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Écouter l’entrée du carnet :

Giacometti disait

Publié le 24 décembre 2025

Pour sortir de la masse de mes journaux de veille — 190 Mo de doutes, de sueur et de peinture accumulés sur le disque dur — il me fallait un tamis. Un dispositif qui ne se contente pas de classer, mais qui transmute le plomb de la note d’atelier en l’or de la litanie.

J’ai emprunté à l’écrivain François Bon son dispositif hypnotique utilisé pour son ouvrage Conversations avec Keith Richards, qui lui-même le tenait d’une longue lignée de « collecteurs d’instants ». J’ai choisi de placer mes propres certitudes fragiles dans la bouche d’Alberto Giacometti.

Pourquoi lui ? Parce qu’il est le saint patron de la poussière, de l’effacement et du recommencement perpétuel. Ce « Giacometti disait » n’est pas une biographie, c’est une suture : ma voix sous son masque, pour atteindre ce « point zéro » où le geste devient enfin libre.


I. L’Enseignement ou l’Art de Tenir la Présence

Vider les mains pour laisser l’espace au vivant.

  • Giacometti disait qu’enseigner la peinture n’est pas transmettre une méthode, mais simplement tenir la présence dans la pièce pour vider les mains de leur habileté trop propre.

  • Giacometti disait qu’un bon professeur doit exiger un euro de ses élèves chaque fois qu’ils disent « c’est nul » ou « je n’y arriverai jamais », car c’est le prix de l’insulte faite au vivant.

  • Giacometti disait que le cœur du métier est d’entraîner l’autre à reconnaître l’état de désorientation pour le rendre enfin confortable.

  • Giacometti disait que le groupe finit par devenir un Simorgh, cet oiseau mythique qui s’élève au plafond porté par une fanfare tzigane.

Légende : Tenir la présence. Entre l’ombre et la lumière, le geste cherche à déchiffrer les mystères du monde visible.


II. Le Geste : Saborder le Cerveau

Briser les outils. Chercher la faille.

  • Giacometti disait que pour bien dessiner un visage, il vaut mieux utiliser un coin de bois plutôt qu’un pinceau pour s’assurer de ne pas être complice de sa propre dextérité.

  • Giacometti disait qu’il faut relever le pinceau aussitôt qu’une pensée surgit, car la pensée est le flic qui arrive sur la scène du crime pour prendre des notes.

  • Giacometti disait qu’il faut parfois porter un bandeau de pirate sur un œil pour briser les habitudes de vision et saborder le cerveau.


III. La Sagesse de l’Échec : Le Domaine de la Boue

L’éloge de la chute contrôlée.

  • Giacometti disait qu’un tableau traverse trois mondes : celui de la boue (l’ignorance), celui du doute (la perte de soi), et celui de l’achèvement pour rien.

  • Giacometti disait que le succès est un accident perturbateur et que seul l’échec permet de comprendre comment la lumière arrive vraiment.

  • Giacometti disait qu’un tableau est vraiment achevé quand on peut enfin sourire et dire que tout cela a été fait « pour rien ».

Légende : Le domaine de la boue. Là où les transitions sourdes créent une expression qui défie la définition.


IV. La Chair et la Fissure : Ce qui ne pourrit pas

Le voyage vers l’inconscient, là où l’être perce à travers la lettre.

  • Giacometti disait que la peinture et l’écriture sortent par la même fissure, là où la fiente et l’être se mélangent enfin.

  • Giacometti disait que tant qu’il y a de la honte, tout n’est pas perdu, car elle sert de balise dans le labyrinthe de nos épopées.

  • Giacometti disait qu’on peint pour distinguer ce qui, en nous, finit par se décomposer et ce qui, pour une raison obscure, ne pourrit pas.


V. La Dissidence : Rester dans la Boue

Le refus des systèmes et de l’ordre moyen.

  • Giacometti disait qu’il faut se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu pour pouvoir enfin rester dans la boue.

  • Giacometti disait qu’il faut se méfier de l’intelligence artificielle, car elle ne produit qu’un « ordre moyen » aux mains moites, privé de la grâce du raté.

  • Giacometti disait que le public peut régner sur votre notoriété, mais qu’il ne régnera jamais sur la source de votre liberté.


Conclusion

Ce plan n’est pas seulement l’architecture d’un hypothétique livre futur, c’est la boussole de mes Carnets. Vous trouverez, au fil des pages de ce site, les fragments bruts, les échecs fertiles et les traces de ces tableaux nés sous le signe du « pour rien ».

Comme Giacometti disait : la porte est ouverte, mais n’entrez que si vous acceptez de ressortir avec de la boue sur les mains et une fanfare dans la tête.

Carte mentale réalisée par Notebooklm à partir de trois compilations de fichiers textes. Mots-clés : #peinture , #réflexions sur l’art

05 novembre 2025

Publié le 5 novembre 2025

Peu dormi, écrit plusieurs textes, dont un remisé dans la rubrique « carnet noir » que je n’ai pas osé publier à cause de la franchise nue que j’y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des réseaux. Même sensation que les jours où j’arrêtais de fumer : la même mécanique d’addiction. Le truc qui m’a servi alors : voir venir de l’horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres géantes, « TAXES ». Pour les réseaux, un seul mot suffit : « PERTE DE TEMPS ». Stage de peinture ce matin. Renoncement là aussi. Je sais être un bon professeur, mais c’est au détriment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-être des années. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma tête, c’était hier. Depuis les confinements de 2020 — oui, je sais — le temps s’est figé pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j’étais mort depuis cette date sans m’en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d’un monde qui n’existe plus. L’écriture aide à entrer dans cette intemporalité, elle aide à accepter la mort. J’écris mieux, peut-être parce que j’en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la térébenthine, je ramasse la poussière de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que « mieux » veut dire, et je m’en moque. J’écris comme un alpiniste à mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra.

Alfred Mira, le peintre que New York a vu et oublié

Publié le 11 août 2025

À vrai dire, personne ne se souvient plus très bien du moment exact où Alfred Mira est sorti du champ. On l’a vu longtemps, ou plutôt on a vu ce qu’il voyait : Washington Square après la pluie, MacDougal Street quand le trottoir brille, Sheridan Square traversée par un autobus bleu clair. Puis, un jour, ces vues se sont effacées, comme si quelqu’un avait replié la carte du quartier et rangé la peinture dans une boîte à chaussures. On ne sait pas où se trouve la boîte.

Né en 1900, élevé dans Greenwich Village par des parents venus d’Italie, Mira avait appris à regarder avant de savoir peindre. Les rues étaient son premier atelier, la façade de briques son chevalet, le ciel entre deux immeubles sa palette. Les voisins lui donnaient parfois un signe de tête, rarement plus. Les chiens errants passaient sans le voir, mais il enregistrait tout : une échelle posée contre un mur, le reflet d’une ampoule dans une vitrine, l’ombre d’une corniche au mois de mars.

Dans sa jeunesse, Mira avait fréquenté la National Academy of Design, puis l’Art Students League, où il avait compris que, malgré les injonctions de l’époque, il n’aimait pas trop déformer les choses. Il préférait la rue telle qu’elle se présentait, mais filtrée par sa lumière. Le matin, souvent, il descendait vers Washington Square Park avec un carnet et un crayon, s’arrêtant au bord de la fontaine, pas pour la dessiner mais pour écouter le bruit de l’eau qui tombait — comme si ce son devait se retrouver, plus tard, dans les coups de pinceau.

Ce qu’il peignait, c’était moins un décor qu’une respiration. Les passants, il les laissait flous ; la pluie, il la rendait presque tiède ; la nuit, il la faisait rougir autour des lampadaires. Et toujours cette impression qu’on marche à côté de lui, dans un quartier qu’on connaît déjà un peu, même si on n’y est jamais venu.


Les Mira venaient d’Italie, d’un village dont on a oublié le nom, ou alors quelqu’un s’en souvient mais ne le dira pas. En tout cas, ils avaient débarqué à New York avec un paquet de vêtements, deux ou trois recettes de cuisine, et cette manie de parler avec les mains même quand on tenait un baluchon. Greenwich Village, à l’époque, n’avait rien de la carte postale pour touristes : c’était un quartier d’immigrants, de petits commerces et d’ombres longues au pied des immeubles.

Alfred, gamin, traînait autour des vitrines. Pas pour acheter, juste pour regarder la façon dont la lumière faisait vibrer les oranges empilées ou se reflétait sur une théière en étain. Plus tard, il entra à la National Academy of Design — ce qui sonnait très sérieux — puis à l’Art Students League, où on lui apprit à parler le langage des ombres et des perspectives, à comprendre qu’un mur rouge n’est jamais vraiment rouge, qu’il a toujours un peu de bleu dedans.

Il finança ses études en travaillant chez un décorateur d’intérieur, ce qui lui fit découvrir que le goût des autres n’était pas forcément le sien. Chez lui, on ne choisissait pas les couleurs pour flatter un canapé, mais pour dire quelque chose au passant, à celui qui lève les yeux entre deux pas.

Il regardait aussi ailleurs. Les murs de l’école affichaient parfois des reproductions de Monet ou de Pissarro. On lui parlait de la lumière française comme d’une sorte de miracle climatique. Mira notait, mentalement, qu’il faudrait un jour aller voir ça de près.


En 1928, Mira prit le bateau pour la France. Ce n’était pas pour fuir quoi que ce soit — pas de dettes, pas de chagrin d’amour — mais pour voir ce dont on lui avait tant parlé : la fameuse lumière. Il débarqua au Havre, remonta la Seine, et découvrit que Paris n’était pas exactement comme dans les affiches de voyage. Le ciel pouvait être gris, la pluie sale, et la lumière, ce miracle annoncé, avait parfois besoin d’un coup de chiffon.

Il s’installa du côté de Montparnasse, à deux pas d’un café où on croisait des visages qui allaient bientôt devenir des noms célèbres, ou le contraire. Il entendit parler d’une Américaine excentrique qui recevait le samedi soir dans un appartement rempli de Picasso et de Matisse — Gertrude Stein, disait-on, comme si c’était une marque. Il ne monta jamais jusqu’à la rue de Fleurus, mais il savait qu’elle était là, à quelques arrêts de tram, quelque part entre un marchand de vin et une boucherie chevaline.

Ce qu’il ne manqua pas, en revanche, ce furent les expositions du Jeu de Paume. Renoir en 1924, Monet en 1927, et ces toiles qui semblaient encore humides malgré leurs cadres dorés. Il passa de longues minutes devant Impression, soleil levant, observant comment la brume avalait les formes, comment la couleur se contentait d’être ce qu’elle était, sans chercher à être plus. Il ne prit pas de notes. Il préférait rentrer et boire un café au comptoir en repensant à la manière dont Monet laissait filer ses bords, comme si les contours étaient une politesse inutile.

De Paris, Mira rapporta peu de souvenirs matériels : un carnet de croquis, un parapluie qui ne fermait plus, et ce genre de certitude qui change la main quand elle revient sur la toile.


De retour à New York, Mira reprit ses habitudes comme on remet un manteau oublié au vestiaire. Les mêmes rues, mais avec l’œil un peu différent : il voyait maintenant les trottoirs comme des plages à marée basse, les feux rouges comme des coquelicots plantés dans l’asphalte.

En 1929, il présenta pour la première fois une toile à la National Academy of Design. Ce n’était pas encore le grand moment, mais une manière de dire « me voici » à ceux qui savaient lire les murs d’une salle d’exposition. D’autres suivirent : The Heart of the Village en 1941, Rain : Greenwich Avenue and Eighth Street en 1943, Sheridan Square en 1945. Des titres comme des adresses où l’on pourrait encore sonner.

Les critiques, quand elles arrivaient, ne faisaient pas dans la dentelle. Un journaliste de Los Angeles, en 1943, écrivit que ses toiles avaient « une rare capacité à suggérer plutôt que dire servilement ou verbeusement », et parla même de romantic reality, une réalité romantique, comme si Mira peignait non pas ce qui était devant lui mais ce qu’il espérait y trouver.

Les acheteurs suivaient. Pas des magnats ni des princes, mais des New-Yorkais attachés à leur quartier, des gens qui voulaient accrocher chez eux un morceau de trottoir familier. La gloire, Mira s’en fichait — ou faisait semblant. Ce qu’il voulait, c’était que quelqu’un, en passant devant une de ses toiles, se dise : « tiens, c’est bien là que j’ai croisé ce type avec le chapeau, l’autre matin ».


Puis, lentement, comme une affiche qui pâlit au soleil, Alfred Mira disparut. Pas brusquement, pas avec fracas — non, juste par effacement progressif. Les noms changèrent sur les vitrines, les galeries se déplacèrent plus au nord, les journaux préférèrent parler d’abstraction lyrique et d’expressionnisme qui éclabousse. Les peintres qui continuaient à représenter des trottoirs et des façades prenaient soudain l’air de collectionner les timbres : un passe-temps respectable, mais pas de quoi remplir les musées.

Mira vendait encore, mais moins vite. Les collectionneurs vieillis passaient commande pour « un dernier tableau, Alfred, avant de vendre la maison », et on accrochait ça dans un couloir comme on garde la photo d’un chien disparu. Il exposait toujours, mais dans des lieux qui ne faisaient plus la chronique du New York Times. Pas que ça lui déplaise, d’ailleurs. Il semblait trouver une forme de confort à peindre hors du bruit.

Quand il mourut en 1981, il y eut bien quelques lignes dans la presse locale. On rappela qu’il avait été le peintre de Greenwich Village, qu’il avait capté la pluie sur les pavés comme personne. Et puis plus rien. Les archives, elles, ne s’effacent pas, mais elles ferment parfois la nuit.


Le temps, parfois, s’amuse à remettre en vitrine ce qu’il avait rangé au fond. Ces dernières années, quelques galeries new-yorkaises – Questroyal Fine Art, Lilac Gallery – ont ressorti Mira des cartons. On a revu ses rues sur les cimaises, toujours humides comme au premier jour. En 2018, Washington Square Park est parti aux enchères pour plus de quatre-vingt mille dollars, ce qui, pour un peintre qu’on disait oublié, a tout d’un clin d’œil du marché.

On ne parle pas encore de rétrospective au MoMA, et c’est peut-être tant mieux. Mira ne semble pas fait pour les salles trop blanches ni pour les catalogues glacés. Ses tableaux, on les imagine mieux accrochés au-dessus d’un vieux radiateur, dans un appartement où les fenêtres donnent sur une rue qu’il aurait peinte.


Aujourd’hui, si l’on traverse Greenwich Village en hiver, on peut encore trouver des angles où la lumière ressemble à celle de ses toiles. Washington Square, un après-midi de pluie fine : la pierre est sombre, les arbres découpent un ciel gris, un chien tire sur sa laisse. Rien de spectaculaire, et c’est là que réside le miracle.

On pourrait s’arrêter, lever les yeux, et se dire que Mira a vu ça avant nous, qu’il l’a laissé quelque part sur une toile, avec juste assez de couleur pour que ça respire. Et en repartant, on sentirait peut-être, comme lui, que la ville – même dans ses moments les plus ternes – garde toujours un coin de trottoir prêt à être peint.

23 mars 2025

Publié le 23 mars 2025

Écrire le premier chapitre de Gor (titre provisoire). Problème : créer la continuité avec le prologue déjà publié. Idée d’une page "index" avec les liens au fur et à mesure. Aussi un article "Agenda" pour que les visiteureuses puissent, d’un coup d’œil, voir la politique de publication du site. Ajout, en bas de page, d’une licence Creative Commons restrictive (car elle interdit la modification et l’usage commercial). Bien que la plupart des textes ici ne soient souvent que sous forme de brouillon, cela freinera l’assaut des IA, peut-être…

Avons dîné chez C et M. Discussion sur les lectures, ils se sont lancés dans le sanskrit. Des piles de livres sur une table basse. Mais quand même, à un certain moment, C m’a brusquement parlé de Fitzcarraldo, de l’acteur Klaus Kinski, de Werner Herzog... Ce qui contrastait bizarrement avec la posture sereine qu’il avait jusqu’à cet instant. Yoga oblige, mais jusqu’à un certain point. Ils ont quatre-vingts ans cette année, tous les deux. J’ai pensé à un poisson sur l’herbe de la berge, en train de se démener pour revenir à l’eau. Fitzcarraldo. Merde. Des années que je n’avais pas entendu ce mot. Puis, vite : ce type, Klaus Kinski, est cinglé — sa fille aussi, d’ailleurs. Et puis, parler de la télévision qu’ils regardent peu, car ils s’endorment devant.

S n’a pas aimé la truite dans le gratin. Je la regardais dépiauter son assiette, en rangeant tous les morceaux qu’elle jugeait suspects sur le côté. La tomme de Savoie en a pris un coup par la suite. Cette lenteur avec laquelle elle ajuste le couteau pour trancher d’un coup sec, soudain.

Sommes partis tôt. 22h. Ce qui laissait encore du temps pour lire et écrire, jusqu’à 3h ce matin. J’ai ouvert un bouquin de China Miéville. Très étonné, je n’arrive plus à le lâcher. Sans doute que le prologue et le premier chapitre de Gor en seront imbibés, mais avec d’autres idées, et mon propre style.

Aujourd’hui dimanche, stage sur le minimalisme. Je me prépare à une plongée en apnée, de 10h à 17h. Difficile de penser à autre chose que cette fiction en ce moment. Mais allez — il fait beau, les gens qui viennent sont sympas, espérons que la journée passera vite. Hâte de m’y remettre.

Commande reçue pour ma plaque d’immatriculation. Content au début, jusqu’à ce que je voie l’erreur dans l’immat. Envoyé mail illico, blablabla... J’espère qu’ils ne me feront pas payer leur erreur.

Un tableau réalisé sans conviction, à coups de couches successives d’acrylique. Pas terrible pour le moment, c’est beaucoup trop fermé. J’ai découpé une forme dans du papier peint pour la répercuter plusieurs fois par-dessus, et les colorer ensuite. Effet bizarre... Pourquoi faut-il que j’accepte autant le fait qu’il me faut passer par mille couches, par mille brouillons, avant de franchir enfin le seuil... Ne plus penser, agir, m’en foutre totalement...

13 juin 2024

Publié le 26 juillet 2024

Je perds de la distance. L’emploi du temps, peut-être parce qu’il n’est qu’employé, pèse sur les nerfs. En notant les dates de réception des classes à la médiathèque sur l’agenda, j’ai peur de me tromper. Je déteste écrire ces événements, je fais souvent des erreurs : orthographe des mots, horaires, ou même le mauvais jour. J’ai toujours été ainsi. Mon cahier de textes, de la maternelle au collège, était toujours en désordre. Une résistance futile à tout calendrier, tout emploi du temps. Les marges étaient criblées de gribouillis, envahissant la page et les tâches à faire. Ces gribouillis, ce désordre, cette maladresse, étaient mes armes de résistance enfantine, mais si vaines face à l’Organisation scolaire.

J’explique encore trop, beaucoup trop. Hier, lors du discours, je parvins à ne dire presque rien en public, laissant la place au maire et à mes deux collègues peintres. Le ridicule de tout discours se répand dans ma cervelle, comme une gangrène. Sans doute parce que je ne cesse de discourir avec moi-même, en prenant tout le dérisoire de plein fouet. C’est bien de ma faute. Pourquoi chercher toujours au-delà des limites ?

Dimanche tout entier consacré au stage sur le monotype, je n’ai pas préparé grand chose. Tant de faire le point avant qu’ils n’arrivent … me dépêche d’aller voter avant que ce ne soit l’heure.

Encore un peu de temps. Ce gâchis de papier. Pas voulu y participer. Pris mon bulletin et l’ai fourré dans l’enveloppe avant même d’atteindre l’isoloir. A voté.

Belle journée. Je crois que c’est Louise Bourgeois qui aura donné le top de départ. Ses monotypes ont séduit le groupe. Pour le reste le hasard, les morceaux de plastique que j’avais découpés à la hâte, les ardoises que j’ai retrouvées soudain sur une étagère de la remise, et le bloc de papier aquarelle aura fait tout le reste.

Nous avons fini les restes du vernissage de la veille. La dernière heure le prétexte d’un goûter parachève la journée. Tout le monde est épuisé. Découverte de M. que G. a conviée. P. quant à lui allait partir encore sans payer, mais je l’ai gentiment retenu par l’épaule.

Je n’ai fait aucune photographie des œuvres réalisées, je pense au mot résistance.

17 août 2018

Publié le 2 mars 2024

texte de départ

Tu penses trop, tu n’es pas là , tu te dis que tu n’y arrives pas et tu n’y arrives pas car tu programmes ton cerveau à trouver toutes les solutions pour ne pas y arriver Alors laisse tomber, installe toi devant ta toile blanche, prend le plus gros de tous tes pinceaux et tend le bras Inspire profondément et ressent l’air pénétrer par tes narines doucement, dans tes poumons, dans tout ton corps. Expire doucement et laisse aller la main qui tient le pinceau. Imagine une danse, c’est peut être la danse d’un animal, d’un insecte, la danse d’une herbe balayée par la brise, la danse du vent qui court sur la plaine, la danse des flammes dans une cheminée, la danse de l’eau qui dévalent les pentes d’une colline, d’une montagne, la danse des pierres qui a commencé depuis la nuit des temps...Expire doucement et tu commences à sentir ton épaule, ton bras, ton poignet et enfin ta main danser comme tous les éléments. Ferme les yeux et écoute le bruit du pinceau sec sur la surface de la toile Ne mets rien sur le pinceau que l’intention de le faire danser sur la toile. Recommence l’exercice avec un pinceau moyen, puis avec le plus léger de tous tes pinceaux. Toujours pas de couleur, pas d’eau.. laisse danser les pinceaux et respire


J’ai repris ce texte au mois de novembre 2022 :

Tu n’es pas là, tu n’y arrives pas. Inspire. Profondément. Imagine que tu danses. Laisse danser le corps le pinceau. Respire. Voilà tu y es. Tu y arrives. Et ce n’est plus toi. C’est un pinceau qui danse (modifié le 20/11/2022.

Aujourd’hui nous sommes en mars 2023 je le relis, le recopie sur ce nouveau site. Je n’ose plus y toucher.


27 décembre 2024  : J’ai découvert un nouvel outil pour classer mes notes de façon à tisser des liens, entre tous mes textes , le nom de ce logiciel est Obsidian ; je l’avais déjà essayé sur Windows, mais il m’a semblé d’accès compliqué. Je viens de l’installer sur Ubuntu sans difficulté. Après avoir visualisé plusieurs vidéos dans l’espoir de trouver une marche à suivre pour utiliser cet outil, je me rends compte que c’est à moi de créer ma propre méthode, afin de trouver des concepts, des mots clés, de les relier. Il semble que ce que l’on doit tout de suite accepter c’est que l’outil sera imparfait comme le raisonnement de départ, ou l’intention qui me pousse à vouloir utiliser cet outil est imparfaite, obscure, peut-être même temporaire, fugace. Mais pour cette journée j’ai ajouté des mots clés qui n’existait pas hier encore à ce billet.

06 novembre 2023

Publié le 5 novembre 2023

Pluie, vent, et déjà ce froid mordant. La facture de régularisation EDF est tombée. Salée. On a beau faire attention — lumières, multiprises, ordinateurs — rien n’y fait. C’est le toit qu’il faudrait refaire. Mais impossible. On sent poindre une mentalité de pauvre. Celle que j’ai toujours fui, même dans les pires moments. Le rouleau compresseur avance, et l’âge nous rend plus vulnérable. On se plaint déjà des articulations. Et la jeunesse hante, comme un fantôme. Rien ne soulage. Pas même l’horreur du monde.

Hier, une femme dans l’Ouest, maison inondée, dit : je voudrais partir… je voudrais mourir. Cela se comprend. Moi aussi, parfois, je l’ai pensé. Trop d’absurdité. Trop peu de recul. Le stoïcisme a ses limites.

Une avidité louche à se plaindre.

Faire face. Toujours ce mot d’ordre. Héritage ? Reflet d’une tradition de survie.

Hier soir, au vernissage de X. Trois peintres. Hommage à leur ancien professeur, mort du pancréas. J’apprends que sa fille a bradé toutes ses toiles. Pas la place. X a récupéré deux dessins, encadrés chez Action.

Plus de carburant. J’ai pris la Twingo. Pare-brise embué malgré la ventilation. Dix-sept kilomètres dans la buée. Face à moi, des phares plein feu. Sauvagerie générale. On y entre ou pas ? Allumer ses pleins phares, vaille que vaille ? Non. Refuser. Garder quelque chose. Un peu de fierté. De dignité.

À l’exposition, beaucoup de monde. P. a exposé un tableau inspiré de Bram Van Velde. Belle tentative, mais trop de travail tue le geste. Lissage, essuyage, excès de contrôle. Je rêve de matière. D’Anselm Kiefer. Ce n’est pas la couleur ou la composition qui manquent : c’est la vie.

Peut-être cette absence dépasse les toiles. Peut-être est-ce un prisme. Je rentre, ébloui par les phares.

7700 morts. Comment rendre ça en peinture ? Kiefer, encore. Ce paysage blanc, strié de noir. Une manière élégante de refuser la sauvagerie.

J’apprends qu’il écrit beaucoup. Des livres. Je ne savais pas. Je l’ai vu à Avignon. Son père était nazi. Lui, parle un français impeccable. Hésite à peine. Impeccable.

Je termine la journée avec La fin du monde en avançant de Bergounioux. Il parle de sa Corrèze qui disparaît. Il cite Michelet, Kant. Kant, à Königsberg, sa ponctualité légendaire. Les cuisinières réglaient leurs plats sur son passage. Jusqu’au jour où, poussé par l’actualité française, il sort plus tôt. Le rôti brûle. Le gâteau aussi. Querelles.

Deux heures de sommeil. Un rêve. Mon père, torse nu sur le canapé, en pacha. Comme autrefois.

Et ce texte de B. sur son aïeul, soldat de la Grande Guerre. Deux ans. Initiation virile. Bon pour le service, bon pour les filles. Une copie carbone du père.

Et les guerres légitiment l’homme. Combien de meurtres, de trahisons, pour oser se dire "j’en suis un" ? Le même que mon père. Mais sans les légendes.

On se réveille dans un corps étranger. Rien ne nous regarde. L’imaginaire est parti. Les démons aussi. Voilà comment on vieillit.

Illustration : Il y a quelques jours, en allant poster une lettre recommandée, un rayon de lumière a frappé l’église de mon village.

sous-conversation

… encore cette facture… encore… malgré les efforts… toujours plus… et le toit… toujours pas… le froid passe… entre les lames…

pauvre… ce mot… il colle… je ne veux pas… mais il est là…

la femme… noyée… moi aussi… parfois… oui… mais pas de larmes… pas de drame… juste… l’impossibilité de rire…

faire face… mais à quoi ?… toujours à quoi ?…

le vernissage… les toiles… trop lisses… trop calmes… trop mortes… et moi… je veux du Kiefer… du noir… du vrai…

le pare-brise… la buée… les phares… est-ce que je peux… juste une fois… allumer moi aussi… non… non…

Kant… sa rigueur… son cabillaud… et pourtant un jour… même lui… il sort… trop tôt…

père torse nu… rêve… souvenir… pacha… temps d’avant…

et le rayon de lumière… là… sur l’église… juste ça… juste encore ça…

note de travail

Ce texte est un journal de veille. Une tentative de tenir face au froid, au réel, à la guerre, à la fatigue, à la mémoire. L’auteur se tient au bord — du manque, du rêve, du doute. Il regarde tout de biais, mais intensément.

L’élément central : la matière. Ce qui manque aux toiles, ce qui fait défaut dans la vie : une épaisseur, une accroche, un grain. Tout semble trop lisse, trop effacé. Et lui cherche du Kiefer, du Van Velde, du Bergounioux — des hommes qui font face, avec le corps, avec les mots.

La guerre revient comme une question de filiation. Qu’est-ce qu’un homme ? Celui qui part ? Celui qui tient ? Celui qui tue ? Le narrateur ne croit plus à la réponse. Il vieillit. Il ne se reconnaît plus. Il habite un corps qui n’est plus sien.

Mais il écrit. Et l’écriture, elle, tient. Même dans le froid. Même dans la fatigue.

Et puis ce rayon, sur l’église. C’est peu. Mais c’est là. C’est beaucoup.

04 novembre 2023

Publié le 4 novembre 2023

Pour bien commencer une journée de stage, il faut déposer les soucis à la porte. Entrer comme dans un autre monde. Un monde inconnu. On reconnaît peut-être un visage, une silhouette. Mais pour le reste : ne rien supposer. Pas d’idées. Juste : observer.

Laisser les intuitions venir, les écouter silencieusement, un café à la main. Goûter les gâteaux maison. Regarder le groupe dans son ensemble. Puis se reculer mentalement. Se voir dedans. Éléments parmi les autres.

Avec l’expérience, quelques astuces : j’ai apporté dans ma besace des coins de tableaux en bois. On commence à l’encre de Chine. Noir et blanc. On reparle des valeurs, des maladresses bienvenues, des outils.

Le temps file. Toujours. Dans ces ateliers. Pas comme dans les tâches ordinaires. C’est un plongeon. Une rivière. On s’y jette. Et on s’émerveille de ce qui surgit : lignes, visages, éclats d’encre. On cherche les mots justes pour dire. On les attend, on les voit venir. Et on les dit, sans heurter.

Une femme dit qu’elle a peur. Qu’elle a toujours besoin d’être rassurée.

– Et si tu n’étais pas rassurée ? Si tu te laissais aller, vraiment ?

Pas besoin de réponse. Juste poser la question. Puis passer à l’exercice suivant : un double visage, des motifs géométriques.

J’ai apporté aussi de vieux journaux. Chacun déchire, colle, peint. Oublie. Puis, à la fin, on retire les lambeaux. Le papier réapparaît : blanc, intact, troué. Visages mutilés. Blanc dramatique. Charbon en renfort. Magie.

Difficile de déprogrammer des cerveaux conditionnés à réussir. À bien faire. Mais c’est là, dans les écarts, les ratés, que quelque chose d’unique surgit.

À la fin, on expose. Chaque œuvre porte sa voix. Le groupe est un tout, mais chacun y a creusé son sillon. Une cohésion fragile, éphémère. Puis la lumière s’éteint, la porte se ferme. Chacun reprend ses soucis.

Sur la route, aucun bouchon à Vienne. Je prends ça comme un signe : la journée fut bonne.

Je repense à Herrigel, au tir à l’arc. Quand enfin la flèche part d’elle-même. Il n’y a plus de maître. Plus d’élève. Juste un son. Le bon.

Dîner léger. Puis lit, couette, livre. Je lis Bergounioux. La bête faramineuse. Les mots comme roches. Comme bruyères. Une langue qui marche lentement dans la campagne. Et soudain cette phrase :

« Nous avons escaladé le talus et nous nous sommes enfoncés du même souffle long, égal, dans la vapeur rousse de la pessière. »

Et plus loin :

« …vivre –, nous avions accoutumé, Michel et moi, de mener chacun pour son propre compte des pensées, ou du moins des songes si ressemblants qu’ils s’achevaient au même instant… »

Puis la bête apparaît. Je pense à celle du Gévaudan. Celle qui hantait mes nuits d’enfant. Et alors, doucement, je m’abandonne. Dévoration du sommeil.

sous-conversation

… passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir…

les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi…

elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin…

la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun…

Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste…

Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil…

note de travail

… passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir…

les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi…

elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin…

la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun…

Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste…

Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil…

note de travail

Le texte parle d’un stage. Mais il parle surtout d’un seuil.

Un seuil entre soi et les autres. Entre le rôle d’accompagnant et la place d’élève. Entre le temps utile et le temps habité.

Il y a une grande douceur ici, presque une tendresse. Pour les maladresses. Pour l’hésitation. Pour les visages en construction. Le narrateur cherche à faire naître quelque chose sans jamais imposer. À tenir l’espace comme on tient une lampe dans la pénombre.

Il dit aussi : pas besoin de réponse. C’est rare. Cela m’émeut.

Le texte se referme sur deux figures : Herrigel, et Bergounioux. Deux formes de maîtrise. L’un par la lenteur juste. L’autre par la langue rocailleuse, archaïque. Tous deux disent : le travail est une attente. Et quand cela surgit, ce n’est plus nous.

La lecture du soir, sous la couette, après la journée… c’est un second stage. Un stage intérieur.

Et le sommeil qui dévore à la fin… ce n’est pas une fuite. C’est une offrande.

L’inaccessible

Publié le 4 juin 2023

On me demande un dossier pour exposer à la Maison de la Poésie en Avignon. On pourrait imaginer que j’ai déjà tout de prêt dans un dossier sur mon ordinateur et qu’il suffirait que je produise deux clics pour l’expédier. Je crois que ça n’arrivera jamais. Parce que l’homme que j’étais en créant un tel dossier n’est déjà plus le même lorsqu’on me demande des comptes sur qui je suis ce que je fais, ce que je propose. Ma seule identité stable est sans doute ce doute incessant concernant la croyance envers cette identité stable telle qu’elle serait aujourd’hui exigée pour y ressembler tout du moins. Il faut une date et un lieu de naissance, un parcours, une démarche, des informations biographiques et techniques qui, avec l’âge me semblent de plus en plus appartenir au domaine des rêves. Et ça me plaît mieux qu’avant lorsque je m’angoissais déjà sur ces mêmes demandes. J’ai tant épluché la branche sur laquelle je me tenais que j’ai dû m’ épluché tout entier par la même occasion.
Ensuite il faut un dossier, on ne peut pas y couper. Donc j’en crée à chaque fois un nouveau de la même façon que j’écris mes textes dans ce carnet. Non pas que j’invente, ce n’est pas cela, mais l’écriture semble réorganiser les événements à sa guise, elle m’aide à les réordonner à chaque fois avec une logique inédite. Est-ce que c’est bien ou mal je n’en sais rien, et de plus je crois que je m’en fiche. Quelque chose est de plus en plus assumé de cette instabilité chronique dont on me chauffe les oreilles depuis toujours et qui créa en moi de profondes angoisses.
Surtout par l’écart que je découvris à chaque fois, cette tragédie de la jeunesse de ne pas se trouver tout à fait comme tout le monde et d’aller de ce fait à contre sens par dépit.
Je ne vais plus ni dans un sens ni dans un autre vraiment. Je suis parfaitement insensé voilà tout et c’est en grande part assumé quand je comprends aujourd’hui la valeur du sens commun.

Quel texte écrire pour la Maison de la poésie en Avignon. Mais le même toujours, inlassablement.
Mon chevalet est là devant moi, j’y ai déposé une nouvelle toile blanche, je ne sais pas du tout ce que je vais faire, je n’ai aucune idée, je suis perdu comme aux tous premiers jours de ma vie, alors je prends des couleurs que je dépose sur la palette, j’effectue des mélanges, des petits pâtés de couleurs que je broie et rebroie sous le plat du couteau. Je passe un temps fous à créer ces mélanges, c’est mon petit rituel qui calme la partie anxieuse de ma cervelle. Puis je prends une bonne respiration qui rempli les poumons et je me lance, je pose des tâches, des masses de couleurs sur la toile. Je suis dans une immense forêt du Bourbonnais, puis dans un désert d’Afrique ou d’Australie, je suis dans le chaos de la couleur, dans la pauvreté crasse d’un excès d’abondance, je suis perdu mais quelque chose me pousse à continuer malgré tout, j’appelle ça trouver un équilibre à partir de nombreux petits déséquilibres, j’appelle ça trouver un ordre, une harmonie, une justesse à l’ensemble. Je ne dis pas que je l’atteins comme j’ai rêvé parfois l’atteindre, ce rêve de perfection s’évanouit de plus en plus en plus avec les années, c’était un rêve tout simplement. Rien qu’un rêve produit par une éducation, une histoire, une époque. Quand tout semble tomber juste ( il faudrait un livre entier pour que je m’explique sur le terme juste ) je pose le pinceau et je retourne le tableau contre un des murs de l’atelier.
Ce qui me parait juste ce jour ne le sera sans doute plus le lendemain, il faudra peut-être ôter une couleur, ajouter un trait mince, presque invisible, voire tout effacer et recommencer. C’est que le résultat visible de peindre n’est plus vraiment l’essentiel. Ce qui est essentiel c’est de tenter de rejoindre ce qui est juste au plus profond de nous, et qui ressemble pour beaucoup à ce qui reste inaccessible.

Sur le rythme

Publié le 23 mai 2023

Naissance des formes 36x48 cm huile sur toile 2016

J’observe. Une idée vient, plongée. Elle parait bonne. La maintenir dans la durée oui mais comment ?
Chaque jour, la répétition, impossible à tenir. Impossible car cette régularité imposée n’est pas naturelle, elle ne produit pas une musique. Elle fait un bruit de marteau-piqueur. Pourtant je m’acharne, chaque jour à obéir à l’instance d’une idée qui vient en acceptant pleinement son éphémère. Elle surgit je m’y accroche un instant, le temps de quelques centaines de mots, puis j’ouvre la main elle repart. Je crois que c’est parce que j’ouvre ainsi la main à un moment précis, difficile à définir d’ailleurs, qu’elle reviendra à un moment ou à un autre. Je crois que parce que je ne veux pas la retenir absolument dans une main, l’emprisonner, qu’elle acquiert confiance et revient.
Quand ? Je ne le sais pas. Il faut du silence en deux notes pour pouvoir les entendre.
Le temps de l’écriture est peut-être un genre de partition. Des idées viennent se poser puis repartent qu’on retrouve quelques mesures plus tard en aval. Sans doute est-ce tout l’attrait d’un journal. Voir ainsi ces idées aller et venir au fur et à mesure des textes qu’on écrit, des fragments de longueurs inégales. Il y a un rythme dans tout cela, un rythme naturel je crois. Et donc de la musique. Rythmes et cycles, comment les repérer, comment sortir de la partition pour en juger, et en juger a t’il vraiment un intérêt ? Un oiseau a t’il la possibilité de quitter le ciel pour se regarder voler ?
Cette obsession de l’image envoyée, cette obsession des réceptions, comme on la trouve étonnante quand tout à coup elle se dissipe. Ça ne dure pas longtemps. La lucidité aussi possède son propre rythme comme la naïveté.
Mais si l’on parvient aussi à dépasser ces catégories à n’écouter que la musique, rien de bien grave.
La seule chose déplaisante vraiment en état de fatigue est le bruit des marteaux-piqueurs, et la publicité assénée un peu partout dans les boites mail, la télé, les slogans et les mots d’ordre des couples.
D’où prendre soin de sa santé, bien dormir, manger sobrement le plus possible, aller toucher un arbre de temps en temps. Être en mesure de supporter le rythme des choses même quand il ne semble pas produire de la musique.
Rester dans une ignorance de ce qu’est la musique, ne pas se faire d’idée sur ce qu’est véritablement la musique.
Etre ainsi surpris autant par une musique que par une idée. Et ne pas refermer la main, les laisser vivre leurs vies.

grand format 130x96 technique mixte

Publié le 22 mai 2023

mai 2023 inspiré d’une fresque vue à Cnossos, Crête. work in progress

technique mixte 130x96 cm mai 2023

un peu de changements aujourd’hui .... lundi 22 mai

Nourrir, entretenir.

Publié le 22 mai 2023

en chemin 120x90 cm huile sur toile

j’ai placé un tableau inachevé dans ma dernière exposition dont le titre est "en chemin", d’ailleurs la toile aussi est ainsi nommée. Ce qui me fait rebondir sur l’achevé. L’achevé ne peut être qu’un jugement temporaire en ce qui me concerne. Tant que je suis vivant je peux toujours reprendre une toile que j’ai à un moment ou l’autre désignée comme achevée voire même inachevée et inverser les mots comme les usages. la croyance car s’en est une logée profond qu’une toile sera par définition achevée définitivement quand je le serai également n’est pas un manque de confiance en soi, mais plutôt une forme de lucidité parfois insupportable.

Il me semble qu’un tableau se nourrit au fur et à mesure du temps du changement de regard, de tout ce qui ne cesse jamais de nous traverser, nous entretenons bien plus qu’une surface une épaisseur une croyance ainsi. A même niveau que l’espoir sans les inconvénients des déceptions, c’est vivre avec ce qui nous entoure qu’on le peigne ou pas.

Un tableau peut avoir le même sourire que le chat du Cheshire.

Pureté

Publié le 21 mai 2023

Le passeur 50x70 huile sur toile ( vendu)

En dessin, que se dit-on pour chercher la pureté qui serait d’une efficacité autre, soi-disant supérieure que simple trace. Trouver le tracé à l’instant T. N’est-ce pas déjà tellement complexe ? Être dans l’instant présent qui peut véritablement y parvenir, mais personne. Et quand bien même y parviendrait-on rien ne dit qu’on verrait quoi ce soit. Tout aurait déjà disparu, nous serions déjà passés à autre chose.
Ensuite si l’on réfléchit, si l’on cherche la pureté , il y a de grandes chances qu’on se perde en supputations. Qu’on mette à feu et sang sa maison, son village, sa ville, un pays tout entier voire même plusieurs ; sans pour autant la trouver.
Est-ce mieux, est-ce pire, comment puis-je encore améliorer etc.

Ce n’est plus de la pureté mais de l’efficacité, une illusion, un complexe d’infériorité mal soigné, une pathologie incurable. Rien à voir

Dessiner comme ça vient au moment où ça vient manque parfois d’efficacité mais on y gagne en pureté, sans le savoir.
Et c’est justement très bien de ne pas le savoir. C’est ce qu’il faut exactement, se tenir hors de tout savoir, de toute idée de déjà vu concernant cette fameuse pureté.
Sinon on chercherait une pureté semblable à une autre, à une mémoire de pureté, un mensonge et on s’égarerait encore.
Ensuite, on palabrerait, encore des avis, des opinions parce que ça ne ressemble pas tout à fait à, parce que c’est disproportionné, parce que ci ou ça, Tout ça surgirait de l’extérieur ou de l’intérieur peu importe.
Les gens et soi-même ignorons tout de la pureté véritable alors nous nous reportons sur des ersatz. Mais si un ersatz vaut autant qu’un générique voire un placebo, on pourra dire tout ce qu’on voudra ; mais il faudra éviter de parler de pureté.
La pureté n’est probablement pas dans les choses ni dans les êtres. De plus elle est si multiple qu’on ne peut l’enfermer dans une case ou une cage. Elle chemine dans un perpétuel entre-deux, peut-être dans ce fameux instant présent dont tout le monde parle sans jamais le connaître vraiment.
Elle ressurgit parfois avec des parures d’éternité selon la saison, la mode, le goût du temps, pour redevenir brutale le cas échéant lorsque la nécessité, le besoin s’en fait sentir.

La pureté en dessin c’est comme la pureté en général, c’est un loup blanc qu’on ne voit que lorsqu’il s’enfuit déjà de la périphérie de nos regards.

Consignes

Publié le 20 mai 2023

Il y a stage, il y a thème, donc il y a consignes. Et comme je ne prépare jamais rien, la consigne, au début, n’est qu’un embryon. Un petit bout de quelque chose, une boulette de bousier qui, au fur et à mesure de la journée, s’épaissit. C’est pourquoi j’ai pris l’habitude de donner, dès le départ, une consigne vague. Par exemple celle-ci :
— À l’aide d’une couleur primaire et de sa complémentaire, faites donc une peinture sur laquelle on serait incapable de voir ni l’une ni l’autre.

Ensuite, on prend le café, des petits gâteaux, il y a des questions, plein. Les questions, c’est bien. Heureusement qu’il y a toutes ces questions, sinon je ne sais pas du tout quelle nouvelle consigne je pourrais leur donner.

Une consigne pour produire encore plus de questions, peut-être… Tentons.

— On était parti sur le thème de la couleur, mais est-ce que vous connaissez vos valeurs, au fait ?

Lundi déco.

Publié le 20 mars 2023

Blocs

Alignement au milieu.

On pourrait écrire n’importe quoi pour commencer. On verra bien ensuite où tout cela nous emporte. Si cela marche, fin des compagnies d’aviation, fin des transports en tous genres. A part le vélo bien sur pour ne pas se mettre les fanatiques à dos.

Ensuite on peut écrire une grande phrase qui sert de séparateur, et si les caractères sont si petits c’est pour économiser de la place, de l’encre, du papier. De plus personne ne lit jamais vraiment, mettons donc un point d’honneur dans l’esthétique et non un poing sur la figure de son prochain(e)

Une vidéo Youtube

https://youtu.be/C243DQBfjho
Les 4 saisons de Vivaldi , en voici une légende.

Une liste de courses

  1. Acheter du pain
  2. Des pommes
  3. du sucre en poudre
  4. des cornichons
  5. du beurre
  6. du gruyère

Y a t’il un fond ?

Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t’il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Dans le fond il semble que le fond continue de s’enfoncer encore plus profondément qu’on l’imaginait.

Citations

De Gaulle disait les Français sont des veaux

Les Français qui aiment la viande froide.

“Les Français croient qu’ils parlent bien le français parce qu’ils ne parlent aucune langue étrangère.”

Tristan Bernard

“Quand quelqu’un paye un tableau 3.000 francs, c’est qu’il lui plaît. Quand il le paye 300.000 francs, c’est qu’il plaît aux autres.”

Edgar Degas

nu face à nu

Publié le 10 mars 2023

repousse le mot

rentre dans l’espace de la chose

c’est étroit

plier ranger tout ce qui sort

membres tentacules

pour s’accrocher mains doigts paroles

et sois chose nue,

une à se voir double

à borgne à aveugle encore plus

dont l’un dort dans le mot encore

repousse ce

qui clôture l’autre chose

veille implore

nu face à nu

silex contre silex

le bras se lève

et retombe

étincelle désirée

au bout du bras

comme de l’autre

choc

cancer

feu hante le feu

l’ordre crée le désordre

et l’envers son endroit

La chose muette

et ça muet

avant que vient le caillou

ne se dresse arbre.

étape 1

étape 2

un avant tableau 1

étape 1

étape 2

un avant tableau 2
deux carrés 20x20 avant toute idée de tableau. (acrylique sur panneau de bois )

Surface et profondeur

Publié le 5 novembre 2022

Deux façons habituelles pour moi d’appréhender la peinture, surface ou profondeur. Tenter de créer un et au lieu d’un ou. Essai sur un format 40x40 cm ce matin. Huile sans médium, mais l’utilisation excessive du blanc redonne la prépondérance à la rêverie, à l’éparpillement, à la profondeur. Échec donc pour l’instant. Attendre que ça sèche. Faire autre chose, recommencer plus tard en hissant les choses vers la surface.

Petite expo perso

Publié le 24 octobre 2022

Dernières touches, les petits formats pour l’exposition du 111 des arts à Lyon.

Créativité et Serendipité

Publié le 29 septembre 2022

Lorsque l’on parle des " créatifs", à quoi pense tu immédiatement ? Est ce que tu n’es pas en train de penser à ces personnes stressées qui boivent des litres de café, fument comme des pompiers, s’agitent dans tous les sens de façon apparemment désordonnées ? Tu les vois peut-être aussi se prélasser sur un divan pendant des heures en ayant l’impression qu’ils ne fichent rien ? Ou alors tu as des images de grandes salles open-space avec des types qui jouent au baby pendant que d’autres ont la tête dans leur écran les yeux explosés et une barbe de 3 jours ? Voilà quelques clichés concernant la créativité. Quand à la définition que donne par exemple Wikipédia : "La créativité décrit — de façon générale — la capacité d’un individu ou d’un groupe à imaginer ou construire et mettre en œuvre un concept neuf, un objet nouveau ou à découvrir une solution originale à un problème. Elle peut être plus précisément définie comme « un processus psychologique ou psycho-sociologique par lequel un individu ou un groupe d’individus témoigne [d’imagination et] d’originalité dans la manière d’associer des choses, des idées, des situations et, par la publication du résultat concret de ce processus, change, modifie ou transforme la perception, l’usage ou la matérialité auprès d’un public donné ». Elle croise notamment la créativité individuelle avec la sérendipité ; l’aptitude à utiliser des éléments trouvés alors qu’on cherchait autre chose. Opérationnellement, la créativité d’un individu ou d’un groupe est sa capacité à imaginer et produire (généralement sur commande en un court laps de temps ou dans des délais donnés), une grande quantité de solutions, d’idées ou de concepts permettant de réaliser de façon efficace puis efficiente et plus ou moins inattendue un effet ou une action donnée..." La créativité, tu l’as compris, doit avoir un but ! Et c’est là que l’on peut discuter des raisons pour lesquelles tu hésites à peindre par exemple car tu te demandes aussitôt dans quel but ? Est ce que c’est parce que ça te détend de peindre ? Est ce que tu penses que tu as du talent et que tu vas pouvoir vendre des tableaux ? Est ce que tu as parié avec toi-même que tu étais capable de réaliser des tableaux ? Est ce que tu crois que tu es un génie et qu’il faut quand même que tu offres au monde quelques preuves de celui ci ? Et du coup je peux te poser une question ? Et si la créativité était une fonction naturelle que l’on retrouve aussi bien chez l’être humain, la plante et l’animal ? Et si la créativité c’était l’art de jouer avec les circonstances de la vie ? Et si en peinture il suffisait d’oser faire confiance à sa main et à ses yeux pour être créatif ? La sérendipité toujours d’après Wikipédia : "La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d’un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet. La sérendipité est le fait de « trouver autre chose que ce que l’on cherchait », comme Christophe Colomb cherchant la route de l’Ouest vers les Indes, et découvrant un continent inconnu des Européens. Selon la définition de Sylvie Catellin, c’est « l’art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente ». En France, le concept de sérendipité adopté dans les années 1980, prend parfois un sens très large de « rôle du hasard dans les découvertes ». Alain Peyrefitte avait fait un usage sans rapport du conte oriental Voyages et aventures des trois princes de Serendip de Louis de Mailly en 1976, dans Le Mal français. Sa généralisation a fait l’objet de remises en cause, le hasard intervenant toujours, par définition, dans une découverte ou une invention. On ne peut connaître que ce qui existe déjà, et le sentiment à la vue d’une chose nouvelle se confond aisément avec la surprise d’un événement fortuit. D’un autre côté, on ne trouve jamais que ce qu’on est préparé à voir. Parmi les nombreux exemples de découvertes et inventions liées au hasard, figurent notamment le four à micro-ondes, la pénicilline, la dynamite, le Post-it, le Téflon, l’aspartame, le Viagra, ou encore le super-amas galactique Laniakea. L’existence de la sérendipité est un argument fréquent dans le débat public pour défendre des options d’organisations interdisciplinaires contre la tendance à la spécialisation croissante des champs qui résulte de l’approfondissement des recherches. Cet argument se trouve particulièrement à propos de l’organisation de la recherche." Alors pourquoi je te parle de sérendipité. Si tu débutes en peinture tu vas trouver que ce que tu fais est souvent moche et bon à jeter à la poubelle ... parce que tu te compares à des tableaux connus. Si tu faisais abstraction de ce que tu connais tu verrais ton travail complètement différemment. Ensuite il faudra affronter le regard des autres mais maintenant, tu connais la musique, c’est pas bien grave n’est ce pas ...?

18 juin 2022

Publié le 18 juin 2022

Il y a la nécessité de s’effacer, parfois, pour éviter l’écrasement, céder le passage à d’autres. C’est une chose. Mais il y a aussi l’art de disparaître, de se tenir en retrait pour laisser les choses exister seules, sans intervention maladroite. Non pas par scrupule, mais par lucidité : savoir que notre présence ou notre absence ne changera pas grand-chose.

C’est une forme de retrait, une posture qui pourrait sembler zen, vaguement bouddhiste. Du moins dans l’idée que je m’en fais, imprécise, bricolée avec les années. Et pourtant, j’ai souvent fait l’inverse. Sur certains points qui comptent. L’écriture, par exemple. La peinture, elle, c’est réglé depuis longtemps. Je sais m’effacer. Par lâcheté. 

 Il y a aussi une autre manière d’être en retrait : en étant pleinement soi. L’écriture permet ça. Avec un risque : une seconde d’inattention et tout s’effondre. On peut croire avoir bouclé quelque chose alors qu’en réalité, tout est à reprendre. La relecture, la réécriture : c’est là que tout se joue. Là qu’on distingue le bavardage du reste.

Mais il faut ce bavardage. Sans lui, impossible de saisir ce qu’on cherche à dire. Comme en peinture, il faut accepter le désordre, le laisser vivre, l’observer sans s’affoler. Il ne faut pas tout prendre trop au sérieux, au début. Y revenir plus tard. Et voir ce qui surnage sous les parasites, la confusion et la maladresse.

Illustration  : Giorgio Morandi Natura Morta

Notule 46

Publié le 8 mai 2022

Travail d’élève sur papier.

Sortir de ses gonds c’est ce qu’on nous propose de ne surtout pas faire, et c’est justement pour cela que je n’hésite jamais.

C’est spontané, limpide.

Sinon la réserve l’ulcère l’encaissement, le faux fuyant pour revenir comme un boomerang…

Donc comme lorsque je commence un tableau je n’hésite pas à dire merde ou bite cul, con, couille ! tout haut.

Puis je recule, un mètre ou deux, une journée ou une semaine pour laisser reposer les choses, ou se dissiper l’aveuglement.

C’est par ce mouvement seulement que j’ai appris une certaine bienveillance et à créer de la profondeur.

Et ma foi si c’était à refaire j’emprunterais sûrement le même chemin pour parvenir au même but, même si je voulais faire autrement.

Il y a une nature en toute chose, une fois qu’on la découvre l’évidence est un baume.

Notule 42

Publié le 6 mai 2022

L’impression première de désordre sur la toile ne provient que d’une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement.

Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l’ordre.

Et qui est d’ailleurs à terme un fantasme.

L’ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l’aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie.

Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ?

Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s’appuie une communauté et simultanément à ce refus de s’y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas.

Le désordre peut donc provenir d’une révolte bien sur, comme d’un doute, d’une inaptitude à faire confiance au groupe.

Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d’un but dans l’avenir.

Ce but on ne le connait pas d’une origine. C’est juste la certitude qu’il y en a un qui joue le rôle de combustible.

Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d’entrée de chacun de mes tableaux.

Cependant lorsque je veux " ranger" c’est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j’accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres.

D’où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions.

Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours.

Et si je m’étais trompé ?

Et si tout cela n’était que de la merde ?

Et si j’étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf ?

C’est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n’est tenable.

Et il est probablement nécessaire aussi d’en douter fortement, par période, pour remettre un peu d’ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion.

Car s’extraire de la gravité, trouver le point exact où s’effectue la sortie, l’évasion... l’antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l’observation.

On peut résumer les choses plus simplement.

Il n’y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l’infini s’appuie pour s’élancer plus avant sur le fini.

Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c’est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas.

Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu’elle puisse ne pas se partager, qu’elle puisse ne jamais se partager et continuer.

La certitude qu’un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n’y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n’a pas trouvé.

La fulgurance de l’hésitation

Publié le 10 décembre 2021

Une phrase de Nicolas de Staël tourne dans ma tête depuis l’aube. Il parle de la fulgurance de l’autorité et de la fulgurance de l’hésitation, et il les met côte à côte, comme deux façons d’entrer dans la peinture. J’entends ça très simplement, dans l’atelier : le moment où la main tranche, pose une forme sans discuter, et l’autre moment, tout aussi vif, où elle recule d’un millimètre, reprend, doute, non pour ralentir mais pour viser autrement. Les deux fulgurances se ressemblent vues de près : elles font avancer. Alors je me demande ce qui, en moi, fait sauter la certitude dès qu’elle se présente. C’est presque physique : une idée se fixe, et tout de suite une autre force se lève, déplace la main, dérange l’évidence. Ce n’est pas une morale, c’est un réflexe de survie de la peinture. Si je m’installe trop vite dans “je sais”, la toile se ferme. Si je laisse un espace au doute, elle continue à respirer. Le doute n’est pas le contraire de l’autorité ; il en est une autre forme, plus latérale, plus inquiète, mais tout aussi nécessaire. Quand De Staël bascule dans le tragique, je ne crois pas que ce soit la peinture qui le tue. La peinture, chez lui, est un foyer. Ce qui brûle, c’est le bois qu’il y met : une urgence intérieure, un rapport aux autres qui ne trouvait pas d’issue tranquille, cette pente vers des amours impossibles qui finissent par dévorer l’air. Il meurt à quarante et un ans. J’essaie d’imaginer ce que ça fait d’avoir déjà tout donné à cet âge, de pousser la peinture à ce point de tension. Et je me dis aussi que l’âge n’éclaire pas toujours comme on le croit : il ne règle rien, il déplace seulement la question. Ce qui reste, peut-être, c’est la manière dont l’hésitation travaille la surface. Une toile de Staël n’est pas un décret : c’est une suite de reprises, de corrections, de décisions contredites par la suivante, un palimpseste de gestes où l’on sent encore l’ancienne couche sous la nouvelle. C’est là, dans ces reprises visibles, que je reconnais quelque chose de vivant : non pas la certitude affichée, mais la trace de ce qui a résisté, et de ce qui a fini par passer quand même.

illustration dessin de Lucas

Ordre et désordre, bien et mal, dormir et rêver.

Publié le 10 décembre 2021

Le dernier trimestre s’achève et je repense à ce fil que j’ai tiré dans les ateliers : partir d’un désordre et lui faire rendre quelque chose qu’on puisse regarder sans détourner les yeux. Pas parce qu’il faut “réussir”, mais parce qu’on voit bien la différence entre une surface abandonnée et une surface qui a fini par parler. Ce que je constate, séance après séance, c’est la même crispation chez beaucoup d’adultes. Ils arrivent avec une idée arrêtée, parfois même une image nette dans la tête. Ils la tiennent comme une bouée. Alors, dès que je propose un fond sale, deux couleurs posées vite, des traces laissées exprès, je vois les épaules se lever. Il y a celui qui demande tout de suite : “On fait quoi exactement ?” Celle qui cherche un sujet au bout de trente secondes et qui soupire quand elle ne le trouve pas. D’autres restent figés devant la feuille comme si elle allait les dénoncer. Les enfants, eux, plongent. Ils font, ils ratent, ils recommencent, ils rient d’un trait de travers. Un adulte, au contraire, se met à négocier avec l’exercice pour ne pas se perdre : il veut savoir où ça va mener avant d’y aller. Or ce que je leur demande est simple et difficile : rester dans ce qui arrive. Ne pas décider trop tôt. Accepter que ça commence mal, que ça soit informe, que ça bouge. J’ai vu des élèves se libérer d’un coup quand ils lâchent l’image prévue. Une femme l’autre jour avait juré qu’elle allait “faire un paysage abstrait”. Son fond était moche, elle en avait honte. Je lui ai dit : “Continue, ne lave pas.” Elle a ajouté une tache sombre, puis une autre, elle a gratté au chiffon, et soudain elle s’est arrêtée : “Ah… là.” Elle ne savait pas dire quoi, mais elle voyait. Ce moment-là, il est fragile et il ne se commande pas. Il vient quand on tient assez longtemps sans effacer. Souvent la douleur est là, juste à côté : la peur de rater, l’impression d’être nul, l’envie de tout recouvrir au gesso. Si on s’arrête avant, on reste à ce stade. Si on traverse, quelque chose s’ouvre, même petit. Mon boulot, c’est de les faire traverser sans leur vendre un miracle. Je ne leur donne pas un plan. Je leur mets des contraintes qui limitent les échappatoires : deux couleurs, trois formats, pas de règle, pas de sujet imposé. Je tourne autour de leur panique avec des questions, rarement des réponses. Je dis : “Qu’est-ce que tu vois là ?” “Qu’est-ce que ça te propose si tu ne forces pas ?” Et parfois je ne dis rien, je laisse le temps travailler. L’humour est utile aussi : une blague au bon moment détend la main, enlève l’idée qu’il y a un examen. Peut-être que je suis exigeant, oui, mais je ne leur mets pas ça sur le front. Je préfère que l’exigence arrive par le faire : regarder encore, ne pas tricher avec l’effacement, rester un peu plus longtemps devant ce qui dérange. C’est là que le désordre cesse d’être un ennemi et devient un terrain.

Consignes et contraintes

Publié le 4 décembre 2021

Bon. Il faut qu’on mette les choses au point, et dès aujourd’hui. Vous venez ici pour peindre et vous voulez “faire de l’abstraction”, d’accord. Au fond, vous me parlez de liberté : peindre librement, peut-être faire de beaux tableaux. Je ne vais pas vous contredire. Mais la liberté, en peinture, ça se paie. Donc je vous propose l’inverse de ce que vous attendez : des consignes, des contraintes, un cadre pour vous y frotter. D’abord, vous ne peindrez qu’avec un seul œil. Tenez, j’ai apporté des bandeaux de pirate. Ensuite, seulement de la main gauche — ou de la droite si vous êtes gaucher. Les plus téméraires peuvent lever une jambe, comme un échassier : tant que vous chercherez l’équilibre, vous ne chercherez pas autre chose. Les plus de soixante-dix, asseyez-vous, on ne va pas jouer aux héros. Et puis c’est encore trop facile : vous peindrez sans toile, et sans couleur. Juste des touches obliques dans l’air pour démarrer. On verra bien ce qui sort de ça. Ah, j’allais oublier : mon carnet. Tout le monde a bien payé ?

illustration : Farandole rouge Hans Hartung 1971

Continuer

Publié le 3 décembre 2021

Je vais passer un coup de gesso, ce tableau ne me plaît pas, dit-elle comme on appelle au secours. Je la regarde : tout est là sur son visage, mais ce n’est pas du désespoir, c’est une question posée sans l’être. Une main tendue vers l’effacement. L’atelier aide à répondre : le sol vert pomme, la lumière qui entre par les grandes ouvertures sur le parc, les voix, le café qu’on prépare, un gâteau qu’on te glisse, cette atmosphère de colonie douce. Même après une nuit blanche, je m’y tiens. Je secoue la tête. Non mais ça va pas. Tu crois que tu vas t’en tirer comme ça ? Il est bien parti, ton tableau. T’es bloquée, c’est tout. Je m’approche. Un glacis de bleu là, et je lui montre. Ta composition gagnerait si tu divisais la toile : fais surgir un carré, un rectangle. On ne sait pas encore si c’est un plat de fruits ou autre chose, ça viendra. En bas, tu peux poser ce bleu avec l’orange, faire une terre. Laisse le gesso dans son pot. Tout ce qu’il faut, c’est continuer. Elle hoche la tête, incrédule. D’abord le glacis, je dis. Après on verra. Je ne sais pas plus que toi ce que ça va devenir ; je sais juste qu’il ne faut pas s’arrêter là.

zéro, nul, à chier

Publié le 2 décembre 2021

Cette élève qui ne vient plus à l’atelier, j’y repense comme on rumine un raté. Une femme entre deux âges, veuve depuis un an quand elle s’est inscrite, au plus bas mais décidée à remonter. Avec elle, rien n’allait simplement. Chaque séance se coinçait. Un jour — le dernier pour elle, je crois — elle s’est lancée dans la copie d’un Gauguin. Le tableau a traîné des semaines. À la fin de chaque cours, elle râlait tout bas ; son corps bougeait, s’agitait, et je regardais malgré moi, puis je revenais à la toile. Je lui demandais de me laisser la place, je rectifiais une bouche, un œil ; à l’huile, je lui disais d’attendre, de ne pas toucher à ce que je venais de peindre : “On reprendra la semaine prochaine.” Elle repartait aussitôt dans les mêmes phrases : je suis nulle, c’est nul ce que je fais. Elle ne disait pas plus cru, mais ça s’entendait. La semaine suivante, ce que j’avais repris était défait, le visage retombait dans le terne, dans la boue des couleurs sales, et on recommençait. Soupirs, épaules qui lâchent, mains crispées, puis encore : c’est nul, je suis nulle. Ça a duré. Jusqu’au jour où j’ai commencé à compter le temps que je lui donnais, et à sentir le reste du groupe derrière moi. Ce matin-là, je ne sais plus : une nuit courte, un ciel bas, un truc de travers. Elle m’a reproché de ne pas m’être assez occupé d’elle. J’ai vu rouge. J’avais passé des heures sur son tableau, j’étais intervenu plus que je ne le fais d’habitude, et ce que je reprenais était systématiquement repeint, abîmé, comme si la correction devait disparaître avant tout. On a échangé deux ou trois phrases sèches. Elle est restée campée là, et j’ai lâché : “Si ça ne te plaît pas, la porte est grande ouverte.” La phrase est sortie, impeccablement inutile et pourtant soulageante. Elle a rangé ses pinceaux, pris la toile, et je ne l’ai plus revue. Je la revis quelques années plus tard par hasard. J’étais en train de travailler dans un atelier temporaire à S. Elle était avec une amie ; elle entra sans me reconnaître, je crois. Puis, à mesure que ses yeux s’habituaient à la pénombre — la lumière était chiche dans cet ancien atelier de verrier — je vis son visage se décomposer, sa bouche se tordre, comme au souvenir d’une vieille nausée. Elle resta le temps nécessaire à la politesse, puis elle enjoignit son amie de repartir, laissant derrière elles un sillage qui me glaça jusqu’aux os. Après coup, la question revient : qu’est-ce qu’on fait avec quelqu’un qui s’acharne à se détruire sous vos yeux, qui refuse l’appui, même quand on le lui tend ? Ce qui me serre encore, c’est que je la connais trop bien. Cette façon de gâcher ce qui tient, de revenir au pire comme à une certitude, je l’ai portée longtemps ; il en reste quelque chose. Depuis, je n’interviens plus sur les tableaux. Je dis moins, je laisse les gens aller au bout de leur propre manière d’échouer, et je lâche une piste quand elle peut servir. J’ai aussi instauré une règle simple : un euro chaque “c’est nul”, “c’est moche”, “je n’y arriverai jamais”. Ça fait rire, et ça coupe net la petite litanie. De temps en temps, le mot “nul” revient dans une bouche, dans un livre, et la scène remonte : une femme penchée sur son Gauguin, ce refus sans fin, et ce que ça réveille. J’essaie d’en faire quelque chose d’utile ; au minimum, de ne pas laisser la phrase me tirer vers le fond avec elle.

Regarder un tableau

Publié le 20 novembre 2021

Hier soir, nous nous sommes rendus, mon épouse et moi, à un vernissage. Il y avait là les œuvres d’un peintre ami et celles d’un photographe que je ne connaissais pas. Et ce fut une aubaine pour me retrouver dans la peau d’un quidam qui visite une exposition, exercice dont je n’abuse pas tant il déclenche chez moi des émotions souvent antagonistes. En premier lieu, j’effectue un rapide panoramique de l’ensemble des œuvres accrochées pour me fabriquer une première impression. Je tente de découvrir, lorsque celle-ci ne me saute pas aux yeux, une unité, une cohérence. Puis je m’approche pour zoomer sur chaque pièce afin de la voir dans son isolement par rapport à cette unité, si je l’ai découverte. Si je ne l’ai pas trouvée, je m’approche aussi de toute façon et là, que se passe-t-il ? Est-ce que je ne suis pas en train de juger un travail ? Est-ce que je porte une attention à l’émotion que produit ce travail sur moi ? Je me demande ce que veut dire l’artiste ou ce qu’il cherche à ne pas dire. Bref, tout un bouclier de pensées et d’émotions se constitue immédiatement aussitôt que je m’approche du tableau ou de la photographie. Et ensuite un jugement est établi, sommairement la plupart du temps, qui consiste à me dire j’aime ou je n’aime pas, puis à passer au suivant. En cela, je ne suis pas mieux loti que quiconque. Et j’aime cela. J’aime cette partie de moi qui se fédère à ce que l’on nomme « le public ». C’est-à-dire à ces notions de beau ou de laid, à ces clichés, et sans doute je m’en imbibe comme un buvard. Puis, une fois toutes les œuvres passées en revue, je vais boire un coup, je discute avec les artistes, avec les autres invités, je pioche dans les petits fours ou les chips, et la soirée passe ainsi. Enfin, c’est lorsque je me retrouve seul que je repense à tout ce que j’ai vu, à tout ce que j’ai éprouvé et pensé à ce moment-là. J’ai une excellente mémoire de tous ces petits détails, à force d’entraînement. Et là, je décortique. Que puis-je vraiment me dire au terme de cette exposition, qu’ai-je appris ? Car pour moi un bon moment se résume souvent au fait d’apprendre quelque chose. C’est d’ailleurs sans doute un de mes travers, soit dit en passant. Car si je juge n’avoir rien appris de nouveau, j’ai cette tendance à penser que j’ai perdu mon temps. Ce qui est une de mes angoisses favorites. Ce qui me pousse à écrire ce texte, car je vois bien à quel point il peut être compliqué de regarder un tableau, ce qui est paradoxal puisque toute la journée je n’arrête pas d’en regarder, de donner mon avis, de conseiller mes élèves sur tel ou tel blocage, tel ou tel déséquilibre. Comment je peux oser avoir autant de confiance en moi à ces moments-là et en manquer parfois tout autant lorsque je me rends dans une exposition. On pourra penser que je ne suis qu’un petit dictateur qui, sitôt qu’il sort de sa zone de confort et de sécurité, déraille totalement. Je pourrais facilement le penser, pour être un peu raide avec moi-même, sans complaisance. D’ailleurs il n’est pas rare que les profs se permettent ce genre de jugement à l’emporte-pièce, je ne citerai pas de noms, et des artistes aussi. Sur quelle base formule-t-on de tels jugements ? Pour rester dans une forme de bien-pensance ou de mal-pensance à la mode, la plupart du temps sans doute, pour ne pas s’isoler d’un consensus que l’on perçoit presque immédiatement et qui nous aspire malgré nous ? Cela nécessite un effort pour être indifférent à ce consensus. Pour ne pas y adhérer de façon aveugle. Pour tenter de se forger sa propre idée. Ce qui revient assez souvent, c’est le mot justesse lorsque je repense à ces tableaux, à ces photos. Ce ne sont pas des critères de beau ou de laid, ni de bien ou de mal, mais une double question : suis-je juste face à l’œuvre, suis-je aligné, bien dans mes baskets ? Cette œuvre est-elle juste de façon autonome ? Ces deux questions sont de vraies questions qui ne nécessitent pas forcément une réponse immédiate. Mais il faut parfois du temps pour que je me les pose. Et c’est au moment où elles sont enfin posées que je peux me faire une idée plus juste de tout ce que j’ai pu regarder et voir. Cela aussi implique une durée qui n’est pas non plus linéaire. Une durée circulaire qui transite par de nombreux tableaux ou photographies déjà vus, c’est-à-dire sans doute ce que nous appelons des références. Toute une collection de références sur laquelle on s’appuie pour associer une catégorie à un travail. Ce que je réfute à tout bout de champ lorsqu’il s’agit de mon propre travail, car cela m’agace qu’on me dise tiens on dirait Modigliani, ou encore Mark Rothko, ou je ne sais qui. Nous ne sommes donc jamais à une contradiction près. Regarder un tableau, ça veut dire quoi exactement alors ? Qu’est-ce que l’on regarde vraiment ? Est-ce que l’on effectue un inventaire de nos propres connaissances en matière de peinture ? Est-ce que l’on ne fait que penser ce surgissement afin d’ensuite pouvoir parler de cette vision, ne serait-ce qu’à soi-même ? Ou bien tout cela n’est-il qu’une sorte de pansement pour tenter de combler le vide dans lequel nous sommes aspirés sitôt qu’une œuvre exposée en tant qu’œuvre surgit ? Une autre chose à laquelle je pense souvent, c’est le cadre dans lequel le tableau est exposé. Est-ce que le même tableau sous les tréteaux d’un vide-grenier a le même impact que dans une galerie ? Bien sûr que non. La triste vérité est celle-ci : bien sûr que non. Ce qui explique en grande partie pourquoi je vais rarement à des vernissages, visiter des expositions, et pourquoi aussi j’ai renoncé aux vide-greniers. Et aussi pourquoi j’ai déserté les chapelles et l’Église en général. Et, de plus, pourquoi je me sens si bien dans mes ateliers avec les enfants. Parce que je n’ai absolument pas peur, tout comme eux d’ailleurs, de pousser des cris, des gloussements et des grognements de plaisir lorsque je vois un tableau réalisé par l’un d’entre eux, et même, parfois, j’effectue un petit pas de danse et je frappe dans les mains juste avant d’effectuer un salto avant ou arrière pour leur plus grande joie.

La peinture "médianimique"(notes sur l’art brut)

Publié le 7 novembre 2021

Du spiritisme aux théories sur le hasard.

Le hasard est comme un iceberg, on n’en voit que la partie visible, celle du temps présent.

Pour en revenir à l’art brut Je me suis mis en tête de trouver différents angles d’attaque non pour définir ce qu’est celui-ci, mais afin de suggérer un certain nombre de pistes qui me paraissent fécondes dans ma façon d’aborder la peinture aujourd’hui.

Si désormais le mot hasard revient de plus en plus dans ce que je peux recueillir des processus (les miens et aussi ceux de nombreux autres artistes dont j’ai pu déchiffrer la démarche) concernant la peinture abstraite, je me demande ce que recouvre véritablement ce mot.

Car dans le fond et à la vue de la pudibonderie de notre temps recouvrant d’un voile de pensée mainstream tout ce qui a déjà été exploré dans les mines des hauts de France par ce qu’André Breton nommait des peintres médianimiques, notamment Augustin Lesage, j’ai des doutes tout à coup, et je me demande si ce terme facile de hasard n’est pas en quelque sorte de la pudeur plus que tout autre chose. Et lorsque j’emploie ce mot je parle évidemment du paradoxe excitation-gène qui finit par le rendre addictif

Il ferait beau voir que je me targue de peindre, en public et en plein jour, à l’écoute de voix qui me dicteraient tel rouge ou tel jaune, qui s’empareraient de mes mains pour tenir le pinceau et lui faire dessiner et peindre des œuvres directement issues de l’Au-delà.

J’avoue que j’aurais bien du mal à tenir longtemps ce discours sans pouffer à un moment ou à un autre, idiot que je suis , contaminé par la raison bulldozer le rouleau compresseur de la sainte pensée unique. Voici pourquoi le hasard convient mieux essentiellement, il ne sert qu’à rester dans le groupe, à ne pas être expulser à la marge.

Je pourrais aller chercher des arguments concernant ce fameux hasard que l’on utilise désormais à toutes les sauces dans le domaine de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie, ce ne serait encore que science sans conscience, et donc ruine de l’âme par ricochet.

J’entends ici la conscience au sens le plus large, c’est à dire la perception et qui dépasse de mille coudées l’entendement et tout le bric à brac raisonnable justement qui l’accompagne.

Il n’y a pas de raison sans perception

Suivant l’adage rien ne peut venir à la raison sans provenir avant tout de la perception. Encore faut-il s’entendre sur la définition de ces deux mots évidemment.

Si le but de la raison est seulement d’avoir raison, autant se jeter dans la perception totalement. C’est d’ailleurs la motivation principale de ce projet de textes autour de l’art brut.

Mon intuition est qu’il est une porte ouverte sur la perception à l’état pur (brut ?) et que tout le discours que l’on peut tisser pour tenter de l’emprisonner, notamment le discours habituel de l’élite lorsqu’elle invente comme cela l’arrange des théories fumeuses sur tel ou tel artiste ne sert encore qu’à dissimuler en grande partie ses sources les plus vives.

Nous nous sommes coupés de par cette fameuse raison avec sa logique mondialisée et blasée et désormais par crainte du ridicule aussi, de bien des conversations que les intellectuels, les écrivains, les artistes du 19eme siècle, abordaient notamment sur le spiritisme.

Serions nous plus intelligents que nos prédécesseurs où plus désabusés ?

Serions nous aujourd’hui plus intelligents au 21ème pour déclarer que les théories du hasard , de la psychanalyse, de l’inconscient valent mieux que ce sur quoi s’appuyaient de nombreux écrivains du 19ème pour cerner le fantastique, le mystère, l’ineffable ?

Aujourd’hui on voudrait que tout soit logique tellement que cette quête en devient insensée et ne produit plus qu’un chaos généralisé.

Il peut alors être sage, et c’est un pas de géant sans doute vers l’humilité que d’accepter que ce que nous appelons le hasard aujourd’hui est synonyme d’inconnaissable.

Un inconnaissable qui continue à attirer vers lui de nombreuses personnes pas toujours bien intentionnées et qui chercheraient évidemment encore à contrôler quelque chose au travers lui. A contrôler les autres évidemment.

C’est à dire qu’il représente peut-être le même genre de Nouveau Monde vers lequel voguaient les caravelles, presque en même temps que la Peste Noire envahissait l’Europe, sauf l’Italie ce qui permit à la Renaissance d’y germer puis de se déployer peu à peu dans une Europe convalescence en quête d’un sens nouveau.

La grâce ne s’avance pas seule hélas, elle s’accompagne de phénomènes périphériques liés le plus souvent à la vanité et à l’orgueil, au profit que l’individu espère tirer de l’inconnaissable pour gouverner et exercer son pouvoir sur l’autre.

Ainsi la découverte du Nouveau Monde, par une nuit du mois d’octobre 1492, s’effectua t’elle totalement "par hasard" lorsque les deux caravelles, la Pinta, la Nina et une caraque, à la recherche d’une route vers les Indes Orientales, abordèrent la petite île de Guanahani, actuel Salvador, dans les Caraïbes. La raison pour laquelle Christophe Colomb dont le projet était de découvrir cette fameuse route, après plusieurs échecs de financement fut finalement commandité par la reine Isabelle 1ère de Castille ( elle fut financée en grande partie, cette expédition , par les taxes et les amendes imposés alors aux juifs et musulmans du royaume) était de toute évidence principalement commerciale, et dans l’espoir d’augmenter les profits.

Possible que chaque époque rêve d’un nouveau monde

Les psychanalystes justement parleraient d’un phénomène récurrent, de répétition qui s’effectue aussi longtemps que l’on n’a pas résolu le conflit qui en est à l’origine.

Ce rêve permanent qui traverse l’histoire de l’humanité selon les époques se dissimule sous des couches superficielles que l’on peut appeler l’intérêt, le profit, le pouvoir, c’est à partir de ces couches les plus superficielles dont s’entoure ce rêve que nait l’histoire telle qu’on veut nous l’enseigner.

Il me semble que nous sommes certainement la partie du monde, occidentale, qui a le plus besoin de revenir à ce rêve sans relâche du fait que notre pensée contemporaine se développe désormais totalement coupée elle aussi de ses racines sacrées. La pensée se développant en occultant une grande partie de la perception du sacré. Le reléguant comme phénomène mineur, périphérique, anecdotique, ce qui est sans doute une grande erreur provenant de notre individualisme.

Le besoin de croire, d’imaginer, de rêver, n’est ce pas cela l’essence même d’être humain avant tout ? Et tous ceux qui en ont profité depuis la nuit des temps le savent et continue d’en profiter tous les jours. Si ce n’est plus par la religion, c’est par le marketing, par la pub, par l’art, par le sexe, par l’amour. Tout est bon désormais pour vendre du rêve, mais ce ne sont plus que des rêves en toc.

Et avec l’inflation de nos rêves est directement atteinte notre force vitale.

C’est pourquoi l’art brut me semble aussi être une voie, un sentier sur lequel cheminer dans la brume de cet automne occidental.

Ce projet de m’intéresser de façon sérieuse, documentée, à l’art brut ne date pas d’hier. Sans doute parce qu’en grande partie je me sens moi-même comme un électron libre face à l’Art, à la peinture notamment, malgré tout le savoir engrangé, malgré les études, malgré l’expérience acquise, le mot autodidacte me colle à la peau.

En refusant le cheminement classique qui sans doute déjà représentait ce que l’on appelle aujourd’hui la pensée unique, sans vraiment le savoir je m’engageais dans le risque, dans l’inconnu, avec une croyance naïve propre à tous les jeunes gens de faire du "nouveau", "du neuf", "de l’original".

Encore que lorsque je pense à cette naïveté aujourd’hui les mots dont je l’entourais ne me servaient sans doute qu’à préserver, ou éprouver celle-ci.

Lorsque j’ai vraiment commencé à peindre, je ne parle pas des années de formation, mais de cet instant où justement j’ai accepté de ne rien savoir pour déposer mes premières taches sur le papier et sur la toile, j’ai senti quelque chose s’emparer de mon crayon, de mes pinceaux et que j’ai presque aussitôt mis de coté tant cette chose m’effrayait.

Je me souviens d’une grande feuille de papier de 2m par 1m que j’avais punaisé au mur de la chambre où j’avais échoué et sur laquelle avaient surgit des formes et des visages du type Maori. Je peignais déjà comme je le fais aujourd’hui, en refusant de prendre des modèles, je me disais que tout devait venir de l’imagination ou rien.

Cela m’a beaucoup intrigué de voir apparaitre ces visages, des femmes aux formes généreuses, réalisées à la gouache. A un moment du tableau j’ai même eu une étrange sensation de familiarité avec le personnage principal du tableau. Et je me souviens de m’être dit c’est moi dans une autre vie.

Cela parait évidement totalement loufoque à la lumière de la raison.

Et puis je ne mangeais pas tous les jours à ma faim, et puis j’étais tout seul durant des jours à ne parler à personne, sans doute peut on attribuer toute cette histoire au malheur et à un besoin compréhensible de sublimation.

Bref, en comprenant que je glissais vers une douce folie, j’ai décidé de m’imposer une plus grande discipline. Je me suis intéressé à la façon de gagner de l’argent pour pouvoir me nourrir correctement, j’ai fait de l’exercice, principalement de la marche, et je me suis rendu dans de nombreuses bibliothèques de la ville pour côtoyer du monde, sans pour autant avoir à lui parler.

Enfin j’ai ôté du mur ce grand tableau que j’ai roulé et rangé sous le lit. Pour remettre aussitôt une autre feuille du même format au mur et recommencer.

A ma grande stupéfaction je vis apparaitre alors un personnage de l’ancienne Egypte, puis un autre et tout un décor étrange que je n’avais de mémoire jamais vu et qui pourtant me parut aussitôt familier. Il s’agissait d’un couple dont j’étais le serviteur, peut-être un modeste scribe.

Quelques années plus tard je travaillais au musée du Louvres comme maître Jacques et je tombai tout à coup sur le Scribe accroupi dans les salles Egyptiennes. Le choc fut d’une violence telle que je faillais tomber dans les pommes. C’était comme si je me voyais soudain dans un miroir, mais dans la peau d’un autre. Et aussitôt je repensais à cette peinture que j’avais effectué comme en transe dans ma petite chambre d’hôtel et qui représentait une scène de l’ancienne Egypte.

Il y a donc bien malgré toute la raison que je me targue de posséder une porosité certaine par laquelle le mystère l’étrange, l’inconnu se fraie depuis toujours un chemin pour tenter de parvenir à ma conscience.

Et à chaque fois le même scénario recommence, je me dis que je deviens cinglé, que j’ai des hallus, que c’est probablement une carence en potassium ou en magnésium. Bref j’élude.

Et en même temps je ne peux me détacher totalement de cette part de moi-même vulnérable, enfantine, qui semble attirée obstinément vers tous les contes à dormir debout, vers le surnaturel, vers le hasard.

C’est là sans doute l’essence même du conflit qui m’habite depuis toujours, cette lutte permanente entre raison et déraison et je ne saurais dire laquelle de ces deux forces en présence a le dessus tant elles sont équivalentes dans leur puissance.

La lucidité me sert à examiner ce que l’on appelle facilement la folie et cette dernière ne cesse de remettre en question la fiction que représente pour elle la pensée logique, rationnelle. C’est ainsi que j’avance et recule sans arrêt dans ce jeu de l’oie. Avec parfois la sensation d’atteindre à la clarté tandis que d’autres fois je m’enfonce comme un bouchon dans les profondeurs les plus troubles, les plus sombres, les moins explicables.

Le fantasme de retrouver un cœur pur

Par ce projet d’étudier l’art brut, j’espère résoudre sans doute un peu plus ce conflit mais je vois déjà qu’il ne s’agit pas de trouver une solution plutôt que d’effectuer un choix comme dans le film "les aventuriers de l’Arche perdue" où le héros doit emprunter un pont invisible. Poser le premier pas dans le vide c’est faire acte de foi envers cette folie, cet inconnu. C’est aussi selon les règles posséder un "cœur pur".

Est ce que ce que j’imagine de ces artistes de l’art brut n’est pas tout simplement encore une sorte de fantasme ? Est ce qu’ils ont véritablement le cœur pur ? C’est à dire est ce qu’ils ont préservé en eux la meilleure part de cette enfance que nous regrettons souvent nostalgiquement et qui sans doute n’est rien d’autre qu’une fiction comme tout le reste ?

Souvent je repense à mes débuts en informatique et je me dis qu’ils ressemblent beaucoup à mes débuts en peinture. Je crois que j’ai passé de nombreuses années à reformater mes disques durs lorsque je découvrais tout à coup que j’avais rempli leur mémoire de tout un fatras de choses inutiles. De même que j’ai recouvert d’innombrables toiles d’enduit pour ne plus voir les sottises que j’y avais dessiné ou peint.

Cela fait longtemps que je ne formate plus et que je recouvre beaucoup moins d’enduit qu’auparavant. Je crois que ce besoin d’ordre, de perfection, comme de cette fameuse pureté m’ont quitté avec l’âge. Je suis plus tolérant envers moi-même. Encore que très exigeant toujours. C’est à dire que cette exigence s’appuie sur autre chose désormais. Peut-être pas tant d’avoir un cœur reformaté , un soi disant cœur pur, ce genre de cœur qui mène à l’inquisition et au fascisme sans même que l’on s’en rende compte. Je crois que c’est plus une notion musicale de justesse qui m’oblige à cette exigence.

Si la note n’est pas juste c’est que l’instrument est mal accordé ou que le joueur s’écoute encore trop jouer.

Il est possible alors que ces artistes qui ne s’appuient pas sur la pensée, sur la logique, la rationalité pour créer, ces artistes de l’art brut, ces artistes médianimiques ont trouvé une solution en prenant ce qu’ils nomment les esprits pour se laisser aller à créer ce qui de toutes façons doit se créer.

En cela il s’agit encore une fois d’univers particuliers avec des grilles de lectures particulières du monde. J’ai toujours pensé que c’était cela l’essentiel à comprendre, ces langages, ces grilles de lecture. Qu’elles soient pertinemment perçues par le plus grand nombre comme la religion, la politique, la psychanalyse, où bien par une minorité comme le spiritisme, le chamanisme, la peinture intuitive, cela ne remet pas vraiment en question leur rôle de médiatrice avec l’inconnaissable.

