L’archiviste n’était pas un véritable archiviste, il n’avait pas de formation particulière, pas de diplome à présenter, mais il accepta le salaire dérisoire que le directeur financier lui proposa et qui, sans doute, avait fait fuir tous les autres. Puis on le conduisit dans ce qu’il avait été coutume de nommer la salle des archives. C’était une pièce aveugle éclairée chichement par des rangées de néons, et si l’on voulait faire un dessin on dessinerait un grand rectangle dans lequel on découperait un carré. Les étagères d’archives commenceraient à s’aligner les unes derrière les autres à partir de l’intersection du carré et du rectