisamment pour repérer les couacs à répétition, c’est une grande difficulté de ma vie d’avoir toujours très bien écouté et entendu.

Avant, je braillais, je disais : "Mais tu me prends vraiment pour un con ?" et patati et patata. Maintenant non. Je conduis, je fais gaffe à la route. Je pars entier, je reviens entier.

Ensuite, j’ai cette tendance fâcheuse à admirer n’importe qui pour n’importe quoi. À m’intéresser à ce qui n’intéresse personne. Donc j’ai écouté toutes les émissions quasi religieusement pendant l’aller et aussi au retour.

C’est bien la radio, ou le podcast puisqu’on dit comme ça désormais. Apprendre à connaître les gens juste par leurs voix, ou s’en faire une idée plutôt. Je n’ai jamais été curieux d’aller voir sur internet la tête d’Alain Veinstein. C’est plutôt drôle. Comme si le souvenir de sa voix suffisait à évoquer les nuits magnétiques, mais pas seulement, des pans de vie entiers passés dans les nuits. Pour autant, je n’ai retenu que peu de choses de ses invités durant ces échanges. Mais je n’avais peut-être pas envie de retenir quoi que ce soit.

Comment décide-t-on de retenir les choses ? Je suis souvent éberlué par ces personnes qui peuvent se souvenir d’une multitude d’anecdotes, de détails, de noms, de dates et d’heures. Parfois j’ai l’impression qu’ils cherchent à ne pas se perdre eux-mêmes en se souvenant autant des autres.

Peut-être que j’ai toujours désiré me perdre puisque je n’ai que très peu de souvenirs. Ou du moins ce n’est pas tout à fait juste. Je n’arrive jamais à me souvenir au bon moment, c’est surtout ça. Les souvenirs arrivent chez moi comme des événements climatiques. Comme une averse ou une embellie sur la route.

Ce fut en tout cas une belle journée. Du trajet ou de la permanence d’exposition, je ne sais s’il faut préférer l’un ou l’autre. J’ai de moins en moins de préférence aussi, c’est pas nouveau mais plus remarquable. Enfin moi, je le remarque de plus en plus.

Au bout du compte, après toutes ces émissions écoutées, je trouve que FB s’en est plutôt bien sorti, et de mieux en mieux au fur et à mesure des années. Par contre, Veinstein reste intemporel, c’est très bizarre comme sensation. Un sphinx.

Dans un sens, je suis presque soulagé de n’avoir jamais publié de livre. Ça doit être un sacré moment à passer de se retrouver interviewé par Alain Veinstein.