L’inconnaissable.

Hier je me disais encore que j’aimerais voir une chose simple, une feuille, une goutte d’eau, un pot sans tout ce que je ne cesse de coller dessus comme interprétation, que ce soit par le mental et par mes propres perceptions. Je me posais cette question de savoir si ces choses simples existaient vraiment en dehors de moi, sans moi, et comment elles apparaitraient alors dans ce qu’imagine être encore un "absolu". Dans leur essence.

C’est là l’extrême de mon orgueil encore très certainement que de vouloir voir au delà de l’être, sans doute au delà de Dieu également. C’est voir ce que Castanéda nomme le nagual au delà du tonal.

Est ce vraiment de l’orgueil d’ailleurs, je crois qu’on utilise aussi ce mot comme on utilise le mot hasard.

Ce que dissimule l’orgueil est encore autre chose, au delà de la superficialité que l’on attribue à la bêtise, au besoin d’être aimé, à la reconnaissance, à l’envie de dominer, à la peur d’être nu.

Chez les grecs anciens, on n’aurait pas compris qu’un héros ne soit pas orgueilleux au même titre que les dieux eux-mêmes l’étaient. C’est de cet orgueil là dont il faudrait parler, un orgueil comme une force et qui n’aurait pas d’autre profit de celui de pouvoir se déployer comme la mer se déploie, comme le tonnerre tonne, comme le vent parcours le monde.

Je demande pardon au lecteur pour la longueur inconsidéré de cet article que je devrais sans doute remanier comme de nombreux autres. Mais cela me semble aussi honnête de montrer la naissance d’une pensée, d’un projet à ses débuts. C’est aussi montrer d’une certaine manière un début d’obéissance à quelque chose qui s’écrit au travers de ce personnage de blogueur. Parce qu’il n’y a évidemment pas qu’en peinture que la possibilité médianimique s’opère, dans l’écriture aussi, cela je le sais depuis le début.

Nouvelle exposition dans le Haut-Jura

Publié le 30 octobre 2021

Du 30/10/2021 au 28/11/2021 exposition de peintures au Caveau des artistes à Saint-Claude (office de Tourisme) fermé le dimanche

Exposition Patrick Blanchon au caveau des artistes de Saint-Claude, Jura

Précision

Publié le 29 octobre 2021

Il suffit juste que je me mette à me poser cette simple question pour que le vertige m’envahisse. Je veux dire : que se passera-t-il dans un mois, dans un an, dans 5 ou 10 ans ? Si je veux m’effrayer un bon coup pour déclencher la dose nécessaire d’adrénaline qui me soulèvera de mon siège pour me propulser jusqu’à la salle de bains, je n’ai qu’à penser à ce genre de chose. Car la plupart du temps je me heurte à une sorte de mur de Planck ; au-delà du bout de mon nez, le flou semble être la limite qui se confond avec tous les horizons possibles et impossibles. Et à ce moment-là je me remémore une phrase que l’on m’avait chuchotée à l’oreille d’une voix douce et suave : « Essaie d’imaginer les choses avec un maximum de précision pour qu’elles arrivent. » J’ai fait un paquet d’efforts à cette époque dans l’unique but de conserver cette relation avec la propriétaire de la voix. Mais ce n’était pas une raison suffisante, visiblement. Je veux dire que je n’étais pas prêt à tout, dans le fond, pour me lancer dans une velléité de précision dans un but purement égoïste. Je repense à cela aujourd’hui en regardant les tableaux emballés juste avant de partir dans le Jura pour une nouvelle expo. Je ne peux plus les voir en peinture, ces tableaux. Je les ai tellement vus et dans de nombreux lieux qu’ils me sortent par les yeux. En phase dépressive enfin, c’était à prévoir depuis septembre, me revoici enfin revenu à mon élément de base. Je veux dire cette mélancolie, cette tristesse liée à une sorte d’impuissance, le tout mêlé de regret et de remords et qui, tour à tour, m’emporte vers une compassion imbécile ou, au contraire, dans une colère, une rage quasiment incontrôlable. C’est dans cet état pourtant qu’il faut être le plus vigilant et conserver le sourire. C’est là le vrai travail. L’écriture m’aide beaucoup à essayer de préciser tout cela. En le mettant noir sur blanc, au dehors j’aspire à faire place nette tout en n’étant pas dupe non plus. Ce serait trop facile et donc à côté de la plaque comme d’habitude. Non, je me dis qu’il faut faire cet effort de précision, sortir de l’obsession de l’urgence, agrandir l’espace et le temps, sans se prendre trop au sérieux non plus. Gommer s’il le faut et recommencer jusqu’à disparaître totalement dans la pureté d’un trait, dans l’exactitude d’une valeur, dans la précision tout entière.

Aquarelles 5x5 cm

Publié le 21 octobre 2021

Réaliser de tous petits formats à l’aquarelle, c’est amusant et puis on ne va pas penser à tout cet argent que ça va rapporter, bien sûr ; on est à des années-lumière du marché, on ne fait ça que pour le plaisir, n’allez pas chercher midi à 14 h. Allez, c’est parti, on commence doucement par des lavis légers, légers, et comme on a le temps on ne se presse pas, on respire, on inspire en prenant le pigment sur le pinceau et on expire en le déposant sur le papier. Ensuite on peut utiliser des masques, des formes que l’on va placer sur le papier pour « réserver » soit des blancs, soit une part de ces premiers lavis, et on repasse une fois le papier sec au toucher avec une couleur un peu plus dense (mais pas trop). Je vous ai préparé un masque pour faire douze petits tableaux d’un seul coup, c’est tout bête : une plaque de carton de la même taille que la feuille, que vous recouvrez de scotch d’emballage pour pouvoir le nettoyer et le réutiliser à l’infini. Vous découpez au cutter vos carrés ou vos rectangles, et même des ronds si vous voulez, et hop ! une feuille dessous, tenue avec un peu de collant, et c’est parti !

Visages à l’encre de chine

Publié le 21 octobre 2021

Ce soir nous allons réaliser des visages à l’encre de Chine à l’aide d’un outil que vous n’avez pas l’habitude d’utiliser. Il s’agit de coins de tableau en bois : ce sont des objets triangulaires qui servent à tendre la toile et que l’on installe au dos de celle-ci sur le châssis. Pourquoi ne pas utiliser un pinceau, un porte-plume ? Je sais que vous vous le demandez, n’est-ce pas, et bien c’est pour que vous ne soyez pas trop habiles à réaliser ces travaux. … ? Bon, je vous explique. C’est vrai, vous êtes venus pour apprendre à « bien » dessiner, comme on dit, c’est-à-dire à apprendre puis à respecter un certain nombre de règles que les dessinateurs s’échangent depuis belle lurette et qui ont pour but de produire un travail agréable à l’œil. Il est possible que ces règles vous rassurent plus qu’autre chose parce que vous n’osez tout simplement pas dessiner comme vous le désireriez vraiment. Je veux dire comme lorsque vous étiez enfants et que vous n’aviez pas encore ces notions de beau et de moche comme aujourd’hui, et qui vous entravent. Je sais que dire ce genre de choses n’est pas très habituel pour un professeur de dessin, c’est un peu comme si je me tirais une balle dans le pied. Comme si, dans le fond, je ne servais à rien, et vous auriez parfaitement raison de le penser. Je ne vous apprendrai pas à « bien » dessiner ; par contre, je peux vous aider à dessiner quelque chose qui vient de vous, vraiment. C’est-à-dire vous amener à retrouver cette source où l’amusement, le plaisir primaient sur toute autre obligation. Cette obligation que ça soit beau, que ça soit joli, plaisant, montrable, pour vous faire admettre dans la grande famille des dessinateurs de tout acabit dignes de ce nom. Pour que vous parveniez enfin à vous dire : ouf, ça y est, je sais bien dessiner, j’appartiens à cette famille, me voici totalement rassuré sur mon compte. Eh bien non. Je suis plus exigeant que cela, vous n’êtes pas bien tombés, pas coulant pour deux ronds comme prof. Donc je vous montre rapidement ce que je veux dire par dessiner un visage : je vais vous le faire de façon « classique » en vous montrant toutes les règles, toutes les astuces, les proportions, comme ça vous serez rassurés sur le fait que je ne suis pas un guignol : je sais dessiner un visage comme tous ces dessinateurs dont le seul but est l’habileté, la performance. Vous commencez par placer un axe ; attention, il faut l’incliner légèrement si vous ne voulez pas obtenir un photomaton. Puis vous placez la ligne des yeux à la moitié de votre trait (léger le trait, vous pouvez prendre un crayon). Ensuite patati patata : ne fermez pas vos formes, ne me dessinez pas, par exemple, tout le contour de l’œil ou de la bouche ; suggérez ; pensez que le spectateur sera heureux d’avoir un peu quelque chose à faire avec ce qu’il a entre les deux oreilles. Voilà, vous voyez, c’est facile de dessiner un « beau visage ». Voilà justement ce que je ne veux pas que vous fassiez. Maintenant, voyons voir cet outil : le coin de tableau. Il est pointu, donc vous pouvez l’utiliser comme un crayon en l’imbibant d’un peu d’eau et d’encre, comme un pinceau, et, comme un pinceau ou un crayon, vous pouvez exercer une pression sur celui-ci pour la finesse ou l’épaisseur des traits. Et ce n’est pas tout ! Si vous le prenez sur le côté et que vous l’imbibez d’un gris léger, regardez ces magnifiques gris que vous obtenez en le frottant sur le papier. Donc voilà, vous avez de quoi faire. Dernière consigne et vous serez libres totalement : la présentation, c’est-à-dire l’installation de ces dessins-peintures, car il s’agit évidemment aussi de peintures… Vous me faites trois vignettes en bas de la feuille pour vous exercer, et au-dessus de celles-ci un carré pour agrandir le visage qui vous inspirera le plus parmi ceux que vous aurez réalisés. Voilà, je crois que je vous ai à peu près tout dit. Vous avez deux heures : ne réfléchissez pas, amusez-vous !

Petite étude de la déception en peinture.

Publié le 19 octobre 2021

À cheval sur un boulet de canon, le baron de Münchhausen fend les airs en agrippant son couvre-chef. C’est cette image qui me revient tout à coup en lisant un commentaire sur un réseau social à propos des buts et intentions en peinture. C’est-à-dire que sans but, sans intention, le peintre qui ne se fierait qu’au hasard se retrouverait, je cite, « gros Jean comme devant ». Et que, pour donner ensuite un titre à son œuvre, il devrait se creuser les méninges après coup d’une façon pathétique. Un joli coup d’épée dans l’eau, selon les avis compétents en la matière. J’ai aussi cru à cela. Je veux dire à cette histoire de préméditation, de but, d’intention en peinture. Et c’est bien normal d’y croire, n’est-ce pas, quand on vous l’assène depuis les bancs de l’école. Il ferait beau que l’on se mette à peindre pour rien, et pourquoi pas avec un bandeau sur les yeux pendant que nous y sommes ? Oui, d’accord, je veux bien écouter tous les arguments en faveur de l’esquisse, de l’ébauche, du but et du labeur pour atteindre à cette récompense, mais tout de même, beaucoup se cassent la figure en route ; doit-on alors établir encore la même sempiternelle hiérarchie entre ceux qui, doués d’habileté, y parviennent tandis que les autres échouent ? Ne serait-ce que cela, la peinture ? Une sorte de marathon avec des médailles à l’arrivée ? Dans une grande partie, oui, d’après mes dernières observations. C’est pourquoi il existe des salons, et des prix sans oublier les accessits. C’est sans doute aussi pour perpétrer une idée d’excellence qui flattera la vanité de certains tandis qu’elle excitera la jalousie des autres, ou leur admiration. Autant dire que tout tourne en rond autour de l’égo, comme toujours. Il faut des maîtres comme il faut des cancres. Entre les deux, l’immense cohorte de ceux qui voudraient bien mais ne peuvent point. Ce qui m’amène tout droit à la raison de cet article : la déception en peinture. En ce qui me concerne, la déception aura été pour moi l’une de mes plus fascinantes maîtresses. Elle m’a rabattu le caquet tant de fois que je n’ai pas assez de doigts aux mains et aux pieds pour les compter. Ce n’est pas que je sois masochiste, non, mais j’ai été jeune longtemps et du caquet je n’en ai pas manqué, à un point tel qu’il devait finir par m’encombrer. Sans la déception, je crois que je continuerais encore à pérorer de façon fatigante tout en m’exerçant comme un artiste de cirque à répéter en vue d’un spectacle, d’une performance. Heureusement que l’entropie n’est pas faite pour les cochons. L’entropie et la déception m’auront rendu poli, à la fin. Tous mes espoirs se seront érodés par la force des choses, car bien sûr ils étaient vains. Ils étaient vains dès l’origine, dès que j’ai suivi tous les « on dit » sur l’art et la peinture en particulier. Mais comment faire autrement ? On croit qu’il suffit d’avoir une idée et ensuite de prendre un pinceau pour la concrétiser, et puis on s’engage dans le travail avec une foi que l’on ne remet pas en question jusqu’au premier accident qui nous réveille. Ainsi toutes ces heures à dessiner du modèle vivant, à extirper des corps depuis le blanc du papier ou l’ocre du kraft en vue d’une belle peinture de nu qui satisfera cette ambition d’excellence, puis qui nous laissera, au bout du compte, un je-ne-sais-quoi de bizarre à l’âme. Le tableau est là, magnifique comme il se doit, les lignes sont parfaites, la composition équilibrée, les couleurs et les valeurs se répondent comme au concert, et pourtant quelque chose manque et on ne parvient pas à poser le doigt dessus. On se perd alors en supputations, on se questionne, on doute. Finalement, on découvre que l’œuvre n’est pas originale, qu’elle n’ajoute rien à la multitude existante de tous les nus déjà vus ; bref, on se retrouve face à quelque chose de l’ordre du banal, du cliché, même si c’est très bien exécuté. Et le choc est d’autant plus brutal que c’est très bien exécuté. Comment réagir alors à cette déception sinon d’une façon banale également ? C’est-à-dire par la tristesse, la colère, l’anéantissement. Parfois on s’en prend même au tableau en le déchirant et en le flanquant à la poubelle. Pour la plupart des spectateurs hypothétiques, c’est incompréhensible. C’est porter l’exigence à un point trop élevé, exagéré, c’est extrêmement orgueilleux. Comment quelqu’un doué d’un tel talent dans l’art de la représentation peut-il s’égarer à ce point, vouloir encore, et en plus péter plus haut que son cul ? C’est que le public, sauf mon respect, n’y connaît pas grand-chose en peinture, à de très rares exceptions rencontrées. Le public est vite ébloui et contenté, d’une façon superficielle. Il n’est touché que par une surface proche de celle des miroirs et sur laquelle, tant qu’il se reconnaît, tout va. Tant qu’il reconnaît aussi le cliché que représente l’art tel qu’on lui a présenté depuis belle lurette. Un artiste qui ne se soucierait que de l’avis du public pour s’orienter dans son travail ne se concentrerait que sur son besoin de reconnaissance, mais pas sur ce qui le motive en profondeur, je veux dire trouver et améliorer sa propre expression. Et en cela un artiste qui « réussirait » devrait donc se méfier encore plus de ce que l’on appelle communément la réussite, sous peine de n’avoir plus qu’à se répéter inlassablement pour entretenir celle-ci. Ce qui d’ailleurs, au bout du compte, est un faux calcul : la répétition lasse tôt ou tard, car les goûts du public fluctuent comme les modes, avec les modes. Ce dont il est question ici, c’est d’un art d’encaisser les déceptions d’où qu’elles viennent, de l’échec comme de la réussite. Ce dont il est question, c’est d’envisager la déception comme un moteur dont l’énergie ne coûte qu’un peu de sincérité envers soi-même. Être à l’écoute de nos déceptions pour comprendre la vanité de nos espérances. Et ainsi faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. J’évoquais hier ou avant-hier l’importance de l’envie ; celle de la sincérité est tout aussi importante. Encore qu’il faille prendre ce mot avec des pincettes désormais car il est utilisé à toutes les sauces. Être sincère, authentique, est devenu un slogan. Ce n’est évidemment pas d’une sincérité qui se brandit, se fanfaronne, dont je veux parler. C’est cette petite voix au fond de chacun de nous qui nous murmure à chaque fois « oui » ou « non » et que nous perdons, tant le fatras du jugement, des prétentions de toutes sortes, fait du bruit. Ce oui ou ce non ne sont pas de l’ordre du jugement ; ils témoignent plus d’une distance à laquelle je me trouve par rapport à la note juste. Ce oui ou ce non ne s’appuient pas non plus sur l’espoir de parvenir à quoi que ce soit, et lorsque je les écoute je dois sauter par-dessus toutes les déceptions faciles, les déceptions premières que m’offre sans relâche mon jugement. Car le jugement, pour avoir tant de fois tenté de m’en débarrasser, ne s’évanouit jamais totalement. Il faut apprendre à faire avec. Il faut apprendre à faire avec la déception, mais aussi avec tous les espoirs qui proviennent de cette même et unique source. Sans brutalité, comme on s’adresse à des enfants tout en les écoutant attentivement. Et là, on parvient à écouter ce oui et ce non comme une musique posée sur le silence et dont on peut saisir chaque note et tout l’ensemble en même temps. Cette déception quant à l’intention et aux mille buts en peinture m’a entraîné vers le hasard, dans le sens où ce dernier ne propose aucune idée d’avance, mais propose d’apprendre à pénétrer tout entier dans l’instant de peindre. Cette déception m’a appris combien la pensée peut être difficile à dépasser, comme les jugements, mais que la liberté pouvait se situer au-delà de toutes ces difficultés. Encore un mot dont il faut aussi se méfier que ce terme de liberté. Ce n’est pas tant d’une liberté personnelle qu’il faut parler que de ne pas opposer d’entrave au flux de la peinture qui se dépose sur la toile. C’est juste de cette liberté de la peinture, mal comprise si elle ne représente qu’elle-même, dont je voulais parler. Ce n’est pas une liberté qui a pour vocation d’élever le peintre, de le faire léviter. Tout au contraire, c’est une liberté qui l’aide à disparaître en tant que singleton. Et en disparaissant en tant que simple point dans l’univers, il finit par s’y confondre tout entier, et c’est de cette totalité que la peinture peut jaillir libre et s’exprimer.

Légèreté

Publié le 11 octobre 2021

Une nécessité de légèreté s’impose après avoir traversé l’épaisseur, et il ne faut pas s’y opposer, mais au contraire y aller tout entier. De même qu’après le discours s’impose un silence semblable à une fréquence sur laquelle flâner sans ciller. Cette nuit, je reviens à un principe fondamental en peinture : le « je ne sais rien ». J’enfourche donc ce vieux cheval de bataille pour partir à l’assaut des moulins à vent, la plus intelligente des occupations, quoiqu’on en dise ou pense. Je dépose une noisette de bleu, de jaune et de rouge sur la palette et je dilue les teintes tout en les mélangeant pour créer des orangers, des verts et des violets. Puis je laisse aller la main qui tient le pinceau pour déposer les couleurs sur une feuille de papier. Je ne pense à rien, je n’ai pas d’idée, je cherche juste à observer ce qui est en train d’arriver. C’est un exercice que je réalise régulièrement lorsque j’observe que je suis pris dans un désir d’aller plus loin en peinture, quand je me dis : tu peux faire encore plus juste, plus fort, plus ceci ou cela. Bref, je cherche la Dulcinée de Toboso. Je sais très bien qu’elle est à cet instant sous mon nez et simultanément ailleurs, partout et nulle part. C’est-à-dire lorsque, malgré la sensation d’une réussite, un malaise arrive simultanément. Comme si cette réussite, finalement, n’était qu’un coup de chance parmi tant d’échecs passés. Comme si je me méfiais toujours de l’enthousiasme que produit chez moi toute idée de réussite. Le malaise provient de cette rupture soudaine d’équilibre. Alors je redeviens comme l’enfant que je suis toujours malgré toutes les années. Je prends plaisir à barbouiller comme au début, en explorant les mille et une façons de diluer les pigments, de les mélanger et de les déposer sur une feuille. Je laisse ainsi couler la vie au hasard comme elle veut et je suis émerveillé de constater à quel point, à ce moment-là, je ne sais plus rien. Mais c’est de ce lieu, du rien, que surgissent les principes des œuvres à venir. C’est tout à fait semblable aussi à une offrande que l’on dépose à l’entrée de la fête pour que celle-ci se passe bien. Il ne faut rien offenser par une quelconque lourdeur et ainsi se défaire de la naturelle pesanteur. Atteindre enfin à la légèreté, assez proche tout à coup d’un envol, d’une liberté.

Abondance et prolixité.

Publié le 5 octobre 2021

Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les mêmes choses ; Mais est-ce qu’on se plaint jamais De la prolixité des roses ? (Hugo, Chans. rues et bois). Trouver l’équilibre entre l’abondance et la prolixité n’est pas une mince affaire, en peinture comme dans le reste. L’abondance émerveille tandis que la prolixité agace, c’est le revers de toute médaille. On pourrait aussi dire plus simplement : aller du tout au rien, et aussi tout ou rien, comme s’il s’agissait de bornes à ne pas dépasser, à ne pas franchir, une sorte de cadre. C’est aussi une façon d’exprimer l’emploi que nous faisons de l’énergie. Sans canalisation, elle s’éparpille dans les champs et s’enfonce rapidement sous la terre pour rejoindre la nappe phréatique. Parfois elle n’a même pas le temps d’atteindre la bonne profondeur ; le jour se lève, avec lui la chaleur, et l’évaporation. Pourquoi cette bêtise d’ôter les haies, les arbres, les bocages, si ce n’est pour courir vers la prolixité des moissons, et le profit ? L’ignorance est souvent prolixe car, ne sachant rien, elle ne cesse de tâtonner dans toutes les directions sans jamais pouvoir se satisfaire d’un lieu, d’un temps où se poser. S’en rendre compte et crier Eurêka ne règle qu’une petite partie du problème. On peut comprendre tellement de choses avant de les connaître. L’abondance est souvent représentée par une corne en spirale, large à la sortie, mince à son début. C’est exactement ce que disait mon bon maître Eckhart : « Il faut qu’un homme devienne véritablement pauvre et aussi libre à l’égard de sa propre volonté de créature qu’il l’était lors de la naissance. Et je vous le dis, par la vérité éternelle, aussi longtemps que vous désirerez accomplir la volonté de Dieu, et que vous soupirerez après l’éternité et après Dieu — tant qu’il en sera ainsi —, vous ne serez pas véritablement pauvres. Celui-là seul a la véritable pauvreté spirituelle, qui ne veut rien, ne sait rien, ne désire rien. » Mince à son début, la corne d’abondance s’élargit en effectuant une spirale pour s’achever en une ouverture large. C’est en empruntant cette spirale, semblable à celle utilisée pour le jeu de l’Oie, que la prolixité s’affaiblit peu à peu pour se métamorphoser en silence, en vide. C’est ainsi, sûrement, que naît la poésie, ce mot moderne de la Grâce. À cet instant, il suffirait de presque rien pour qu’un Big Bang explose et que tout recommence, encore et encore.

Encore une tentative de discours. ( note pour le vernissage de l’exposition)

Publié le 4 octobre 2021

En tant que peintre il faut que je me souvienne d’une chose importante, tout comme un commerçant devrait encore s’en souvenir aujourd’hui : Le public comme le client est roi !

C’est à dire qu’il peut régner un instant sur ma notoriété, mon prestige, et même pour me le prouver parfois m’acheter quelques œuvres comme cela s’est déjà produit , et j’espère bien que cela arrivera encore.

Mais tout roi qu’il est il ne règne pas sur la source de cette peinture, j’ai mis un certain temps à comprendre le mot liberté.

Je ne suis pas obsédé par la notoriété, pas plus que par le prestige, et mon travail de professeur me permettant de vivre je ne cours pas non plus outre mesure vers le "chaland"

Ce qui me préoccupe souvent en revanche c’est de trouver dans le particulier de ma propre vie, dans l’extraordinaire comme dans la banalité de ma propre vie quelque chose pouvant se décliner de façon universelle.

Dans une époque où l’humanisme n’a plus vraiment le vent en poupe c’est assez gonflé je vous l’accorde.

Ce soir c’est le vernissage de cette exposition que j’ai voulu nommer "voyage intérieur". Et si j’ai des doutes ils ne portent que sur la qualité de cette transmission du particulier vers l’universel, cet universel qui s’incarne en toi ( public chéri) venu malgré la pluie voir mes tableaux.

Peut-être parlera t’on d’esthétique, de composition, de beau et de laid, de force ou de faiblesse, ce ne sera comme d’habitude que le brouhaha naturel accompagnant tout vernissage.

Je ne me réjouis pas plus que je ne m’offusque . .et certainement j’essaierai de faire attention à la qualité de silence sous ce brouhaha, pour savoir si c’est un silence paisible ou autre chose. Car c’est à partir de ce silence que la musique, l’harmonie, peut naitre ou pas.

Que dire vraiment à haute voix d’un tableau ? Comment dire l’intime ? C’est pour cela que la plupart d’entre nous utilisions les termes j’aime ou je n’aime pas, c’est beau, c’est moche. Quelque chose nous touche en bien ou en mal et nous avons souvent du mal à l’exprimer autrement qu’ainsi.

Il n’est pas question pour moi de juger ce brouhaha, ni de me l’approprier en bien ou en mal, c’est l’émanation de cet universel tel qu’il arrive au monde par l’intermédiaire des personnes réunies dans une pièce face à un événement.

Car c’est un événement, en tous cas pour moi que de montrer mon travail ici, au centre culturel de Champvillard, à Irigny. C’est un événement pour moi de montrer quelques étapes de ce voyage intérieur qu’est ma vie de peintre, ma vie tout simplement.

Je prépare cette exposition depuis longtemps et je l’imaginais exhaustive comme une espèce de rétrospective tant cela me tient à cœur de partager enfin toutes ces découvertes , ces difficultés, ces écueils aussi. C’était évidemment exagéré.

C’est là un défaut majeur de cette volonté de partage et probablement aussi des mes doutes perpétuels que de vouloir tout expliquer dans le menu.

Ma compagne résume cela beaucoup plus simplement d’habitude , elle me donne un coup de coude discret accompagné d’un "arrête d’en faire des tonnes."

J’ai rédigé de nombreux textes depuis plus de deux ans désormais autour de ce moment sans pour autant parvenir à la satisfaction de toucher vraiment au but par les mots.

Et c’est normal finalement puisque je passe plus de temps à peindre qu’à écrire.

Parmi toutes ces tentatives qui forment à elles seules un voyage intérieur du même tonneau que ce travail de peinture, je retiens un moment tout particulier : les retrouvailles avec l’Estonie, les retrouvailles avec ma mère, les retrouvailles avec cette branche de la famille, maternelle, que je tais parce que je sens, et je ne sais pas si c’est à tort ou raison, que c’est une patate chaude qui arrive de très loin, de bien avant ma naissance.

Cette sensibilité exacerbée, l’effusion tout comme la profusion d’amabilité, de gentillesse, la gesticulation font partie de la culture de mes ancêtres baltes tels que je les imagine pour le meilleur et le pire à partir de bribes d’informations reçues dans l’enfance.

Sans doute auront ils exagéré en arrivant sur le sol français parce que l’exagération leur permettait à ce moment là de mieux estimer la distance à parcourir avec la langue française, tellement riche de sens, de subtilité, de précision pour accompagner la clarté dans le mouvement de la pensée.

Sans doute qu’à un moment donné en auront ils fait eux aussi des tonnes pour trouver leur place ici dans notre beau pays. Ce pays qui fait rêver tous ceux qui décident de voyager vers lui, de tout quitter pour aller vers lui. Ce pays qui se désigne encore comme le pays des droits de l’homme malgré tout ce que l’on peut en dire. Ce pays qui est une idée formidable tellement forte encore malgré le marasme qu’il traverserait et que l’on ne cesse de nous décrire.

C’est en ayant à nommer mes tableaux pour des raisons d’assurance, ici même, au centre culturel d’Irigny, que j’ai eu cette idée de trouver des titres en estonien.

Car d’ordinaire les titres que je donne à mes tableaux pour les classer sont arides, je n’éprouve pas la nécessité d’orienter vers un sens par un titre. je voudrais toujours que le tableau se suffise à lui-même.

Encore une vanité de peintre certainement.

Mais je me suis prêté à l’exercice de bonne volonté.

Et d’ailleurs lorsqu’en français il faut parfois quatre mots, une phrase pour dire quelque chose, je me suis aperçu grâce au traducteur de Google qu’en Estonien il n’en nécessitait que 1 ou 2.

Autant dire que tout à coup je suis tombé sur un paradoxe.

Comment un peuple qui réduit autant le nombre de mots pour dire une idée peut il être aussi extraverti ?

Puis je me suis souvenu que la seule véritablement extravertie était ma mère.

Ma grand mère que j’ai connue lorsque j’étais enfant était une taiseuse, elle avait beaucoup de difficultés à s’exprimer en français.

Par contre avait t’elle soudain l’occasion de s’exprimer en estonien elle possédait aussitôt le même débit qu’une italienne.

Elle devenait soudain intarissable. Une fois aussi je l’ai vue parler en allemand, et en russe, avec une aisance que je n’aurais jamais pu soupçonner.

Ce fut une question importante autrefois de comprendre pourquoi une femme ayant autant d’aptitudes à parler plusieurs langues était récalcitrante à s’exprimer dans la mienne. Je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante à cette question non plus. Peut-être parce que la question se suffit à elle-même, parce qu’elle m’aura entrainé à m’interroger sur cette grand-mère bizarre et c’est déjà formidable.

Il ne faut pas que mon discours soit trop long pour répondre aux règles de l’élégance à la française.

il faut que je conserve cette contrainte dans un petit coin de ma tête.

Mes tableaux parlent exactement de ça pour résumer, de cette question essentielle : comment dire quelque chose qui ne soit pas trop pesant, ou ridicule, ou qui ne soit pas seulement dans l’emphase, la séduction. Je veux dire quelque chose qui parte du cœur pour rejoindre le cœur et si possible simplement.

Il faudrait que je sois poète pour y parvenir ce qui est loin d’être le cas.

Parfois je trouvais ma grand-mère peu chaleureuse en comparaison de ma mère. Elle n’exprimait pas ses sentiments et je crois que j’ai mis un certain temps à saisir que ce n’était pas parce qu’elle n’en avait pas à notre égard mon frère et moi, mais parce que sans doute les dire en français, pour elle n’aurait pas signifié la même chose qu’en estonien. il devait y avoir quelque chose de l’ordre de l’à quoi bon pour elle à user du français pour parler de sentiment. Ce qui est aussi la preuve d’une grande intelligence de sa part envers notre langue.

Je n’ai pas pu tout mettre, le hasard qui fait toujours très bien les choses se sera servi d’une confusion pour que, dans l’urgence, j’ai encore à tout retrier le jour de l’accrochage.

Car une exposition c’est aussi un langage que l’on construit, c’est un choix de vocabulaire, de syntaxe, de conjugaison.

Je n’ai pas pu tout dire tout montrer j’ai du refaire un choix dans l’urgence et lorsque j’y pense c’est une chance. Une centaine de tableaux aurait été de trop, et même aujourd’hui que je revisite en pensée cette expo après avoir élagué la moitié c’est encore excessif. Je ne dis pas ça à la légère ou par effet de style.

J’écris ce discours comme je peins. D’une façon résolument brouillonne pour me venger des annotations dans la marge d’autrefois aussi.

Elève brouillon.

je peux bien en sourire aussi désormais que je comprends d’où provient la majeure partie de la confusion dans laquelle je résidais à l’école, notamment en Français.

J’ai donc résumé un résumé. Exercice difficile de par le renoncement et l’humilité qu’il faut dans la hâte réunir.

Dans ce que j’avais préparé je voulais montrer un parcours qui s’étend depuis cette immense confusion, ce besoin d’amour, de reconnaissance, qui n’appartiennent pas qu’à moi mais à ceux qui un jour dans ma famille ont du tout quitter pour essayer de se faire accepter ici.

Je voulais parler de mes débuts, de mes errances en usant de la séduction, de l’exagération comme de la performance en peinture, pour parvenir à la fin à quelque chose de plus brut mais de plus sincère. De plus humble aussi.

Quelque chose qui m’appartienne vraiment. Ce voyage intérieur parle aussi d’identité, pas seulement de la mienne, mais de ce que peut être l’identité en général, de façon universelle, et qui n’a rien à voir avec l’identique.

En même temps cette exposition n’est pas la première que je fais, j’allais sans doute refaire les mêmes erreurs qu’habituellement, parce qu’il est difficile d’exposer des œuvres, de les défendre lorsqu’elles ont été peintes il y a longtemps, que l’on est passé à autre chose. Le dédain ou la honte voilà aussi ce qui fabrique certaines habitudes par facilité.

Mais l’accident a du bon et grâce à celui-ci non seulement je renoue avec l’Estonie mais aussi je découvre toute une poétique associée à mon travail.

Ce voyage de peintre au travers la peinture je crois que chacun le vit dans son travail quel qu’il soit, j’en suis persuadé depuis toujours, depuis les murs que j’ai élevés sur les chantiers dans ma jeunesse, depuis la vie de bureau à laquelle j’ai participé. Mais tout cela s’évanouit presque aussitôt que c’est vécu, on en ressort souvent comme un étranger comme si cela avait été une sorte de rêve.

Le seul avantage c’est qu’avec la peinture on en garde une trace, on peut l’accrocher au mur.

On peut sentir la justesse et l’écart et avec l’expérience développer un instinct, une intuition et pourquoi pas au final de l’inspiration.

Ce n’est rien d’autre que cela ce voyage intérieur : un voyage qui démarre dans le cliché, ce que j’appelle la séduction, l’égotisme de tout individu qui se perd dans un miroir aux alouettes par instinct grégaire le plus souvent.

Puis qui fatigué se mettrait alors à glisser vers l’insolite, à s’éloigner des reflets pour parvenir à cet extérieur, ce dehors souvent par maladresse, par accident.

Le dépaysement.

Dont l’attention à la maladresse à l’accident comme au banal s’aiguiserait au fil du temps.

Ce voyage est un dépaysement finalement qui ramène au pays.

J’avais déjà compris cela il y a longtemps lorsque jeune homme j’étais parti avec mon appareil photo en Iran, puis au Pakistan, en Afghanistan, déjà en guerre à l’époque.

Ma peinture parle de ce dépaysement de cet écart par rapport au confort d’une habitude d’habiter de ce manque d’attention nécessaire pour s’engouffrer dans ce confort qui finit par couter cher, qui coute même parfois la vie toute entière.

Et à la fin j’ai de plus en plus la sensation que ce voyage intérieur, même réduit à sa plus simple expression constitue un pays, Le dépaysement aura été le ciment tout comme l’exploration de la maladresse de l’accident, et du hasard.

C’est désormais un pays tranquille, bienveillant , un pays où nous avons décidé qu’il faisait bon vivre.

Ecrire un texte de présentation pour une exposition

Publié le 29 septembre 2021

Nous l’avions évoqué et je l’avais mise de côté soigneusement, cette idée de texte de présentation à proposer au catalogue en même temps que la liste des œuvres avec leurs prix. Cette gêne d’expliquer la peinture à l’écrit comme à l’oral, aussi étonnante que soudaine, me cueille.
Cet écueil dans la navigation pas si tranquille vers l’exposition, sans doute en suis-je l’inventeur, pour ne pas dire le responsable.
Il me faut des écueils régulièrement pour échapper aux langueurs monotones de l’automne. En été aussi, en toute saison.
Sans l’écueil, pas de sensation de danger ni de naufrage, autant dire pas d’aventure.
Sans écueil, pas de créativité non plus.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai écrit ce texte.
J’ai cru à une tendance masochiste durant ma jeunesse. Mais je crois que c’est plus poétique que ça, c’est dans un lieu situé avant toute psychologie.
Et je vois bien qu’un préambule est nécessaire au préambule encore, pour retarder l’instant.
L’instant d’évoquer ce voyage intérieur.
Une série de leviers que je mets en place souvent inconsciemment pour finalement être prêt dans l’instant à soulever un monde qui ne serait qu’empêchement, ajournements, ennui, gravité ou pesanteur.
Sans y penser à cet instant, c’est-à-dire sans barrière.
L’essence ne suffit pas, il faut atteindre sans y penser à la quintessence. Celle qui n’appartient à personne et que tout un chacun retrouve dans l’intime.
Parfois, justement lorsque j’y pense, je me dis : quelle exigence ! et plus encore lorsque j’y pense : quelle prétention, quelle vanité.
Voilà la pensée qui ne pense qu’au risque et au danger et surtout invente mille façons toujours de s’en prémunir.
Ça ne sert à rien d’aller contre non plus, de s’opposer. Il faut prendre cette pensée comme elle vient.
La sagesse de la peur vaut bien la sagesse du risque, de l’audace au bout du compte.
Ce qui est important c’est de ne pas perdre de vue l’unité.
À quoi sert de voyager ? sans doute à la même chose que peindre, écrire, danser, rêver, et j’ai beau scruter l’horizon dans toutes les directions, je ne vois pas plus de raison que de destination précise.
J’irais plus loin encore,
À quoi sert de voyager ?
puisqu’à chaque fois que l’on pense atteindre quelque chose, un pays comme un tableau, on n’en finit pas avec l’envie d’aller plus loin.
À quoi sert de voyager alors ? peut-être à observer le cheminement du désir, apprendre à le connaître, faire un avec lui comme avec soi-même.
Mon grand-père maternel était Estonien et il s’est rendu à Saint-Pétersbourg pour apprendre la peinture, parce qu’à l’époque il n’y avait rien d’aussi prestigieux en Estonie pour étudier l’art.
Ce voyage intérieur commence ainsi, avec le départ d’un jeune homme que je n’ai jamais connu depuis son village vers une grande ville étrangère dans laquelle il se sent étranger.
Cette sensation d’être étranger, je me suis toujours demandé pourquoi je l’éprouvais autant, étant né en France ?
Je n’avais aucune raison valable de l’éprouver de manière si aiguë.
Avant même de toucher un pinceau, d’imaginer devenir peintre moi-même, j’avais dans le sang ce legs de l’étrangeté d’être au monde comme un petit provincial découvre une capitale qui le subjugue.
Cette étrangeté, ma mère m’en parlait, elle était peintre aussi. Elle avait les yeux gris bleus comme mon grand-père, comme moi-même, ce lien du regard en silence nous unit encore tous au-delà des séparations, des disparitions, un gris bleuté comme un ciel que j’imagine très bien au-dessus des villages d’Estonie. Un gris bleuté de la Baltique avec ça et là quelques lueurs d’orangers issues des profondeurs échappées de l’ambre.
L’orange et le bleu que j’utilise souvent dans mes tableaux.
L’héritage, c’est cette histoire constituée de bribes que l’on passe un temps infini à mettre bout à bout, des bribes souvent éparses, rien de vraiment ordonné, c’est une navigation aussi pour s’orienter à travers tout cela, pour s’orienter dans quelle direction ? Il y en a tant qu’on serait bien en peine d’en choisir une qui ne s’évanouisse pas soudain, remplacée par une autre tout à coup.
Il y a autant de destinations possibles que l’imagination voudra bien en fournir.
Peut-on faire confiance à l’imagination ? Parfois oui, parfois non. Parfois elle nous trahit aussi. Mais faut-il lui en vouloir pour autant ? Cette trahison elle-même ne fait-elle pas partie intégrante de ce voyage, de cette navigation ?
Les plus célèbres navigateurs partaient autrefois en quête de destinations comme l’Inde et tombaient sur les Amériques. J’ai toujours conservé en mémoire ce genre d’anecdote.
Que le but était un moteur de l’action mais qu’il était rarement sa véritable finalité, en tous cas pas de façon droite, directe, mathématique. Il fallait étudier la courbe, l’enseignement inscrit dans son cheminement sinusoïdal, ses méandres, j’allais dire sa féminité.
Il fallait aussi étudier l’art de traverser les labyrinthes en lâchant les traités, les conseils, et faire sa propre expérience de l’égarement.
Intuitivement je crois que j’ai toujours su qu’il se cachait un savoir perdu dans l’expression "passer du coq à l’âne" aussi bien que dans le jeu de l’oie.
Deux cases en avant, quatre en arrière. Comme si cette expression comme ce jeu attiraient parfois l’attention sur la notion d’espace et de temps d’une façon bizarre. En tous cas bizarre pour moi. Lorsque j’étais frappé par cette curiosité, je m’en ouvrais à mes parents, à mes camarades et j’avais en retour des réflexions qui portaient sur le temps que je perdais à penser à ce genre de choses plutôt que de faire mes devoirs ou participer à des jeux collectifs.
Passer du coq à l’âne, je n’ai jamais cessé de le faire toute ma vie par curiosité, par obstination, par dépit, et aussi pour voir, comme on dit au poker.
Il y a quelque chose de désagréable pour un esprit façonné par la langue française, c’est ce que le Français nomme la sensiblerie. Et qui représente une exagération du sentiment, souvent considérée comme de la fausseté.
Cette soi-disant sensiblerie, pour avoir voyagé de par le monde aussi, je l’ai retrouvée à l’état brut, intacte, dans de nombreux pays, cette gentillesse, cette absence de crainte à manifester l’émotion, le sentiment, et souvent dans des pays que nous considérons comme violents, dangereux, pour ne citer que l’Iran ou l’Afghanistan, le Pakistan, violents ou barbares... alors que si l’on connaît un tant soit peu l’histoire, ils furent à la pointe durant longtemps de l’intelligence humaine, en matière de science, de technique, de littérature, d’art.
Ce voyage intérieur évoque donc toutes ces pensées, tous ces rêves, toutes ces interrogations traversées dans l’instant de la peinture, dans le mouvement de la peinture, dans le dialogue entre le tableau et le peintre, ce sont à chaque fois des conversations silencieuses, c’est-à-dire qui ne s’appuient ni sur les mots ni sur les pensées pour échanger.
Non pas que mes tableaux relatent quoi que ce soit, je crois que c’est l’ensemble de tous ces tableaux qui montrerait l’unité vraiment de mon propos quant à ce voyage intérieur. Ce travail continuera à s’affiner dans sa proposition, certainement à la fois quant à la notion d’espace dans lequel le faire exister et aussi quant à la sélection des œuvres. Le but étant de m’approcher au plus près de la clarté que je perçois à travers lui.
Je suis aussi de mon époque, celle où l’attention ne dure qu’un déjeuner de soleil, où l’attention par un phénomène de zapping est attirée de tous côtés. Mon travail évoque ceci également, non pas en pointant du doigt ce phénomène comme néfaste, mais en essayant d’en tirer des leçons, des enseignements.
Si l’attention devient vulnérable à ce point, c’est peut-être qu’elle n’est plus si utile qu’on l’avait imaginée utile jusque-là. C’est qu’il faut faire appel à autre chose pour s’orienter dans le monde. Le danger est toujours présent et le sera sans doute toujours en ce qui concerne le détournement d’attention vers un profit. Sans doute parce que la notion de profit et d’attention sont directement reliées.
En tant que peintre, mon but ne peut être que le partage de mon travail de peintre, et si je dois parler de profit et d’attention, c’est pour vous attirer vers quelque chose d’intime que nous partageons tous, quelque chose de simple qui serait le plaisir de voyager, de découvrir, le plaisir de vivre, sans trop de tapage, disons-le, une célébration.
La peinture, c’est mon pays, pour reprendre la phrase de Gilles Vigneault, ce voyage c’est aussi un voyage dans la peinture par elle-même, si je peux dire, étant donné la nécessité d’absence et d’oubli que j’ai peu à peu découverte afin de disparaître pour la laisser s’exprimer.

Tirer parti des catastrophes.

Publié le 28 septembre 2021

Je crois que le travail de réflexion a commencé à partir du mois de juin 2020, la réflexion sur cette exposition, « Voyage intérieur ».
C’est-à-dire le mûrissement de cette idée, l’accumulation de données, le tri, les sélections, bref tout ce qui est nécessaire pour mener à bien une exposition qui, dans mon esprit, devait ressembler un peu à une rétrospective de mon travail sur 3 ou 4 années autour de ce thème.
Dans mon esprit j’avais la surface, l’espace pour déployer ce travail puisque le Centre Culturel possède un vaste hall et plusieurs salles de réunions utilisées pour l’exposition annuelle « Vues d’artistes » que j’ai eu l’honneur de conduire à la fin du mois d’août de cette même année.
Dans mon esprit et tacitement je pensais pouvoir bénéficier de tout cet espace.
Mais voilà, finalement ce n’est pas du tout le cas.
En arrivant hier matin avec ma voiture pleine, quelle déception d’apprendre que je ne pourrais pas utiliser les salles de réunion, celles-ci étant fermées au public en dehors de l’événement « Vues d’artistes ».
Catastrophe ! Tout mon plan d’exposition tombe à l’eau.
La première réaction bien sûr est la panique, puis la colère, la déception. Comment refaire tout le plan de l’exposition en supprimant tellement de toiles en quelques heures à peine ?
Pour les grands formats c’est assez simple, mais pour les formats moyens, les plus petits nécessaires à la compréhension de ce Voyage, il faudra les laisser emballés dans les sacs.
De plus, difficulté supplémentaire, les cimaises que l’on me prête sont en nombre réduit et ne possèdent qu’un seul crochet, il n’y a pas de rabe.
Je réfléchis à toute vitesse mais j’avoue que j’ai plutôt l’impression de mouliner à vide. C’est l’impasse.
Heureusement Éric, membre de l’équipe du Centre Culturel, m’accompagne pour accrocher les grands formats, il est le seul habilité à pouvoir manœuvrer la très grande échelle pour atteindre les hauteurs et régler les éclairages. Une histoire d’assurance.
Nous commençons donc tout de suite car il ne peut m’allouer que quelques heures, débordé par d’autres tâches à mener à bien parallèlement. En cette rentrée si particulière, le centre est en effervescence.
Mon idée est d’aérer, de laisser de l’espace entre les tableaux pour qu’ils ne s’écrasent pas les uns les autres. Les grands formats sont accrochés à midi et le résultat est satisfaisant. Même si je ne peux pas respecter mon plan, ça fonctionne tout de même.
Il ne me reste qu’un couloir pour accrocher le reste de ma sélection. Pas de spots, juste un plafonnier. Pas beaucoup de recul donc pour regarder les tableaux. Ce seront donc des moyens et petits formats.
Soumis à la contrainte de ne pouvoir installer qu’une seule œuvre par cimaise, je renonce aux 20x20 dont j’avais préparé tout un sac et qui correspondait à une partie importante expliquant mon cheminement dans les gammes de couleurs.
Le format le plus petit possible sera donc du 40x40 et le plus grand du 60x80.
Je me mets au travail un peu comme un somnambule tant mon esprit est encore attaché à l’idée que je suis en train de vivre une catastrophe.
J’en fais part aux différents interlocuteurs que je croise dans le vaste hall en allant fumer de temps à autre pour me calmer… Notamment Véronique la directrice adjointe puis Noël, le directeur à qui j’expose mes doléances. Puis je m’aperçois que c’est ridicule finalement, les choses étant ainsi et ne pouvant être changées, je ne peux donc m’en prendre qu’à moi-même.
Pourquoi ai-je considéré comme acquis que j’avais tout cet espace imaginé, pourquoi est-ce que je n’ai pas pris le soin de demander plus de précisions lorsqu’on m’a proposé cette exposition personnelle… Je passe encore ainsi une dizaine de minutes à bien m’auto-flageller.
Mais évidemment ça ne sert à rien et l’heure tourne, il faut livrer cette exposition aujourd’hui.
Il faut que je me calme !
Finalement c’est une sélection plus resserrée à opérer dans l’immédiat.
Quels tableaux sont les plus importants pour moi, non par la taille, par leur esthétique, par leur sujet, mais par rapport à ce parcours.
Enfin j’ai trouvé un fil sur lequel tirer.
Du coup il suffit de choisir ce tableau particulier qui est souvent logé en tête ou en fin dans une série.
Je déballe mes sacs et sélectionne ainsi un seul tableau par série puis remballe le reste encore avec un peu de tristesse et d’amertume.
Je devrais plutôt être content car cette expérience, je le sais déjà, est enrichissante.
Avec l’expérience on finit par sortir plus vite de l’imaginaire morbide que distille la catastrophe de prime abord.
N’est-ce pas encore une occasion de valider ce que je dis à mes élèves, ce que je me dis depuis toujours en peinture : tirer parti des accidents, des maladresses, des catastrophes.
Alors quoi ?
Et bien je ne l’ai pas volé, on me propose là tout de suite d’appliquer.
Et voyez-vous, c’est là, exactement, que la paix se trouve et que la bonne humeur revient.
Peu importe que cette exposition soit réussie ou pas, dans le fond, ce que je viens de vérifier sur la vie et moi-même a déjà en quelque sorte toutes les apparences d’un bon point, d’une récompense.
Et puis à bien y réfléchir, n’avais-je pas encore beaucoup trop de tableaux dans le coffre de mon véhicule ? Et cette profusion ne noyait-elle pas quelque chose ? Le voyage intérieur continue donc jusque là, et c’est tout en même temps une leçon de peinture qu’une leçon de vie.

Sisemine teekond

Publié le 26 septembre 2021

Et maintenant l’idée surgit, tout d’abord ridicule évidemment comme souvent. J’ai fait une liste de titres pour mes tableaux, mais le français ne rend pas compte de l’étrangeté de ce voyage. Le français tellement épris de précision et de nuance, le français qui veut tout penser tout savoir...

J’ai donc pensé à l’estonien.

Déjà parce que je ne parle pas l’estonien. Et que j’imagine ne pas être le seul lorsqu’inscrits sur des cartels les titres apparaitront ainsi dans une phonétique singulière aux visiteurs.

Ce voyage intérieur se transforme en Sisemine Teekond d’après le traducteur de Google.

Et puis ce n’est pas si ridicule que ça dans le fond , je dois bien cela à mon grand-père parti de là-bas, à ma grand-mère et à ma mère. A toutes ces ombres vacillantes dans les longs jours d’été proches de Thulé où parait-t ’il on récoltait deux fois.

Une façon saugrenue de régler des dettes en monnaie de singe j’ai d’abord pensé comme pour me dédouaner en me disant : "tu veux encore une fois de plus faire ton intéressant ?"

Une part de moi est estonienne bien que je sois français. C’est ainsi.

Maintenant la question se pose... dois je laisser le mot français près du mot estonien sur les cartels ?

A mon avis oui ne serait-ce que pour me souvenir de la traduction si par hasard un visiteur me demande ce que ça veut dire.

Ou bien justement ça ne veut rien dire du tout c’est simplement dans un but administratif, pour les assurances que l’on doit donner des titres, des dimensions, une technique...

J’imagine déjà la tête de la secrétaire de la compagnie d’assurance qui va écrire Sisemond teekond et tous les autres titres en se relisant plusieurs fois pour être sure de ne pas faire d’erreur...

Blague à part, en découvrant ces mots je les prononce à haute voix et l’écho que me renvoient les murs de l’atelier me sont familiers sans que je ne comprenne ni pourquoi ni comment. Cela ressemble à de l’italien parfois.

Je ne parle pas plus l’italien pourtant. Mais mes premières amours provenaient de Sicile, de Naples, comme si déjà les sonorités avaient touché ce cœur si difficile à écouter sans distraction. Peut-être que si j’avais mieux écouté j’aurais poussé la barque jusqu’à Tallin et au delà, je n’en sais rien...

Le fragile et le fort

Publié le 25 septembre 2021

Tu dis c’est fort ou c’est fragile sans connaitre. Tu le dis par reflexe, par habitude, poussé par les on-dit.

Tu devrais te taire.

Et vivre le silence fracassant qui suit à son début.

Qui brise toutes les murailles par sa fréquence assourdissante.

Et te laisse là éventré, ébloui, tout en même temps.

Enfin prêt à rebattre toutes les cartes et les redistribuer

La dernière étape est de repousser la pensée pour laisser le souffle aller.

Sans même y penser.

La séduction en peinture

Publié le 24 septembre 2021

Peindre avec une intention de séduire c’est courant. Le problème c’est qu’on ne sait ce qui séduit vraiment… En tous cas personnellement je n’en sais rien.

Un tableau peut tout à coup me séduire et je vois bien que ça s’arrête là, surtout mes propres tableaux.

Du coup je les retourne contre le mur. Je ne veux plus les voir une fois ce constat établi.

Mais ce constat est tout à fait personnel.

Il faut que lorsque je retourne une toile à nouveau que celle-ci me parle d’autre chose… et si elle ne me dit rien, si elle ne me propose que son silence je sais alors que peut-être il se passe vraiment quelque chose d’important.

C’est souvent un paradoxe pour moi qui suis un incorrigible bavard.

Il me semble nécessaire d’attendre et de réitérer toute l’opération plusieurs fois pour parvenir à saisir que quelque chose, sans doute en dehors de moi, se passe.

Tout le doute du peintre à mon sens se constitue sérieusement sur cet unique point.

Chercher et trouver ( notes de préparation pour exposition)

Publié le 20 septembre 2021

S’il n’y a pas de « petit » lieu pour exposer, il y a certainement plusieurs façons d’attribuer de l’importance à la façon d’accrocher ses œuvres. À un moment donné du parcours, j’avoue que je ne m’en souciais pas. J’enchaînais les expositions, notamment avant la pandémie, et force est de constater, en revenant sur mes souvenirs, que souvent c’était pour moi une sorte de corvée.

Ce n’était pas dû aux différents lieux, mais plutôt à une zone de confort dans laquelle je me réfugiais. Car souvent, les œuvres exposées ne me disaient plus rien ; elles dataient de périodes enfouies que j’aurais aimé oublier plus profondément encore.

C’est cette zone de confort et ce malaise vis-à-vis de la perception de mon travail qui me conduisaient à prendre parfois « par-dessus la jambe » certaines expositions.

À ces moments-là, il fallait faire le job et accumuler une quantité impressionnante de toiles sur les murs pour épater le visiteur potentiel d’une certaine façon, prouver que j’étais bel et bien un peintre. À ces moments-là, même l’idée d’être un artiste m’échappait totalement.

Et puis, parfois aussi, le manque d’argent, l’accumulation des factures, les appels répétés des banquiers, des huissiers me conduisaient souvent à n’avoir comme but que la vente. C’est dire qu’une exposition réussie était alors une exposition où j’avais vendu, et une exposition ratée était celle où je repartais bredouille.

Sans doute est-ce pour cette raison que je n’ai jamais vraiment fait de publicité, que je n’ai jamais voulu mettre en avant toutes ces expositions. Mes sentiments négatifs prenaient le pas sur la richesse que chacune, malgré tout, m’avait apportée. Notamment les rencontres, les avis que certains visiteurs un peu plus loquaces que d’autres m’avaient confiés sur ce travail.

Car parallèlement, j’étais obsédé par l’idée de chercher quelque chose que je ne parvenais pas à trouver. Sans doute parce que, confusément, je ne tenais pas à le trouver. Je m’empêchais tout simplement l’accès à cette zone que j’estimais suspecte, dangereuse. On pourrait appeler cela le lâcher-prise, la confiance totale, l’amour, et la liste n’est sans doute pas exhaustive pour tenter de nommer cette « chose ».

J’avais tellement rapetissé dans une idée de perte et de gain que j’étais comme scindé en deux. Dans mon atelier, j’étais un géant et, dans ces expositions, j’étais un nain. Je ne parvenais pas à faire la soudure entre les deux.

De plus, les avis négatifs, comme l’indifférence du public, me touchaient de plein fouet. Je continuais néanmoins à afficher un sourire comme si cela n’avait aucune espèce d’importance. C’est dire à quel point on peut se tromper d’idée d’importance sur le chemin.

Ce qui m’a permis de tenir, c’est à la fois l’orgueil et le fait d’abandonner les métiers alimentaires, de parvenir à être « sans filet » financièrement. C’était à l’époque une vraie folie. Mais je me rendais compte tout à coup que je ne pouvais rien faire d’autre que d’être tout entier dans la peinture.

J’avais déplacé ce personnage omniprésent dans ma vie, celui qui, de toute façon, allait « réussir » un jour dans de multiples domaines déjà : que ce soit la chanson, la photographie, une carrière de cadre, l’écriture, et pour finir la peinture.

J’ai toujours rêvé que j’allais réussir, quoi qu’il se passe, jusqu’à la cinquantaine, et même un peu plus.

C’est à la soixantaine que le principe de réalité m’est finalement tombé dessus. Et que je me suis réveillé de ce long rêve.

Rien d’amer là-dedans, tout au contraire. L’orgueil, peu à peu, avait fait son travail de sape et avait détruit quasiment toutes mes chances, les unes après les autres. Ce que j’imaginais être des chances.

C’est là où je me rends compte que peindre n’améliore pas seulement les tableaux au cours des années, mais soi-même.

Le regard s’améliore sur beaucoup de choses que l’on ne voyait pas d’ordinaire.

Cet élan vers une forme de lâcher-prise, jusque-là, j’appelais cela faire confiance au hasard, et j’avais concentré celle-ci désormais uniquement sur l’espace de la toile.

Je n’arrivais pas à faire le lien avec ma vie toute entière, qui ne m’apparaissait finalement que comme une somme de non-sens, de déboires, d’échecs. Du reste, si je peignais, c’était pour oublier tout ce désordre que j’avais traversé, ou tenter confusément d’en rendre compte maladroitement, pensais-je. J’essayais d’extraire de l’ordre, de la beauté de ce désordre sans vraiment le savoir.

Parfois, cela semblait fonctionner et on me disait : « J’adore cette toile, c’est beau » ; d’autres fois, cela ne semblait pas fonctionner et, soit on ne me disait rien, soit en tendant l’oreille je récoltais quelques réflexions pas toujours agréables.

Je me souviens d’une femme âgée dont la posture arrogante m’avait fait suivre tous ses déplacements en catimini dans une exposition en Haute-Savoie.

Parvenue devant une toile que j’estimais être une de mes œuvres majeures, voici qu’elle lâche à la personne qui l’accompagnait : « Mon Dieu, comme c’est plat ! » C’était en gros comme si on m’avait planté un couteau dans le dos, ni plus ni moins. À la fois de la douleur et de la colère.

J’ai bien sûr repensé mille fois à cette anecdote et tout ce que j’en retire désormais, c’est ce manque de confiance en moi à cette époque. Confiance dans les circonstances aussi, car j’aurais alors dû réagir vis-à-vis de cette personne, sans doute, aller vers elle, lui parler, simplement donner mon opinion de peintre sans rien attendre en retour.

Mais j’étais, comme je l’ai dit, axé sur les ventes. Celle-ci, c’était certain, n’achèterait rien ; il fallait juste patienter suffisamment pour qu’elle déguerpisse.

Voilà l’homme.

Quant au peintre, il se tord encore les doigts. Tout simplement parce qu’il a laissé filer une occasion de partager quelque chose d’important, si difficile à nommer.

Ce que voulait dire cette femme à propos de la platitude qu’elle ressentait de mon travail, j’aurais dû la prendre dans mes bras, car elle avait tout à fait raison. C’était plat, car tout entier dans la couche apparente, lisse et vernie. C’était plat car uniquement séduisant. Combien d’éléments nouveaux j’aurais alors pu récolter en ayant une bonne conversation avec cette femme qu’intérieurement j’affublais de sobriquets, de clichés, moi qui ne cesse de protester justement contre tout cela ?

Tout et son contraire. L’homme et le peintre.

Et cette bagarre perpétuelle entre les deux pour savoir qui va avoir raison. Cette apparente perte de temps qui s’appelle aussi la vie ; cette apparente perte de temps sans laquelle, pourtant, nous ne pourrions rien apprendre, rien comprendre, marcher tout simplement à côté de notre propre existence.

Un ami aime raconter des blagues. Et il me dit souvent, à chaque fois que nous nous voyons : « Avec ton épouse, que préfères-tu ? Avoir raison ou être heureux ? »

Cela me fait toujours rire, cela nous fait toujours rire. Nous restons dans cette connivence d’homme un moment. C’est souvent suivi d’un court silence. Comme lorsqu’on avale une lampée d’eau-de-vie. Faut savourer ce genre de moment.

Avoir raison ou être heureux. N’est-ce pas la question la plus importante de toutes à un certain moment de notre vie ?

Cela va très loin. Cela signifie que la raison n’est pas nécessaire pour pénétrer dans la joie, dans l’amour, pour aller vers les autres.

Cela ne sert même à rien d’être « raisonnable » pour monter une exposition ; cela ne sert à rien d’être raisonnable en se disant que tout est basé sur le fait de vendre ses œuvres pour bouffer. Tout cela ne sert strictement à rien. Tout cela ne rend pas heureux. Et c’est totalement vrai.

Même les expositions où j’ai estimé avoir réussi mon coup, en vendant parfois plusieurs toiles, me laissent désormais une amertume. Parce que je sais à présent que je n’étais pas dans l’état d’esprit pour être heureux. Je voulais avoir raison avec l’idée que je m’étais forgée : vendre, tout simplement. La réussite n’était basée que là-dessus.

Je peux mesurer à quel point cet état d’esprit s’est modifié désormais. Pour cette exposition à la fin du mois, à aucun moment je n’ai pensé, durant la préparation, à vouloir vendre quoi que ce soit. C’est presque suspect.

Mais non, en fait, je suis préoccupé par autre chose, tout simplement ; je mets tout en œuvre, je crois, pour favoriser cet instant où, seul dans les salles de ce grand centre culturel, je vais devoir faire confiance pour accrocher mes toiles. Je crois que c’est plus cela, l’enjeu véritable pour moi de ce genre d’exposition. Et j’en mesurerai sans doute le résultat non pas à la raison, aux ventes, aux félicitations ni aux critiques, mais seulement à l’évolution de mon impeccabilité entre ces deux mots : « chercher et trouver ».

La peur du vide

Publié le 18 septembre 2021

La toile est vide et il faut la remplir de quelque chose. C’est sans doute ce que je me dis lorsque j’entreprends de peindre à mes débuts. C’est-à-dire à partir du moment où je me mets à penser, où la conscience devient le capitaine du bateau, qui répudie les rêves, les fantasmes, la naïveté à fond de cale.

Cette conscience capitaine se dit à elle-même qu’elle aura besoin, pour exister, de tellement de serviteurs et d’outils, de détracteurs comme d’admirateurs... Il lui faut remplir quelque chose afin de dissimuler ce qu’elle estime être le manque.

Il lui faut comparer, rivaliser, construire des échelles de tout acabit pour se positionner ainsi sur tel ou tel barreau de celles-ci... se mettre en quête d’une idée d’excellence sans même prendre le temps d’étudier ce qu’est véritablement l’excellence. Une conscience qui, pour grandir, s’appuie sur des rumeurs, des « on dit ». C’est une conscience qui n’existe que parce qu’elle se reflète dans l’extérieur ; elle ne peut être sans miroir.

Et en même temps, entravée à tout bout de champ par les émotions, les sensations, les sentiments, tout ce maelström émotionnel dont elle ne sait que faire.

La conscience est tout à fait consciente, surtout, qu’un jour elle s’éteindra avec le corps. Que la mort balaiera tout.

Elle devra fixer le vide en face avant de se laisser engloutir par celui-ci.

Il s’agit de trouver la bonne embarcation pour effectuer ce voyage, dans l’espoir d’abolir la peur.

J’ai essayé un tas de choses.

La musique, les filles, l’écriture, la peinture, la marche, l’alcool, l’apnée, la danse de Saint-Guy, l’étude du Talmud et de la Cabale, l’alchimie, les rituels chamaniques, j’en passe et des meilleures... Je vous livre ça dans un joli désordre.

Auparavant, je ne parlais jamais de ces choses. Elles me faisaient honte ; elles me renvoyaient à mon incohérence crasse. J’avais cette conscience aiguë (toujours elle) que toutes ces choses n’étaient que des pertes de temps. À chaque fois, cette défaite, cette sensation de s’être fourvoyé.

Alors je me suis demandé ce qu’était le temps. Comment pouvait-on perdre ce que l’on ignorait posséder ?

Car, sans le savoir, j’étais éternel, vous savez ; j’avais à la fois trop et pas assez de temps. Je ne savais pas employer le temps ; comment peut-on employer une absence ?

C’est grâce à l’ennui que je suis revenu au rythme, à la musicalité et donc au temps.

Au début, ça avait l’air ludique de taper sur des gamelles ; puis, assez vite, pas vraiment.

Se lever à l’aube pour se rendre à l’école, à la fac, à l’usine, au bureau, sur les chantiers, à Pôle emploi, en formation, au supermarché, à la gare, au cimetière, à la maternité...

Il fallait bien compter sur le temps. Il fallait accepter que ce soit quelque chose d’entendu par la collectivité. Il faut passer par le temps pour rejoindre les autres, sans doute aussi traverser cette fameuse peur du vide, de la mort, pour parvenir à faire de soi un accueil serein.

Sans pour autant quitter l’humain. Pouvoir toujours s’énerver, se mettre en colère, avoir cette sensation de peur qui persiste encore malgré tout. Respecter, si je peux dire, cette enveloppe que nous projetons dans l’apparence. Parce que l’apparence compte sans doute autant que ce qu’elle dissimule.

Continuer d’avoir peur est donc important, sans toutefois se laisser prendre à son chant d’incohérence.

C’est à cela, sans doute, que sert la peinture pour moi. Tout comme l’écriture. À être cette sorte de mât auquel s’accrocher pour s’approcher au plus près de l’incohérence, de la peur, et observer ainsi la naissance du langage.

Reste à savoir que faire de ce langage désormais. Bien sûr, il y a les tableaux, il y a les textes, le tout dans un chaos effrayant certainement pour qui viendrait s’y pencher pour chercher du sens.

Effrayant pour qui aurait une idée toute faite de l’ordre, de la clarté et du sens.

Justement ce que je n’ai pas. Sans doute ce que je ne désire pas, tout au fond de moi.

Je ne veux pas que tout ça ait un sens étriqué. Et j’appelle « étriqué » tout ce qui entre désormais dans la catégorie de l’information, du mot d’ordre.

Je voudrais que, de ce chaos, chacun puisse puiser un sens qui lui soit personnel. Comme la vie donne à chacun le pouvoir de l’interpréter, de la glorifier ou de la défigurer à sa guise.

La peur du vide m’a mené vers une idée de liberté, surtout ; vers une forme de générosité qui ne soit pas attachée à l’orgueil ni à une fausse humilité.

La peur de la mort a provoqué une révolte, puis une grande révolution, une grande agitation, pour s’atténuer peu à peu avec l’acceptation du temps tel qu’il est vraiment : un présent continu dans lequel tout s’éteint et ressurgit sans relâche.

Exposition "Voyage intérieur" notes.

Publié le 18 septembre 2021

Comme je le disais dans un texte précédent, j’ai trouvé un titre générique à ce travail que je vais présenter fin septembre au centre culturel « Le Sémaphore » à Irigny.

D’ailleurs, j’en profite pour vous inviter au vernissage qui aura lieu le lundi 4 octobre à 18h30, si vous êtes dans les parages, bien sûr.

Pour les autres, je vais tout mettre en œuvre pour vous faire visiter l’exposition malgré tout. Sans doute avec des vidéos, des photographies et quelques textes qui me démangeront sûrement au fur et à mesure que cet événement se rapprochera, durant sa durée, et une fois terminé.

Pour l’instant, j’explore, je fouille, je redécouvre une masse de tableaux réalisés entre 2018 et 2021. Il doit y en avoir pas loin d’une centaine, de divers formats.

Évidemment, je ne vais pas tout accrocher ; la profusion ne fonctionne pas, pour l’avoir déjà testée plusieurs fois dans d’autres expositions.

Cependant, j’ai découvert sur WordPress une fonction intéressante que j’ignorais : le portfolio.

J’ai donc créé un projet intitulé « Voyage intérieur » que vous pourrez désormais découvrir dans le menu du blog.

Pour le moment, je me suis contenté de télécharger une quantité importante de photographies relatives à ce thème, « Voyage intérieur ». Elles ne sont pas classées ; elles sont un peu comme dans la réalité de mon atelier : empilées par format sur des étagères.

Ce portfolio me sert de base de travail, en quelque sorte, pour effectuer des choix, des tris, et il évoluera au fur et à mesure de ce travail d’assemblage. Vous pourrez le suivre.

Mon intention n’est pas de seulement présenter une « belle exposition » pour séduire le public. Il faut, à mon avis, qu’elle exprime ce cheminement que je tente d’effectuer pour m’extraire des clichés. Mes propres clichés, surtout, concernant tout ce que j’ai pu penser sur la peinture.

Il pourrait ainsi y avoir une sorte de parcours menant de la séduction facile vers une âpreté, une austérité qui représenterait (pour moi) ce que m’apporte ce voyage intérieur :

L’abandon de la séduction.

L’abandon d’une quête de reconnaissance.

L’abandon d’une illusion aussi sur ce que j’ai pu penser être l’art ou un artiste.

Une fois passé ce dernier cap, cette aridité, l’exposition s’ouvrirait sur un champ nouveau : le langage de la couleur, de la simplicité des formes, car c’est cette voie vers laquelle je me dirige désormais.

À suivre…

Enseigner la peinture.

Publié le 16 septembre 2021

C’est vraiment la rentrée. La reprise des cours, des ateliers, les longs trajets en voiture pour atteindre les différents lieux, la pluie sur le pare-brise, les embouteillages, les jeunes cons qui jouent la nuit avec les lignes blanches, une certaine forme de solitude également. Ce genre de solitude en groupe. Comme je n’aime pas me répéter, proposer la même chose d’année en année, j’essaie de me voir comme je regarde mes tableaux : à distance, en effectuant quelques pas hors de moi et en plissant les yeux. Je cherche ces moments où le confort de l’habitude, de l’expérience, est traître. Ces sortes de pseudo-certitudes qui nous autorisent à penser la même chose invariablement. Comme, par exemple : « Je sais, et eux non. » Ou : « J’ai le droit de penser que je sais, alors qu’ils ne sont encore qu’au stade de l’intuition. N’est-ce pas déjà un tout petit peu mieux ? Mais tout de même, il y a encore du boulot à faire de mon côté. » J’ai tellement eu de mal avec toute forme d’autorité que je ne peux pas me leurrer lorsque je me vois ainsi, empruntant une figure de professeur autrefois tant détestée. Comme quoi la notion de modèle, de mimétisme, va se loger loin dans les tréfonds. Et puis on se rend aussi compte que c’est louche d’avoir tant détesté. Un peu comme avoir aimé par excès, adoré, s’être agenouillé ou prosterné. Du coup, je tente de rectifier, d’être plus abordable. De descendre d’un piédestal purement fictif de toutes parts, qu’il soit le leur ou le mien. Presque amical, alors que bienveillant suffirait. Mais ça ne fonctionne pas non plus. Les sentiments n’ont pas grand-chose à voir là-dedans. À partir du moment où il y a une rétribution, un salaire, il faut faire le job, il faut faire ce pour quoi on est payé avant tout.

Enseigner la peinture.

Se retenir d’asséner je ne sais plus quelle vérité sur la peinture, sur l’art surtout. Se méfier de cette facilité avec laquelle les phrases issues des pensées ressassées s’échappent. Soudain, s’apercevoir d’une lueur dans le « je ne sais pas ». Un « je ne sais pas » dépourvu de crainte, d’angoisse, d’inquiétude, de menace, de ce faisceau d’idées préconçues, elles aussi, d’idées refuge. Un « je ne sais pas » comme on lève l’ancre au petit matin ou au crépuscule. Quelque chose qu’impulse l’espoir en même temps que la résignation tient la barre. Que viennent chercher les élèves ? On finit par se dire, toutes les années, la même chose sans vraiment revenir là-dessus. Ils viennent pour apprendre à dessiner, apprendre à peindre, voilà tout. Marcher à côté de soi pour se frotter le dos. Se le répéter : ils viennent ici parce qu’ils imaginent ne pas savoir. Et ils l’imaginent tellement que pour eux cela devient cette réalité. Trouver le bon point d’intersection entre ta réalité et la leur. Expliquer sans un mot que pour voler, ce ne sont pas les ailes qui comptent, mais le talon. Et puis soudain, voir le groupe. Le groupe est une entité invisible durant longtemps, tellement on se pense seul à enseigner. Mais le groupe dépasse tout ce que le professeur peut apporter. Ces synergies invisibles qui peu à peu se mettent en place. Faire confiance au groupe, voilà une trouvaille. Quelque chose de véritablement inédit. Se retenir alors d’en dire trop. Se retenir de parler, comme d’arpenter l’espace. Observer le groupe s’enseigner à lui-même. Voir une nouvelle réalité peu à peu se créer ainsi. Et puis, à un moment, la question… on ne sait plus vraiment qui se la pose. Est-ce l’élève ? Le professeur ? Le groupe ? Cette question interroge toutes les parties simultanément. Et le mieux, c’est faire la même chose qu’un bijoutier face à une belle pierre : sertir la question dans un silence. Attendre encore un peu et voir jaillir de ce dernier un Simorgh qui s’élève jusqu’au plafond de la classe. De retour dans la nuit, je me souviens.

Sohrawardi décrit ainsi le Simorg dans Le Chant du Simorg :

« Le Simôrgh vole sans bouger et sans ailes… Il est incolore. Son nid est à l’Est et l’Ouest n’en est pas dépourvu… Sa nourriture est le feu… Et les amoureux des secrets du cœur lui confient leurs secrets intimes. » (Razavi, 1997, p.73).

Partir de zéro, les liens avec l’Art Brut.

Publié le 15 septembre 2021

C’est à l’occasion de l’élaboration d’un programme de stage pour une association dans laquelle j’interviens que me vient l’idée de ce texte.

Je propose d’étudier l’art brut selon la conception première de Dubuffet.

Qu’est ce que l’art brut ? A l’origine C’est avant tout la création d’un univers personnel, réalisée en toute liberté, c’est à dire en se fichant du regard de l’autre.

La plupart du temps l’artiste est rangé dans la catégorie des marginaux, des fous, des autodidactes, son art est incompréhensible à monsieur tout le monde. Seuls une minorité peut s’éblouir du résultat.

En fait l’art brut existe bien avant que Dubuffet invente sa définition. On peut même dire qu’il existe avant toute autre forme d’art institutionnalisée.

On pourrait dire qu’un enfant qui n’a pas atteint l’âge de raison fait de l’art brut sans le savoir tout comme Monsieur Jourdain fait de la prose.

Désormais le champ de l’art brut est devenu confus d’autant que notre réceptivité vis à vis de lui a changé. L’art brut nous intéresse d’autant en raison d’une certaine prise de conscience vis à vis des clichés qui nous entourent. La publicité aura beaucoup contribué en creux si je puis dire à nous faire prendre conscience de ce carcan culturel dans lequel la plupart du monde occidental est enfermé depuis la fin de la Renaissance.

L’art brut est récupéré de toutes parts par les institutions, les Musées, les galeries, les salons et autres biennales. Une confusion l’accompagne désormais, on crée des sous familles de celui ci, comme la neuve invention, l’art singulier par exemple.

Peu importe en fait cette confusion.

Ce qu’il faut retenir c’est que l’art brut, cette impulsion est un formidable vivier de créativité. Aujourd’hui on parle même d’art Brut contemporain...

Pendant que tous les experts du marché de l’art tergiversent, classent, découpent, attirent ou expulsent ainsi les différents artistes nés de cette mouvance qu’est l’art brut, d’autres mouvement progressent en parallèle.

Je pourrais citer par exemple la peinture intuitive, une certaine partie également de l’abstraction, une peinture plus gestuelle qui se déclencherait à partir d’un point 0 en deçà de la pensée.

Ces deux vecteurs de l’art d’aujourd’hui rejettent en dehors de leur périphérie à la fois le mental comme le savoir en tant que capital, et aussi en tant qu’histoire , continuité ou héritage.

Finalement nous parvenons aujourd’hui à ce qui avait déclenché la Renaissance, la naissance de l’individu et en même temps celle de l’artiste.

A la fois à son apogée comme à sa chûte.

L’artiste appartient désormais soit à une élite, reconnu par un marché de l’art très sélectif et cette reconnaissance fait office presque aussitôt d’institutionnalisation.

Cependant, en même temps l’accès aux œuvres n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui pour le grand public. Grace à internet des plateformes de vente en ligne se sont crées, tout à chacun peut promouvoir son art en créant un site ou en créant un compte sur un des nombreux réseaux sociaux.

Une profusion d’œuvres, d’artistes, que l’on pourrait dire non catégorisés a envahit le marché.

Cela peut rappeler la ruée vers l’or d’une certaine manière car grâce au buzz, à la promotion payante, à des stratégies habiles n’importe qui peut toucher le pactole désormais, vivre de son art sans avoir besoin de ce fameux marché de l’art.

Est ce que vendre des œuvres sur internet fait de soi un artiste ?

En observant beaucoup les réseaux sociaux je vois que l’on peut encore ranger les publications par famille, par catégorie.

Il y a les artistes qui font toujours la même chose en le déclinant de mille manières différentes et qui ainsi par un phénomène de répétition proche des spots publicitaires finissent par devenir indentifiables.

Dans cette catégorie il y a les locomotives et puis tous les wagons qui suivent.

A partir du moment où on pense qu’une stratégie fonctionne celle qui est copiée, répliquée sur des milliers de comptes ce qui donne le tournis car on a l’impression de voir la même peinture finalement réalisée par des milliers de personnes différentes.

Il y a les artistes amateurs qui ont finalement désormais autant de chances que les professionnels de vendre. Parmi ceux ci il y a les organisés et les désorganisés.

Des familles je pourrais évidemment en citer encore d’autres. Ce que je veux dire c’est qu’avec internet il est devenu extrêmement rare de voir un orphelin.

C’est à dire quelqu’un qui sort totalement du lot, dont le travail ne ressemble à nul autre. Un artiste d’art brut authentique.

Qu’on le range dans l’art brut ou l’abstraction peu importe.

Ce que je crois, peut-être ce à quoi moi-même je m’identifie, c’est que sans cette intuition de la présence de ce point 0, sans la volonté de l’approcher, de s’y laisser absorber totalement l’artiste d’aujourd’hui se condamne sans le savoir à un phénomène de réplication. Soit en répliquant lui-même sans même en être conscient ce qu’il a aperçu déjà et qu’il pense s’approprier comme auteur.

S’élancer vers ce point 0, vers l’absence totale de références comme de pensée, d’auto jugement tout en maintenant cette indifférence nécessaire au regard des autres est loin d’être une sinécure si l’on n’est pas fou, ou complètement abruti comme autrefois le grand public imaginait les artistes de l’art brut.

Mais au bout du compte c’est à partir de tout cela, de ce point 0 comme de cette confusion dans laquelle est engagé l’art brut, qu’une nouvelle renaissance est arrivée, elle est certainement même déjà là sans même que nul ne s’en rende véritablement compte.

La langue des oiseaux en peinture

Publié le 7 septembre 2021

Je fais toujours du rangement et pour autant ne cesse de vivre dans un désordre qui me rassure. J’ai fini par accepter ces deux vecteurs qui semblent contraire seulement en apparence.

Une petite toile m’attend tout en bas d’une pile rangée dans mon grand buffet ici dans ma remise. Je la prends dans les mains et l’emporte dans l’atelier pour l’examiner en buvant mon café du matin.

Il y a quelque chose, un je ne sais quoi. Des gris agréables à l’œil mais ça manque de quelque chose. C’est plat.

Je trouve comme par magie ma boite de pastel à l’huile et verse un fond de whyte dans un gobelet…et comme une chance arrive rarement seule je tombe tout de suite sur le petit pinceau qui va bien.

Une demie heure plus tard voici la petite toile posée sur l’étagère et moi 5 pas en arrière.

Quelque chose de l’ordre d’une mise à jour informatique.

Et le plus beau je m’étais fait un joli tour de dos en accrochant des tableaux lourds la semaine passée et j’ai grogné durant tout le week-end voici que soudain je ne sens plus rien du tout !

Élever la fréquence en usant de l’ordre et du désordre, laisser l’intuition faire le job, puis tirer la langue sur le côté en se pliant à l’air ambiant et en y allant de bon cœur n’est plus un secret. Je ne cesse de le répéter.

Pour sans doute m’en convaincre encore tout seul.

Et puis voilà quelque chose re fonctionne soudain c’est un reboot comme nous en traversons des milliers sans même nous en rendre compte.

Se rendre compte voilà une clef qui n’a pas l’air.

Une clef comme on commence une portée pour inscrire la petite mélodie dictée par les oiseaux.

contre-don

Publié le 6 septembre 2021

Contre-don

Il existait une langue sous la langue. Celle du frottement d’ailes et de la palpitation des étoiles. Je croyais que peindre était la parler. Puis vint le temps où le don lui-même devint une marchandise. Où la gratuité fut mise en scène, likée, monétisée. Un grand dégoût m’a saisi. J’ai déposé les pinceaux. Je ne pouvais plus offrir ce qui était déjà volé, recyclé, prostitué dans la grande mascarade connectée.

L’innocence était morte.

Alors j’ai compris que le vrai combat ne commençait qu’après. Qu’il fallait cesser de chercher à « bien parler » cette langue, et accepter de barbouiller contre. Contre le calcul, contre la possession, contre le spectacle du don. Le gribouillage, l’écriture automatique, le n’importe quoi qui surgit : ce ne sont plus des prières naïves adressées à la lumière. Ce sont des actes de sabotage. Des gestes vains, héroïquement vains, comme celui de Don Quichotte chargeant les moulins. On ne peint pas pour atteindre la langue. On peint pour délimiter son absence. Creuser le vide qu’elle habite. Tracer, par la répétition du geste, un périmètre sacré autour de ce qui nous manque. Le résultat n’a aucune importance. La toile aboutie est une illusion de plus. Ce qui compte, c’est la lutte elle-même. La qualité de l’attention, la férocité du désir de donner malgré tout. Je ne peins plus pour me souvenir de la langue. Je peins pour résister à l’oubli de son existence. C’est un contre-don. Une offrande faite dans la pleine conscience de son inutilité radicale. C’est là, dans ce geste sans espoir, que réside peut-être la dernière parcelle de vérité.

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On ne peut tout faire

Publié le 23 juillet 2021

Il y a des jours où le temps va me manquer. Que je ne serai pas en mesure de réaliser en peinture tout ce que j’ai rêvé. Ça me rend fébrile, dingo, infréquentable. Je me renferme sur moi-même et me jette dans le travail à ces moments là en imaginant je ne sais quoi.. peut-on jamais rattraper le temps… celui des rêves ? Parce que le temps perdu ne se rattrapera qu’en regrets stériles. Il n’en vaut aucune peine, aucun chagrin,aucune nostalgie.

C’est au présent que l’on lutte. Pour canaliser la peur. Comme un cheval fou qui se cabre devant les ombres de l’inéluctable.

C’est pour apprendre à dompter cette peur que je peins.

Je rate souvent. Je trouve des subterfuges pour conserver l’espoir. La créativité se joue là aussi. Elle se joue de moi.

Je gratte la croûte du temps sélectionnant par ci par là des lambeaux pour faire du lent et je l,espère toujours du beau sans raison ni cause.

Se déserter

Publié le 14 juillet 2021

Par la peinture, une fois les buts traversés comme on traverse des villes, des pays, des illusions, se présente le désert et avec lui une nouvelle frayeur. Disons plutôt la même frayeur débarrassée de tout ce dont on la maquille sans relâche. Disons une frayeur brute.

Peindre alors c’est pénétrer désarmé dans ce désert cette frayeur.

Désarmé parce qu’aucune arme ne sert plus à rien et même entraverait toute progression.

La toile vierge posée sur le chevalet face au peintre il faudrait cette rencontre du désert avec lui-même idéalement.

Mais c’est encore une pensée, quelque chose que je fabrique pour tenter de me débarrasser de la gène que provoque le silence.

On me dira mais où est donc le plaisir dans tout cela ? Pourquoi ne vas tu pas travailler comme tout à chacun à l’usine, au bureau au lieu de nous gonfler avec tes états d’âmes ?

Et à cette question je ne répondrais comme d’habitude que fort mal, c’est à dire que je tenterais de plus en plus maladroitement de légitimiser le fait que je préfère peindre.

De plus en plus maladroitement parce que ce qui compte ce n’est pas de prouver quoique ce soit à quiconque mais à moi-même en premier lieu. Et que j’ai acquis une telle adresse justement à broder et tisser que je pourrais habiller la terre entière pour des décennies.

La maladresse me conduit à la nudité et j’aime ce chemin. Parce que la nudité et le désert offrent grosso modo la même sensation, une fois passée la stupéfaction, le silence.

Et tout alors se joue à la fois au niveau de l’œil comme de l’oreille pour évacuer le bruit, trouver le mélodieux.

Mais avant s’opère une destruction de toutes les images comme de toutes les mélodies.

Non pas qu’une volonté soit à l’œuvre pour détruire.

Ce sont plutôt des pans entiers qui se dissipent comme s’ils n’avaient plus aucune sorte d’utilité.

C’est à dire que l’on devient étranger à l’image comme au son.

Comme un nouveau né qui découvrirait le monde.

Sauf qu’aucune mère aimante, aucun père rassurant ne se trouve à cet instant à ses cotés.

C’est en ce sens que j’évoque le désert. Et aussi ce fantasme accompagné d’une hâte de l’incarner encore une fois en quelqu’un ou quelque chose.

Le désert n’est ni mère ni père, il est seulement cette vastitude dans laquelle on hésite à s’engager, à faire confiance.

Exactement comme la toile vierge.

On trempe alors le pinceau dans la peinture, et quelque chose encore s’offre comme un passage, un sas. Ce temps à mélanger le pigment au liant, au médium est comme une chanson que l’on invente pour se donner du cœur au ventre.

Aspiration, les poumons se remplissent

Puis le pinceau parvient après un voyage dont non ne peut mesurer la durée ni l’origine à la surface de la toile.

L’acte de peindre commence comme la marche du voyageur dans le désert. Aucun chemin n’est indiqué, des sables et des dunes à perte de vue.

Il faut avancer seul.

C’est sans doute pourquoi j’invoque souvent le hasard comme compagnon. Pour tromper ma solitude. Par une sorte d’abracadabra je redeviens primitif et je m’accroche à l’invisible comme cette part de moi dissociée enfouie à laquelle je n’ai pas d’accès sinon par les mots ou plutôt ce qui réside toujours entre les mots.

dissocié coupé en deux je progresse ainsi en gesticulant comme un pantin tiraillé par ce qu’il pense comme par ce qu’il ignore et qui ne cesse d’agir sous la pensée.

Puis enfin après un temps difficile à mesurer à l’horloge arrive ce point particulier du tableau où je suis totalement incapable de dire si c’est bon ou mauvais.

Un point qui si je n’en tiens pas compte entraîne irrémédiablement le tableau dans la boue ou dans la séduction.

C’est sans doute ce point que j’ai cherché tout au long de ma vie et dans toutes les circonstances de celle-ci.

Parvenir à déceler enfin sa présence de manière irréfutable.

A cet instant je m’écarte du tableau comme le désert s’écarte sous les pas du voyageur.

Je crois, j’espère, mais je ne peux jamais en être vraiment certain que je me suis enfin déserté.

Et c’est ce doute qui me fait prendre une nouvelle toile, qui me fait reprendre le processus tout entier depuis zéro.

Et là effectivement on pourrait dire que peindre c’est renaître. Mais cela ne vaut que si on sait la présence du désert.

Le modèle

Publié le 12 juillet 2021

J’avais passé une annonce dans un journal il y a de cela des lustres. Cherche modèle, sexe et âge indifférent.

J’avais eu un nombre de coups de fil prodigieux durant les quelques jours qui suivirent la parution. A chaque fois que je décrochais je fixais toute mon attention sur la voix de mon interlocutrice ou interlocuteur, pour traquer la fausseté.

Elle appela en fin de semaine, un vendredi en tout début d’après-midi et le timbre de sa voix était tellement spécial, que je décidais d’aller à sa rencontre dans un café de Saint-Germain.

Elle n’était pas jolie, ni laide et pourtant pas quelconque non plus.

Une femme qui avait dépassé la trentaine avec les traits qui commençaient à s’affaisser.

Et durant notre entretien elle parla avec le même timbre qui me fit penser à une frontière, à la lisière d’une foret impénétrable.

Cela m’excita bien sur et je n’eus plus qu’une envie alors c’est de pénétrer cette frontière.

Nous traversâmes tout Paris pour nous rendre à Aubervilliers où je vivais.

J’installais une toile sur le chevalet et lui demandais de s’asseoir près de la fenêtre.

Lorsque je me déplaçais pour la voir enfin, elle était nue.

Je dus montrer un signe d’étonnement car elle me dit à ce moment là

Il fallait bien que je me mette toute nue n’est ce pas ?

Toujours avec cette voix parfaitement égale sans la moindre aspérité.

Evidemment que cela m’excita encore plus.

J’ai pris un morceau de fusain et sans la quitter des yeux j’ai strié la toile de lignes

Son regard était dans le vague elle semblait fixer un point de la cloison derrière moi, jamais elle ne croisait mon regard.

Regarde moi dis je en passant au tutoiement

Elle orienta alors son regard vers le mien et j’eus cette sensation assez désagréable de me sentir traversé.

Comme si j’étais transparent.

Je tentais de mettre de coté cette sensation pour dessiner

mais je voyais bien qu’elle agissait sur mon trait

quelque chose qui n’arrivait pas à se fixer entre l’hésitation et la décision.

Au bout du compte j’obtins assez rapidement un gribouillis,

quelque chose d’insupportable.

comme si le désordre était la seule chose dont j’étais capable face à cette femme

qui s’était mise nue devant moi pour que je la peigne.

Je n’étais déjà pas bien riche à l’époque et ce n’était pas l’argent qui l’avait convaincue.

Je crois que l’on s’était mis d’accord pour un échange, quelques dessins contre une séance.

Elle travaillait, ce n’était pas pour l’argent m’avait t’elle déclaré.

Et cependant elle ne semblait afficher aucune curiosité, elle paraissait être là dans cette pièce comme si elle avait été n’importe où ailleurs.

Et bien sur moi j’étais un peintre comme j’aurais pu être facteur, boulanger ou chef de gare, cela ne semblait pas revêtir pour elle la plus petite importance.

Au bout de l’heure et de nombreuses esquisses ratées

Elle me dit, tu as l’air de vouloir t’acharner contre toi-même.

Je posais le fusain et me laissais tomber sur le tabouret attenant sans répondre quoi que ce soit.

-ça se voit que tu ne tournes pas rond, ajouta t’elle

-Les autres peintres m’auraient déjà touchée tu sais tu n’es pas le premier.

C’est à cet instant précis qu’elle se leva et marcha vers moi et j’eus la sensation de voir une géante me foncer dessus

j’étais désarçonné

totalement impuissant

Elle me prit dans ses bras comme un petit enfant et je sentis à ce moment là l’odeur de ses aisselles

affreusement désagréable mais dont pourtant je ne pouvais me détacher.

je me débattais mollement pour ne pas la vexer - du moins c’est ce que j’imaginais.

Elle se mit à genoux, dégrafa ma ceinture, baissa mon pantalon et me prit sans un mot dans sa bouche.

Ce fut si long que quelque chose de douloureux m’en reste encore à la mémoire.

Je ne me souviens même plus d’avoir joui ou pas.

Cette fascination de la voir à l’œuvre de la sentir enfin vivante, réelle, agissante était de la même teneur que ce que j’ai coutume de chercher dans la peinture.

Une réalité.

Et qui sans cesse m’échappe évidemment.

Elle se leva enfin et me caressa la joue. Une sorte de geste automatique comme avec les chevaux.

Voilà ça va aller mieux maintenant me dit-elle

Et elle fit mine de retourner s’asseoir.

Mais je n’étais plus du tout à la peinture à cet instant

je voulais la baiser sauvagement pour me venger comme si elle m’avait dérobé quelque chose d’important.

Peut-être un truc comme mon âme je me disais.

Je fis mine de me ruer vers elle

mais elle leva la main paume grande ouverte

-Il n’en est pas question- dit elle avec une autorité que je ne lui aurais pas prêtée quelques minutes auparavant.

Je me remis à l’ouvrage avec une sorte de dégout, d’écœurement de moi-même

Et chose inconcevable le dessin prit aussitôt fière allure.

Nous nous vîmes plusieurs fois durant quelques semaines durant lesquelles exactement le même scénario se produisit.

Et puis je ne la vis plus.

La vérité c’est que je ne l’ai jamais pénétrée ou possédée comme on dit et je n’ai jamais su si c’était quelque chose qu’il fallait considérer comme une défaite ou une victoire.

Mais je crois que j’ai été comme guéri de quelque chose à partir de là bien que je sois totalement infichu de dire quoi.

Peindre sans but

Publié le 11 juillet 2021

Je peins pour me débarrasser du but, de tous les buts

Pour fuir tout ce le que mental fait miroiter

Donc c’est un but

Donc merde !

Demain je recommencerai.

La première impression en peinture

Publié le 9 juillet 2021

Je viens de peindre une bonne partie de la journée. Une grande toile de 100x100 cm à l’huile et je poste le travail en cours sur mon compte Instagram.

Je pourrais me demander pourquoi je me sens obligé de poster ce travail sur les réseaux sociaux en premier lieu.

Est-ce parce qu’il faut que je poste absolument quelque chose pour ne pas perdre ma place dans l’algorithme ?

Est-ce parce que j’en suis tellement fier que je ne peux conserver cela pour moi seul, que je me trouve dans une sorte d’obligation de le partager ? de partager l’exaltation pour en réduire ainsi la charge ?

Est-ce parce qu’en le regardant au contraire je ne puis éprouver la moindre sensation que je puisse trouver suffisamment solide pour m’appuyer et que je compte sur celle des autres afin de pouvoir décider de l’orientation future de ce tableau ?

La plupart du temps comme je l’écris plus haut je ne me pose jamais ces questions.

C’est une sorte d’habitude que je me suis donné de poster les tableaux dans leur état d’avancement tels qu’ils sont.

Ceci pour obtenir un peu de visibilité sur internet, ajouter un peu d’eau au moulin de ce personnage de peintre qui ne cesse de se débattre entre une idée de la peinture et la peinture elle-même.

En préparant mon nouveau livre, le tome deux de "propos sur la peinture" je relis un texte dont le sujet est "la première impression".

A la relecture je découvre des maladresses, des passages flous que je me mets à corriger moi qui ne me relis quasiment jamais.

Cela vient aussi d’une impression que j’éprouve à me relire que je pourrais résumer dans les mots confusion, désordre, bancal. C’est la fameuse première impression à la relecture de la plupart de mes textes depuis toujours.

Du coup j’ai décidé de rebloguer ce texte corrigé puis d’aller me servir un café.

En fumant la cigarette qui l’accompagne invariablement à cette heure de la nuit, les idées arrivent par vagues successives autour de cette idée de "première impression". Des idées que je n’ai évidemment pas mises dans ce texte.

C’est la même chose lorsque je vois mes tableaux exposés dans les différents lieux qui ont la gentillesse d’accueillir mon travail.

Une sorte d’insatisfaction chronique si je peux dire qui se résume par une sorte de prise de conscience désagréable concernant le fait que la plupart de mes toiles ne me paraissent plus du tout abouties comme je l’avais pensé en les signant quelques mois ou années plus tôt.

Je crois que derrière l’aspect désagréable il y a tout de même quelque chose de positif dans ce jugement, c’est l’idée que rien n’est jamais totalement terminé et que tout peut encore s’améliorer.

Il y a des peintres qui devaient éprouver la même sensation puisqu’ils n’hésitaient pas à se rendre dans les salons où leurs toiles étaient exposées avec des tubes de gouache ou d’huile pour ajouter quelques touches à la sauvette par ci par là. Ainsi Bonnard par exemple était-t ’il connu pour cela. D’ailleurs il existe un mot pour ce genre de manie : c’est le mot "bonnarder".

Dans le film "Turner" On voit également le peintre s’approcher de l’une de ses toiles, puis sortir un tube de rouge pour réaliser une bouée au premier plan de sa mer qu’il trouve subitement trop vide.

Bref cela montre bien à quel point nous avons du mal à nous fier vraiment à ce que l’on appelle une première impression comme à une dernière d’ailleurs. A l’impression du moment qui peut nous faire agir de la pire ou de la meilleure des manières.

Mon épouse qui est une passionnée de séries policières et psychanalyste de métier, rejette en bloc la notion d’impression lorsqu’il m’arrive de l’ennuyer avec les miennes.

La phrase : j’ai l’impression qu’il va pleuvoir, que les choses vont bien ou mal se passer dans telle ou telle situation, j’ai l’impression qu’on va toucher un joli petit pactole car ma paume me gratte etc. cette phrase là au mieux la fait toujours sourire, au pire l’agace et j’en prends alors pour mon grade.

Toi et tes impressions...

J’imagine que tout le monde connait plus ou moins cela n’est-ce pas.

Ce qui fait qu’au bout d’un moment on n’en parle plus. On finit par garder ses impressions pour soi et la boucler.

Ce n’était pas le cas du Capitaine du navire sur lequel devait embarquer Charles Darwin lors de la fameuse et légendaire expédition du Beagle. A cette époque on croyait dur comme fer à la physionomie en tant que science et le bonhomme se faisait fort d’être physionomiste.

Monsieur Darwin n’a pas le nez qui convient pour un tel voyage aurait t’il dit. Ce nez n’inspire aucun courage ni détermination.

Heureux 19eme siècle qui avait donc tenté de faire des impressions une science exacte. En vain évidemment.

Pour en revenir à Columbo et à ma femme, les policiers ne peuvent s’empêcher de le dire au moins une fois par épisode : "je n’imagine rien, je ne pense rien, je m’appuie seulement sur les faits, rien que les faits."

Cela me fait rebondir sur un petit texte qu’avait écrit Calaferte sur un fait divers afin de se guérir de la maladie des écrivains : leur perpétuelle tendance à la digression.

Des phrases sèches et courtes, sujet verbe, complément, sans pratiquement aucun adjectif ni adverbe, voilà une jolie retraite et largement de quoi méditer par la même occasion.

Mais pour revenir à mon titre, c’est à dire cette fameuse première impression en peinture, celle qui surgit lorsqu’on repose le pinceau et que l’on s’éloigne du travail pour le regarder vraiment, sur quoi nous appuierions nous si ce n’était celle-ci ?

On peut examiner le tableau au travers de différents points de vue bien sur, tant par sa composition par exemple, son jeu de couleurs, la température générale de l’atmosphère qui s’en dégage , mais c’est souvent au travers de l’impression générale première que nous tentons d’établir le contact avec le travail en cours ou achevé.

Cela me fait penser au métier d’entrepreneur. Quelle est la principale qualité d’un entrepreneur ? c’est l’intensité.

Et c’est aussi l’intuition, la rapidité de décision.

Il serait impossible pour un entrepreneur d’examiner une problématique en se perdant dans le méandre des détails et des nuances. Cela c’est le travail des salariés généralement.

C’est donc seulement armés de leurs impressions que les entrepreneurs vivent et choisissent intensément au travers leurs décisions l’avenir de leurs entreprises.

Cela ne signifie pas qu’ils croient en la magie.

Cela signifie qu’ils font confiance au cumul de l’expérience qu’ils ont déjà vécu en de nombreuses situations, à l’intuition qui en surgit pour tel ou tel cas de figure qui se représente ou se présente et qu’ils décident selon leur impression.

Autrement dit et c’est paradoxal un entrepreneur fait presque plus confiance à ses premières impressions qu’un peintre ou qu’un artiste.

Pourquoi ?

Parce que dans le monde de l’entreprise il est convenu que les choses se passent ainsi la plupart du temps. Que le succès n’a aucune raison valable et qu’il ne sert à rien de disséquer les choses pour l’expliquer.

En revanche ils passent beaucoup de temps à examiner leurs échecs à les ruminer pour en extraire certains principes et s’améliorer. Ils ne s’enlisent pas dans l’émotion que provoque généralement l’échec chez la plupart d’entre nous, ils l’examinent froidement et en tirent des conséquences pour l’avenir.

Est ce qu’un peintre fait cela ?

Je dirais oui et non en ce qui me concerne.

Oui parce qu’a force d’échec on finit par comprendre comment il arrive la plupart du temps

et non parce que je ne suis pas toujours apte à en extraire la substantifique moelle, parce que je crois que je m’en fous.

Parce que je dois aussi aimer l’ambiance, l’énervement que m’apporte l’échec, parce que l’échec pour moi est une sorte de norme.

Et que le succès est un accident qui me perturberait plus que tout autre incident en fin de compte.

Je n’arrive jamais à me fier à mes premières impressions en peinture concernant mon propre travail.

En revanche je suis tout à fait excellent pour remonter le moral de mes élèves et ce de façon naturelle, spontanée, comme je respire.

Car je sais immédiatement en parler étrangement alors que devant mes toiles, je reste muet.

Sans doute reviendrais je encore sur cette affaire de première impression car il y a encore beaucoup à dire.

Mais trop en dire fatiguerait le lecteur, donnerait une mauvaise impression d’emblée en observant la taille du texte déjà bien assez long.

Une prochaine fois peut-être ...

Presque rien

Evidemment je me dépêche de publier ce texte sans même le relire, pour ne pas m’empêtrer à nouveau dans la première impression que ne manquerait pas d’en surgir et ce dès la première ligne, le premier mot.

Mon "secret" pour écrire et pour peindre.

Publié le 6 juillet 2021

En regardant une vidéo de mon ami Patrick Robbe Grillet sur la réalisation d’un dessin au fusain, je me suis posé cette question : Quel est donc son secret pour posséder une telle fulgurance ? Le dessin ne dure qu’à peine 3 secondes et je suis resté bluffé par la virtuosité de sa ligne et par la rapidité d’exécution.

https://youtu.be/js6OxtLW4bA

S’était-t ’il entrainé comme ces adeptes des arts martiaux à répéter sans relâche le même geste ?

Y avait t’il une façon particulière de mobiliser l’énergie pour la concentrer dans ce geste ?

Utilisait il la respiration et si oui le geste partait-t’il de l’inspire ou de l’expire , ou encore de ce moment entre les deux ?

Bref, j’étais là me poser toutes ces questions lorsqu’il se mit à parler du fait de dessiner ou de peindre "entre les pensées".

-Aussitôt qu’une pensée surgit je relève le crayon ou le pinceau- dit il de mémoire.

La raison invoquée est que la plupart du temps nos pensées sont des jugements, des comparaisons, et que celles ci polluent le trait sans même que l’on s’en rende compte.

Du coup je suis resté un moment comme deux ronds de flan devant la vidéo et évidemment ce qui ne devait pas manquer d’advenir advint :

Je me suis demandé si moi aussi j’étais capable de peindre entre les pensées ?

Du coup j’ai tout de suite essayé de faire une série de peintures au brou de noix et à l’encre de chine sur papier pour observer ce qui se passait à l’état brut, c’est à dire sans tenter d’arrêter la moindre pensée ni chercher à peindre évidemment entre celles ci.

Le but était juste d’observer ce qui se produit durant l’acte de peindre.

Et là problème de taille : Aucune pensée.

Du coup je m’affole, je grille immédiatement quelques cigarettes en tournant en rond dans mon atelier.

Quelque chose semblait ne pas tourner rond, cette absence totale de pensée pendant que je peignais m’a carrément flanqué la trouille.

Et bien sur à partir du moment où j’ai arrêté de peindre les pensées ont fini par se bousculer dans ma pauvre tête

Du genre :

Tu dois être complètement marteau mon pauvre gars. C’est impossible de ne pas penser et tu n’es pas assez attentif pour remarquer toutes les pensées qui t’assaillent à ce moment là voilà tout.

Ou encore : à l’opposé si on veut : Tu es tellement vide de sens, totalement, absolument, que ce vide est ton état naturel.

Bref plutôt les boules en gros.

J’ai laissé passé quelques mois, évidemment je suis passé à bien d’autres choses et puis soudain aujourd’hui je lis un article de Julian Chapiro sur l’écriture et là une sorte de déclic s’opère.

voici une traduction de ce qu’il dit :

Les grands esprits sont devenus brillants grâce à la communication. De grandes idées émergent en écrivant ou en parlant, pas avant. Lorsque vous exprimez des idées, votre cerveau ne peut s'empêcher d'établir des liens entre elles et de les faire progresser.L'écriture est un laxatif pour l'esprit.

En fait j’avais toujours imaginé qu’il fallait penser avant de faire quelque chose du genre peindre ou écrire et je me sentais toujours extrêmement mal à l’aise, voir coupable de ne jamais parvenir à y arriver.

En peinture bien sur j’ai quelques thématiques récurrentes, comme dans les sujets qui m’obsèdent quant à l’écriture, mais on ne peut pas dire que j’y pense vraiment. Les choses viennent seulement lorsque je me mets à peindre ou à écrire.

Je ne fais jamais de plan, jamais d’ébauche ou d’esquisse.

Mon manque de confiance dans ma pensée pour créer est tel que j’occulte totalement celle ci systématiquement pour écrire ou peindre.

Les raisons sont sans doute multiples et je ne vais pas les énumérer ici car cela dépasserait la limite supportable d’un article de blog.

Ce que je veux dire pour résumer c’est que cette faille, ce soi disant handicap dont je pensais être une sorte de victime au bout du compte pourrait bien s’avérer mon meilleur atout pour écrire et peindre.

En ne m’attachant à aucune pensée, ignorant totalement le mécanisme de la pensée je plonge littéralement dans l’inconnu pour en extirper des phrases, des idées, des lignes et des couleurs.

Du coup il y a bel et bien un résultat après coup et ce résultat je l’analyse évidemment comme tout à chacun pourrait le faire en décidant que c’est bien ou que c’est médiocre.

Au début la confrontation avec ce résultat m’était tellement pénible que je ne relisais jamais mes carnets, j’empilais mes peintures dans un coin de la maison sans vraiment prendre le temps de les regarder vraiment.

J’étais tellement obnubilé par l’idée de l’écriture ou de la peinture comme étant des actes artistiques que je me sentais souvent en dessous, pas au niveau, pas de taille à affronter le moindre verdict, à commencer par le mien.

C’est avec le temps que les choses se sont calmées, en acceptant peu à peu de livrer à d’autres regards ces textes et ces tableaux. Ce n’était pas aussi catastrophique que je l’aurais cru c’était ça aussi la réalité.

Donc oui finalement j’ai véritablement un secret pour écrire et peindre, c’est à dire quelque chose que j’ai toujours imaginé comme une tare , quelque chose de honteux.

Je ne pense à rien, je me lance et je me dis on verra bien.

La vérité c’est qu’avec les années la peur du ridicule a peu à peu disparu de mes préoccupations. Je l’ai même étudié en profondeur ce sentiment de ridicule à une époque de ma vie à seule fin de l’explorer, comme on explore une terre hostile à première vue mais qui dissimule des trésors inouïs quand elle nous devient de plus en plus familière.

Je crois que cette peur du ridicule y était pour beaucoup dans le jugement abrupt que je portais sur mes créations littéraires et autres. Et tant que cette peur m’entravais je ne pouvais parvenir à une certaine justesse d’exécution.

Soit j’en mettais trop soit pas assez.

C’est cette difficulté de pondération sans doute qui est au centre de l’acte créateur. Cette difficulté avec le temps s’est elle aussi transformée en quête, en cheminement.

Le but n’est pas d’arriver à un beau texte, à une belle peinture, le but est de parvenir à une certaine idée de justesse qui n’existe ni en amont ni en aval de ces instants durant lesquels j’agis.

Le but est de parvenir au présent et d’en capturer quelque chose par l’action afin d’en témoigner. C’est juste cela.

C’est aussi pour cette raison qui ne me paraissait pas vraiment utile au monde que j’ai eu un mal de chien à me considérer comme un artiste ou un écrivain.

Ca va mieux maintenant. C’est toujours bon de partager un peu de ses hontes comme de ses secrets n’est-ce pas ?

Toutes mes amitiés Patrick !

voici, pour les anglophones ; le lien vers le site de Julian Chapiro au cas où un déclic puisse se produire, se répéter à l’infini

https://www.julian.com/

Comment le beau devient le laid

Publié le 24 juin 2021

Une préoccupation de peintre : le beau

En tant que peintre évidemment la beauté est un sujet de préoccupation.

Une sorte de tarte à la crème si je peux dire.

Il y aurait quelque chose d’impérieux qui gouvernerait toutes les intentions du peintre afin de les ramener tant bien que mal à une idée de beau.

La question que l’on pourrait alors se poser si on avait un tant soit peu de jugeotte c’est de savoir si le beau est une notion subjective ou objective ?

Elle est un peu des deux à mon avis lorsqu’on débute.

Une confusion s’opère entre le gout personnel et l’opinion générale concernant la beauté dans laquelle nous baignons en toute inconscience.

Parvenir à effectuer le distinguo, n’est certes pas une sinécure.

Le beau est t’il une décision ?

Et puis il faut une sacrée dose de vanité aussi pour déclarer quelque chose comme "c’est beau parce que j’ai décidé que ce l’est tout simplement" et persister afin d’éprouver ce sentiment très particulier : celui de vouloir avoir raison.

Cette décision est le fruit d’un choix et de nombreux renoncements.

Mais malgré tous les efforts à produire pour y parvenir nul ne peut en garantir la réalité pas plus que la véracité.

C’est un "beau empirique".

Et cela tombe bien car nous sommes désormais dans l’ère la plus empirique qu’il soit.

Si les grecs se perdaient autrefois dans les méandres de la philosophie et des mathématiques pour rêver d’harmonie, notamment en architecture on voit clairement désormais le résultat de cette formidable perte de temps.

Y a t’il encore beaucoup de temples hellènes vaillants ? La plupart ne sont plus que ruines plus ou moins bucoliques.

Ce qui n’est pas le cas du Colisée à Rome apogée si l’on veut d’un apprentissage "à la dure" ou dans "le vif" du sujet.

C’est qu’il y a une grande différence entre ceux qui réfléchissent et qui au bout de longues réflexions parfois agissent, et ceux qui font, subissent des échecs puis recommencent.

Le beau chez les anciens

Ce qui est beau pour un romain est sans doute ce qui dure, ce qui est utile et se mesure à la sueur de tous les fronts qui l’ont bâti. Depuis le premier muret , la première route départementale, en passant par les aqueducs petits moyens puis grands.

Alors que pour un Grec le beau est du domaine des Idées et la plupart du temps il y reste.

Cela fait réfléchir sur l’apprentissage en général et en peinture en particulier.

Faut-il donc un diplôme sanctionnant un parcours intellectuel la plupart du temps et très peu de pratique ?

Ou bien faut il l’intensité et la persévérance, l’obstination de vouloir seulement s’exprimer ?

L’idéal serait de posséder les deux évidemment mais ce n’est jamais vraiment le cas.

Ce que l’on gagne en savoir, en connaissance agit de façon inversement proportionnelle à l’intensité, à l’énergie que l’on doit déployer en toute ignorance pour parvenir à ses fins.

C’est sans doute la raison pour laquelle tellement de diplômés des Beaux-arts entament une carrière dans le marketing ou sur Youtube plutôt que de s’acharner devant une toile, une sculpture.

Pour en revenir à nos moutons

Vous me direz c’est intéressant mais comment le beau devient-il le laid ? puisque tu le dis, puisque en quelque sorte tu l’as promis ... c’est que forcément tu as une idée là dessus, non ?

C’est vrai j’ai une idée. Mais ne croyez pas que cette idée apparaisse dans mon esprit d’une façon claire, une idée n’apparait jamais ainsi, ou du moins ce qui s’avance en tant que tel n’est jamais une idée intéressante.

C’est plutôt une couche superficielle d’éléments qui s’agglutinent à la va vite pour masquer autre chose. Et il faut d’abord s’intéresser à cette pellicule et la gratter avec un minimum de patience pour la crever et apercevoir enfin se qui se dérobe pour être capturé.

L’Idée comme le Beau se dérobent.

C’est la raison pour laquelle la plupart des gens restent attachés à une notion collective, rassurante, facile de ces ces deux notions.

Le beau un lieu commun d’où surgit la laideur ?

On se rassemble ainsi dans les idées comme dans une notion de beauté d’une époque

Cela ne serait pas bien grave après tout, s’il n’y avait cette fichue manie de tout vouloir s’approprier pour soi.

C’est mon idée, Moi je trouve ça beau et puis ça laid.

Comme on le dit encore dans certaines campagnes : "la fille la plus belle du monde ne peut donner que ce qu’elle a."

C’est à dire que ces mots d’ordre de l’Idée et du Beau si rassurants puissent ils être, si attrayants par le confort dans lequel ils nous installent sont comme un sein.

On peut les pétrir autant que l’on veut il n’en sortira pas une seule goutte de lait.

La disparition du banal

C’est lorsque on se détourne du sein comme du mot d’ordre qu’une fissure s’opère, que la matière s’écarte mystérieusement. C’est du plus profond de l’ennui et de l’à quoi bon que soudain l’aurore pointe son joli minois.

Eblouissement du banal jusqu’au plus haut degré du vertige !

On lévite sans même le vouloir tout à coup au dessus des cohortes qui s’étripent et qui s’accolent.

Comment le beau devient-il le laid ?

Il n’y a qu’à constater les dégâts, à compter les points, à ramasser les cadavres et les enterrer. Et même si l’on veut pour marquer le coup graver des noms pour la postérité à la craie blanche.

Le beau c’est un peu comme la connerie au bout du compte c’est la chose la mieux partagée du monde.

Sauf que chacun veut se l’approprier rien que pour soi envers et contre tous mine de rien. L’Idée et la Beauté stigmatisées par l’idée de propriété.

Et ce, même dans un état dit démocratique, ce qui est plutôt fort de café ! parce que d’emblée on pourrait penser que c’est une préoccupation de privilégié, pour ne pas dire de seigneur ou de bourgeois.

Désorientation

Publié le 21 juin 2021

"Je ne sais pas où je vais" est une des phrases récurrentes que j’ai entendue le plus avec "je ne vais pas y arriver", "c’est moche", " je n’arrive à rien".

Ces phrases m’ont beaucoup posé de problèmes au début de ma carrière d’enseignant car évidemment je me sentais responsable, ce ne pouvait être que de ma faute si les élèves émettaient des opinions que je considérais moi-même comme négatives vis à vis de la progression de leurs travaux.

Pourtant la culpabilité possède certaines limites. Et à force d’avoir les boyaux en chantier permanent j’ai cherché à résoudre ce problème peu à peu en expérimentant ce concept de "désorientation".

Je crois même que désormais le cœur de mon métier est d’entrainer les élèves à reconnaitre cet état de désorientation le plus rapidement possible. A se sentir à l’aise si je peux dire avec le fait d’être totalement désorienté durant une bonne partie du temps de leur travaux.

Pourquoi rendre "confortable" la désorientation

La plupart des gens se font des idées de là où ils veulent se rendre, cela signifie qu’ils prennent une carte, ou plutôt désormais une application de GPS puis ils étudient plus ou moins la route avec quelques critères comme le temps, la beauté du paysage à traverser ou pas, Les différentes villes où ils désireront s’arrêter ou les contourner jusqu’à parvenir enfin au but final.

Il y a des lieux que l’on connait déjà et dont la familiarité procure un "je ne sais quoi" d’apaisant, et puis il y a tous les autres, inconnus que l’on découvre totalement différents de ce que l’on a pu imaginer, même si on s’est documenter.

La sensation de réalité balaie en général toutes les autres.

En peinture c’est souvent la même chose.

Si vous voulez vous lancer dans la reproduction d’un tableau il est fort possible que le résultat soit assez différent de ce que vous aviez imaginé. C’est à dire la copie parfaite à s’y méprendre de votre modèle.

Qu’allez vous ressentir en percevant soudain le gouffre qui sépare l’original de la copie ?

Et même dans le cas où vous parviendriez à reproduire le plus fidèlement cette copie sur quoi portera vraiment votre satisfaction ?

Vous aurez réussi un challenge avec vous même ?

Vous aurez acquis un peu plus de confiance en vous dans le domaine de la copie ou de la peinture

Et vous vous direz certainement que vous serez capable de recommencer pour retrouver le même type de satisfaction par la suite.

Même cette émotion deviendra une sorte de but en soi à peine conscient la plupart du temps.

Partir sans savoir où l’on va.

C’est ce que l’on ne fait jamais, on ne sait pas du tout ce qui risque de se produire, on a juste cette peur de ne pas savoir où aller et la plupart du temps elle nous gâche une belle partie du voyage ou du travail sur la toile.

Souvent c’est parce l’on oublie l’énoncé.

Il y a toujours un énoncé évidemment.

Par exemple j’aime assez le thème du "Labyrinthe" en peinture qui permet d’explorer à la fois la transparence, la notion de plans, et évidemment pour bien enfoncer le clou je raconte toute l’histoire sans oublier cet homme à tête de taureau enfermé là quelque part. C’est même la raison pour laquelle le labyrinthe est crée. A la fois pour enfermer quelque chose de monstrueux, et pour tomber dessus lorsqu’on s’y engage.

J’ai perdu quelques élèves à jamais en proposant cet exercice.

Car la première chose avec laquelle il est difficile de trouver du confort est qu’il va falloir s’égarer dans les méandres de ce travail.

Les premières couches de peinture acrylique sont assez ingrates car je demande qu’elles soient aquarellées, étalées en jus successifs.

Cela finit par créer assez rapidement une surface boueuse sur laquelle tous les plans sont confondus. Il n’y a pas de profondeur, pas vraiment non plus de sens de lecture, pas d’indication d’issue. Voilà donc l’égarement dans lequel on tombe rapidement en réalisant cet exercice.

Lorsqu’on s’égare on ne perd pas pour autant le choix.

On a le choix pour empirer la situation ou pour s’en sortir sans trop de casse.

C’est dans ce moment qu’on devrait être le plus attentif à la fois à la peinture et à soi-même.

Dans cette indécision.

Evidemment il ne faudrait pas qu’elle dure trop longtemps et je donne toujours quelques conseils à ce moment là.

Mais la panique semble avoir aussi une sorte de vertu c’est qu’elle met en cause si je peux dire l’égo.

Après tout ce n’est pas vraiment un secret, cet homme taureau peut aussi bien être une femme à tête de méduse.

C’est l’égo qui n’est pas du tout content de ne pas pouvoir exercer son pouvoir de décision.

Une bonne nouvelle qui récompense les plus tenaces.

Ceux parmi les élèves qui confondent qui ils sont avec l’ego sont assez mal en point. c’est parmi eux que se situeront les déserteurs. Ceux qui claqueront la porte de l’atelier avec dépit. Pour ceux là je ne peux plus grand chose j’ai fini par l’admettre avec le temps et avec la culpabilité traversée de long en large à chaque fois. La culpabilité mon Minotaure personnel si on veut.

Je ne courre plus après ces élèves pour les rattraper par la manche et tenter de les rassurer. Je considère que chacun est responsable de ses actes et de ses choix et intervenir dans ce cas en basant sur mon expérience n’apporte en général pas grand chose de bon.

Ceux qui restent et qui gagnent ce combat avec leur propre ego découvre quelque chose qui se dissimule derrière le minotaure.

C’est leur propre version d’eux même enfantine si j’ose dire ce qui n’est pas péjoratif bien au contraire.

C’est en faisant retour vers cet enfant qu’il percevront la leçon qu’offre le labyrinthe et l’égarement qu’il leur a fallu traverser.

Peu à peu les plans se précisent, la transparence apparaît, des chemins deviennent de plus en plus perceptibles de strate en strate et ma foi lorsqu’on ôte le ruban de masquage à la fin de cet exercice il est très rare que je n’aperçoive pas un contentement sur leurs visages.

Les poissons de Fautrier

Publié le 5 janvier 2020

Des yeux vides et noirs sur un espace gris clair, sans plat, sans assiette autre que leur horizontalité parfois oblique, celui ci tout au bout cerné d’ombres.

Ce ne sont que des tâches presque informes à peine si une ligne de contour évoque le poisson. Et pourtant ils sont tellement vivant quelque part dans la profondeur de la toile.

Je suis resté longtemps devant les poissons de Jean Fautrier au Musée de Grenoble.

Et puis j’ai réussi à m’évader enfin pour rejoindre la journée.

À travers le sang et la couleur : Soutine

Publié le 28 décembre 2019

Tout pourrait venir, à première vue, d’une scène mythique, d’une origine sanglante qui, malgré toute l’épaisseur de peinture que l’on pourrait poser pour à la fois la retrouver et l’oublier, ne pourra jamais échapper — ni au peintre, ni au spectateur hébété contemplant l’œuvre de Chaïm Soutine.

Soutine évoque un souvenir d’enfance dans une lettre : la lame d’un couteau tranchant, avec précision, avec netteté, la gorge d’une oie. Il voit encore le sang jaillir en flots épais, rouge rubis. Et l’on pourrait s’arrêter là. Tout est déjà là.

Mais non. Car, au beau milieu de cette boucherie, l’œil du peintre est attiré par autre chose : la joie qu’il lit sur le visage du boucher, en pleine action. La joie, l’horreur, la violence, la stupeur. Voilà ce que contient chaque tableau de Soutine.

Il y a ce petit livre d’Élie Faure sur Soutine que je devrais relire, ou piller sans vergogne, tant je ne me souviens de rien d’aussi juste écrit sur cet immigré juif-lituanien venu à Paris, qui fut un temps protégé par ce grand homme, ce médecin humaniste.

Un temps seulement. L’affection du peintre pour la fille de Faure mit fin, brusquement, à leur relation.

J’aurais pu commencer par le début, par la naissance de Soutine à Vilna. Une approche calme, chronologique. Mais il me fallait un déclencheur. Une raison d’écrire maintenant. Cette raison, c’est un souvenir vif de 2013, une visite au Musée de l’Orangerie, à Paris. L’exposition s’intitulait : Soutine, l’Ordre du chaos. C’était la première fois que je voyais ses tableaux en vrai. Avant cela, seulement des reproductions pâles et glacées.

J’ai découvert un frère. Pas un combat, mais une harmonie née du chaos. Une magnifique harmonie disloquée. La peinture était liquéfiée, coagulée. Dure et molle à la fois. Les rouges et les turquoises entraient en collision. Les blancs craquelés comme du plâtre sec.

Comment expliquer une émotion sans la trahir ? J’essaie. J’essaie toujours. Je cherche par les mots à atteindre ce qui ne se touche qu’en silence.

Mais puisque j’ai commencé, continuons.

Alors que l’avant-garde parisienne s’éparpillait dans toutes les directions — comme toujours —, Soutine s’enfermait. Il peignait. Il ne voulait pas être dérangé.

Marc Chagall, peut-être, était pareil. Peut-être Soutine espérait-il hériter de l’atelier de Chagall. Absorber la solitude, l’obstination que Chagall avait laissées derrière lui.

Il ne l’a pas fait. Il a raté le moment.

Alors, il s’est tourné vers Rembrandt. Il a peint de la viande. De la chair. Mais plus que de la chair.

Il faut traverser le dégoût pour atteindre la grâce. Les quartiers de bœuf de Soutine l’exigent. J’imagine que, si j’avais eu la chance de le rencontrer, l’odeur m’aurait d’abord repoussé. Et pourtant, à travers cette odeur, peut-être aurais-je atteint le parfum du miracle.

La peinture de Soutine me rappelle quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont j’ai déjà parlé. Chomo. Un autre reclus. Plus récent. Tout aussi mort.

Ils ne négocient pas.

Ils sont repliés. Affamés. Indifférents. En contact direct avec le feu, la grâce, la vie, la terreur, le sublime. Leur seul axe est celui qui les relie à ces forces. Ils ont abandonné l’illusion des liens sociaux.

Oui, quelque chose en eux me parle. Je t’écris cela rapidement ce matin. Parce qu’au fond, comme je l’ai dit, penser et écrire ne servent peut-être pas à grand-chose. Mieux vaut peindre.


Everything could stem, at first glance, from a mythical scene, a bloody origin that, no matter how much paint one might apply to try to both recover it and forget it, will never escape either the painter or the stunned viewer contemplating the work of Chaïm Soutine.

Soutine recalls a childhood memory in a letter : the knife’s blade slicing expertly, cleanly, across the throat of a goose. He still sees the blood spurting out in thick, ruby-red jets. And it could stop there. Already, everything is there.

But no. Because in the middle of the carnage, the painter’s eye is caught by something else : the joy he sees on the butcher’s face. In the act. Joy, horror, violence, and awe. That’s what you get in every Soutine painting.

There’s that little book by Elie Faure about Soutine, which I should reread, or shamelessly pillage, because I remember nothing comparable being written about this Jewish-Lithuanian immigrant who came to Paris and who, for a while, found himself under the wing of that great man, the humanist doctor.

Only for a while. The painter’s affection for Faure’s daughter put an end to their relationship. Suddenly.

I could have started at the beginning, with Soutine’s birth in Vilna. A calm, chronological approach. But I needed a trigger. A reason to write now. That reason is a vivid memory from 2013, a visit to the Musée de l’Orangerie in Paris. The exhibition was titled "Soutine, the Order of Chaos." It was the first time I saw his paintings in person. Before that, only pale, glossy reproductions.

I discovered a brother. Not a battle, but a harmony made from chaos. A magnificent, disjointed harmony. The paint was liquefied, coagulated. Hard and soft at once. Reds and turquoises colliding. Whites cracked like dried plaster.

How do you explain an emotion without betraying it ? I try. I do this all the time. I use words to reach what can only be touched in silence.

But since I’ve begun, let’s keep going.

When the Parisian avant-garde was tearing off in every direction, as it always does, Soutine locked himself away. He painted. He didn’t want to be disturbed.

Marc Chagall might have been the same. Maybe Soutine hoped to inherit Chagall’s studio. To absorb the solitude and stubbornness Chagall had left behind.

He didn’t. He missed the moment.

So he turned to Rembrandt. He painted meat. Flesh. But more than flesh.

You have to pass through disgust to reach grace. Soutine’s slabs of beef demand it. I imagine if I’d had the chance to meet him, the smell alone would have repelled me. And yet, through that smell, maybe I would have reached the miracle’s scent.

Soutine’s painting reminds me of someone else. Someone I’ve written about before. Chomo. Another recluse. More recent. Just as dead.

They don’t negotiate.

They are curled inward. Starving. Unconcerned. In direct contact with fire, grace, life, terror, the sublime. Their only axis is the one that connects them to these forces. They have discarded illusions of social ties.

Yes, something in them speaks to me. I write it to you quickly this morning. Because, in the end, as I said, thinking and writing may not be very useful. Better to paint.

04 décembre 2019

Publié le 4 décembre 2019

Devant Les Demoiselles d’Avignon, il y a une facilité : déconsidérer. Et puis une minorité qui s’enthousiasme, parfois avec la même mauvaise foi, mais dans l’autre sens.

Lévi-Strauss — qui n’était pas critique d’art — s’est demandé ce que Picasso apportait au monde, et il en tirait quelque chose comme : une peinture qui tourne sur elle-même. Je cite de mémoire, et je me permets d’y mettre ma petite pointe.

Picasso n’est pas “abordable”. On se sert de son nom pour désigner le peintre qui fait “n’importe quoi”. Or le problème est ailleurs : Picasso ne parle pas au grand public. Il parle à ses pairs — et ses pairs, ce sont souvent des morts.

Il revisite la grande peinture, notamment française, et il cherche du code, pas du décor. Chez les frères Le Nain, par exemple, ce qui l’intéresse, ce sont les maladresses : non pas comme des défauts, mais comme des ouvertures. Il les traque, il les apprend, il les remonte autrement.

Il fera la même chose avec Le Greco, avec Velázquez, et surtout avec Les Ménines : ce tableau inépuisable où le regard se retourne sur lui-même, où le spectateur finit par devenir une pièce du mécanisme. Reprendre Les Ménines, pour Picasso, c’est poursuivre la mise en abyme, pousser l’ambiguïté jusqu’à l’os.

On a souvent décrit Picasso comme un ogre : il dévore ce qu’il aime. Les objets, les femmes, les maîtres, les cultures. Tout passe par la bouche, tout doit être mâché, digéré, transformé — et re-jeté sous forme de peinture.

Ce qui l’anime, ce n’est pas seulement l’ambition, ni le désir d’“une carrière”. C’est une urgence plus obscure : un mouvement obsédant qu’il essaie d’arrêter toile après toile. C’est là que la répétition devient centrale : refaire, reprendre, varier, relancer. Non pas pour “faire mieux”, mais pour tenir la bête en respect.

Peindre, chez lui, ressemble à une corrida silencieuse. L’urgence est le taureau. La toile est l’arène. Et chaque reprise, chaque variante, est une passe : parfois superbe, parfois inutile, mais toujours nécessaire pour ne pas être dévoré.

Chronos et Picasso ne se confondent pas. Picasso court parce qu’il veut comprendre le temps — et parce qu’il sait, au fond, qu’il finira comme tout le monde. La seule question, c’est ce qu’il aura réussi à retenir, un instant, sur le mur.

Entre opacité et transparence naissent sans cesse des interactions : une recherche de profondeur, et, en face, une obstination à rester en surface. C’est une affaire d’extérieur, bien sûr — une affaire d’image — mais c’est surtout une manière d’approcher ce qui se passe dedans, sans trop s’y brûler.

Je me pose cette question par la peinture, mais elle déborde largement du tableau.

Au XVIIIe siècle, il y avait une règle de tenue : parler légèrement des choses graves, et sérieusement des choses légères. Ce n’était pas seulement une politesse ; c’était une discipline de nuance. Cette nuance valait pour la conversation comme pour la peinture.

Après Louis XIV, la situation devient incertaine, et le rococo apparaît : un art qui travestit la gravité en légèreté, qui déplace l’œil, l’entraîne vers des arrière-plans, des lointains, des ornements — comme si l’illusion était la seule façon de ne pas regarder la réalité en face. Le décor devient un sujet, le mot d’esprit devient une fin.

Nous faisons quelque chose de très proche aujourd’hui, mais avec d’autres outils. Les réseaux sociaux ont rendu la vie de chacun transparente — trop transparente. Et cette transparence, devenue excessive, finit par produire l’effet inverse : le désir d’opacité, d’intimité, de petits clans fermés dont on contrôle soigneusement la porosité.

Il y aurait beaucoup à creuser dans ce va-et-vient, parce qu’il raconte notre rapport aux autres, au monde — et, surtout, la manière dont on évite de parler de soi, de cette profondeur qu’on approche parfois, et qui fait peur.

À l’atelier, nous travaillons justement cette tension : ce qui laisse passer, ce qui retient, ce qui montre, ce qui protège. Et c’est à partir de là que ce “paysage” a été fabriqué.

Impeccabilité

Publié le 15 septembre 2019

En tant que peintre, il suit une voie qu’il n’a pas choisie. L’envie de créer ne lui a apporté que des problèmes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l’éloigne de ce que l’on appelle « la vie active ». Il met des années à se débarrasser de cette culpabilité. C’est sans doute l’un de ses travaux les plus importants.
Il ne sait pas exactement ce qui l’aide à assumer ce rôle. C’est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au début, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie mène à l’assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne mène directement à soi. Pourtant, c’est l’ensemble de ces détours qui lui révèle qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-même. » Il apprend à l’écouter. Il l’appelle l’impeccabilité. L’impeccabilité n’est pas la perfection. Elle ne s’atteint pas. On ne peut que vouloir l’être. Pour cela, deux outils : devenir excellent et maîtriser son art. Il faut cesser d’obéir. Non seulement aux autres, mais aussi à nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se déleste, plus la petite voix devient claire. Elle n’a pas besoin d’emphase. « La petite voix », cela suffit. Être impeccable, ce n’est pas vivre en ermite. C’est être pleinement engagé. On peut vivre dans la société en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend à le savourer. Il enseigne l’humilité. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l’on tente de s’éloigner, la vie nous ramène. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but à tout cela.

1 septembre 2019

Publié le 1er septembre 2019

Cette année j’ai déjà participé à une trentaine d’expositions allant du simple café perdu au fin fond du Vivarais à des lieux magnifiques comme le Prieuré de Salaise-sur-Sanne, ou encore la Maison du Chatelet à Bourg l’Argental dans la Loire. Le bilan de tout cela est positif pour ce qui est de l’effort de notoriété.
Ajouté à cela un effort pour partager mon travail sur les réseaux, mais toujours avec cette gène atavique de devoir "se mettre en avant" et presque aussitôt la blessure d’orgueil si pas assez de retours.
Ce qui me fait réfléchir à ce que je veux vraiment. Peindre, gagner ma vie ou faire le clown ?
Donc pour l’année qui vient moins d’expositions, se tenir au planning déjà établi avec quelques expos clefs placées.Mais ne pas en chercher de nouvelles afin de me concentrer plus sur ce que je veux vraiment.

13 juillet 2019

Publié le 13 juillet 2019

le texte ne parle pas des héros en général, mais du fait que, sans ces figures de fiction, tu n’aurais peut-être pas trouvé la force de te fabriquer une histoire à toi. Tes tableaux sont la version transposée, digérée, de ces panoplies d’enfance.

Les Grecs anciens avaient inventé des héros de tragédie pour traverser en public les passions humaines ; moi, j’ai eu Zorro sur une télé noir et blanc. Quand il est arrivé dans le poste, c’était très simple de m’identifier à ce cavalier masqué qui maniait l’épée comme je brandissais mon bâton. J’allais chez le père Renard, au garage d’à côté, récupérer des chambres à air de camion. Avec les ciseaux de couture de ma mère, au grand scandale domestique, je découpais là-dedans des holsters pour mes revolvers imaginaires. L’“homme à la carabine”, c’était un bout de bois arraché à la tonnelle, retaillé à la va-vite. Puis sont venues les frondes, les héros de la Bible, Thierry la Fronde, les croisés de Thibaud des Croisades, et le manche de pioche, enfin assez lourd pour faire une épée crédible. Ce besoin de m’inventer des armes, des panoplies, des scénarios, me permettait de me fabriquer un univers parallèle où déverser ma rage d’enfant maltraité, mon désespoir, très loin de toute idée de “citoyenneté”. La figure du héros servait de bouchon sur le trou béant ouvert par l’incompréhension et l’absurdité des adultes que j’avais sous les yeux. Devenir le héros de ma propre histoire, sans le savoir, c’était déjà admettre qu’il pouvait y avoir une histoire, que je n’étais pas condamné à subir la leur. C’était un premier geste créatif, poussé par la nécessité. En grandissant, les héros se sont faits plus discrets. Ils ont vieilli avec moi, se sont usés, puis ont disparu sans que je m’en rende compte : l’ingratitude de la jeunesse fait ce travail-là très bien. Je les croyais réduits en poussière au fond du placard quand, en regardant un jour ma vie de peintre avec un peu de recul, j’ai eu une intuition brutale et comique. Dans le fond, chaque tableau est un épisode de Zorro, de Thierry la Fronde, de Bonanza ou de Mission Impossible. Je suis le fils prodigue de tous ces pères de carton-pâte, un descendant direct de leurs combats en studio. J’ai éclaté de rire en m’en rendant compte. Le rire est venu d’abord, comme après un effondrement, puis le sourire, plus tard, avec la gratitude et l’acceptation de ce que je suis. À bien y penser, je pourrais dédier une bonne partie de mes premiers tableaux à ces héros de pacotille : c’est grâce à eux, autant qu’à moi-même, que j’ai tenu la route sans me fracasser pour de bon.

compression

Enfant, je bricolais des holsters dans des chambres à air et des carabines dans des bouts de bois pour rejouer Zorro, Thierry la Fronde, les croisés vus à la télé. Ces héros me servaient de refuge contre la violence et l’absurdité des adultes ; ils me donnaient au moins une histoire dont j’étais le centre. En grandissant, je les ai oubliés, persuadé de les avoir laissés derrière moi. C’est en regardant mes tableaux que je les ai revus : chaque toile comme un épisode de série, un combat rejoué autrement. J’ai ri en me découvrant fils de ces pères de fiction, puis j’ai fini par leur dire merci : sans eux, je ne suis pas sûr que je serais arrivé vivant jusqu’à la peinture.

illustration La jeunesse d’Hercule huile sur toile pb 2019

21 avril 2019

Publié le 21 avril 2019

Il y a d’abord cette cruauté d’enfant qu’on rebaptise plus tard “innocence” pour pouvoir la regretter en paix. Elle m’a longtemps accompagné au bord de l’eau : retirer l’hameçon planté dans la gueule d’un poisson, le voir se débattre une seconde de trop ; couper un ver en deux pour qu’il tienne mieux sur la ligne ; piquer des bonbons à l’épicière sans la moindre honte. C’était le jeu, le monde allait de soi. Un jour, sous la pression de la morale, tout cela a changé de nom : ce n’était plus de la curiosité ou de la gourmandise, c’était du “péché”. On m’a expliqué le bien, le mal, la faute, la culpabilité. J’ai mis du temps à comprendre ce qui se passait : on me demandait de devenir poisson après avoir été pêcheur. Se retrouver de l’autre côté de l’hameçon ne s’est pas fait sans casse, ça m’a arraché la gueule et fendu en deux. La peinture est arrivée dans ce moment-là. Je ne dirai pas qu’elle m’a “sauvé”, mais elle m’a offert un terrain où je pouvais revenir au mélange sans demander la permission à personne. Sur la toile, tout commence par un chaos : taches, lignes incertaines, masses vaguement posées. C’est un état où rien n’est encore décidé, où tout se mélange naturellement. C’est sale, brouillon, indéterminé, et c’est précisément là que ça m’intéresse. Ensuite seulement vient le besoin de sens, la nécessité d’organiser ce foutoir : rejeter ici, accentuer là, donner du poids à telle couleur plutôt qu’à telle autre, faire monter une forme en laissant les autres se dissoudre. Je range, j’ordonne, mais à partir d’un désordre que je ne prétends pas dominer. Dans la tête, c’est pareil : plusieurs niveaux de conscience s’allument et s’éteignent comme des étages dans un entrepôt, et je passe mon temps à monter et descendre les escaliers pour recompter, vérifier l’inventaire, comme un magasinier obsédé qui a peur d’avoir perdu quelque chose. C’est là que le hasard se mêle au travail : rencontres, coïncidences, signaux qu’on croit adresser à soi. On appelle ça “synchronicités” maintenant, comme si le mot suffisait à domestiquer ce qui nous échappe. J’ai appris à me méfier de cette tentation de transformer le hasard en système, en martingale secrète. Chaque fois que je veux “maîtriser” ce qui arrive, ça se retourne. Ce que j’appelle lâcher prise n’a rien d’une retraite confortable : c’est plutôt une chute contrôlée, un moment où les choses s’effondrent, où les justifications ne tiennent plus, et où il faut accepter qu’une part de soi soit recadrée, remise en place, parfois brutalement. Dans cette histoire, la peinture et la pêche ont toujours été liées au désir. Attraper un poisson, viser une forme sur la toile, chercher un corps : c’est la même main qui se tend. On veut saisir un sein, une chatte, un cul, une bite, comme on veut saisir un reflet dans l’eau ou une tache qui nous échappe sur le tableau. On avance avec une conscience embarrassée de boue, chargée de couches, de dépôts, de tout ce que le petit moi a laissé dans le lit au fil des années. Il a fallu, à un moment, tirer sur d’autres fils : dégonfler la figure de la mère idéale ou maudite, abattre l’ogre paternel qu’on promène dans sa tête, brûler ces deux silhouettes et enterrer leurs cendres pour voir un peu mieux ce qui reste. On ne sort pas pour autant de la solitude, et on n’en finit pas non plus avec la masturbation, qu’elle soit sexuelle ou conceptuelle : on peut très bien se caresser avec des idées, tourner en rond dans des théories pour éviter de sentir un désir vivant. Ce sont des désirs de façade, des poupées russes qu’il faut ouvrir une à une jusqu’à tomber sur le noyau. Au bout du compte, quand on a renoncé à accuser les poissons, les parents, les hasards, la société et tout le reste, il ne reste plus qu’un dernier adversaire à abattre : soi-même, dans ce qu’on a de pourri, de mensonger, de fabriqué. C’est seulement là, dans ce tri final, qu’on commence à distinguer ce qui, en nous, finit toujours par se décomposer, et ce qui, pour une raison obscure, ne pourrit pas.

16 mars 2019_2

Publié le 16 mars 2019

Je pense à Pollock par le bas, par la poussière. La toile est au sol, grande, offerte, et lui tourne autour comme autour d’un feu. Il ne la domine pas : il l’habite. Les semelles crissent, le genou plie, le buste repart, il s’approche, recule, revient sur ses pas avec la précision d’un corps qui cherche son propre tempo. Le bâton trempe et ressort, chargé ; la peinture file en gouttes lourdes, puis en fines éclaboussures, avec cette odeur d’huile âcre, ce petit bruit mou quand ça touche, cette seconde où le fil tient dans l’air avant de rompre. Ce qu’il fait n’est pas un dessin, c’est un lâcher de gravité réglé à la main, une pluie tenue par le rythme. La tête ne commande pas, elle suit. Dans l’atelier, les grilles savantes ne valent rien : tout est là, dans l’accord immédiat entre le mouvement et la matière. Et quand on regarde longtemps, on comprend que la toile garde la trace d’une loi plus ancienne que nos intentions : une répétition sans centre, comme une ramure qui se divise et se redivise, obstinée, jusqu’à saturer l’espace. Ce n’est pas une image de la nature, c’est la nature remise en circuit par un corps humain qui, le temps de peindre, s’est retiré. Devant ces entrelacs, on cherche d’abord de quoi s’accrocher — une forme, un chemin, une figure — puis ça cède. Il ne reste que cette surface devenue vivante, sans récit, sans visage, et le silence qu’elle impose : un silence qui ne te laisse pas dehors, mais te prend, te garde, et t’oblige à regarder encore.

illustration A visitor to MoMA views Jackson Pollock’s painting « One (Number 31, 1950) » (CHIP EAST/Reuters/Corbis)

8 décembre 2018

Publié le 8 décembre 2018

Il y a une différence majeure entre croire être parvenu à un niveau et y être véritablement. La peinture n’échappe pas à cette règle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas à un stade d’évolution, il faut accéder aux niveaux supérieurs, sans quoi le recul nécessaire fait défaut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s’agit d’apprécier honnêtement, à la lumière des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l’ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage.

Ces derniers jours, j’ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l’important, le nécessaire qui fait levier, et l’inutile qui entrave. Dans des cartons, j’ai retrouvé une kyrielle de travaux de jeunesse. En découvrant cette feuille de journal tachée de couleurs, j’ai hésité avant de la froisser. Prenons le temps d’en reparler, comme à un ami.

Je peignais alors dans des chambres de hasard, réchauffée seulement par la flamme de mes illusions. J’étais au niveau le plus bas de l’échelle - celui où l’on se préoccupe encore de l’environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir à mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussiéreux. La tâche était si facile que je disposais de longues périodes pour lire - Plutarque et bien d’autres, de façon aussi désordonnée que désespérée.

Pour lutter contre l’ennui, j’avais élevé la rêverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir où je serais inéluctablement peintre, écrivain, riche... Sans organisation, sans plan d’action, je n’étais pas libre - je m’enchaînais davantage.

Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd’hui. L’important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir à la racine de soi et considérer le mental comme un périphérique - souris, clavier, écran, mais pas l’ordinateur. Changer, c’est lâcher prise, terme aujourd’hui galvaudé au point que je n’y ajouterai rien.

Hier encore, j’évoquais Ulysse attaché à son mât. Enfant, j’admirais son ingéniosité face aux Dieux. Aujourd’hui, je n’y vois qu’un homme prisonnier d’une fausse idée de la liberté.

Alors, cette feuille froissée et tachée que personne n’a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ?

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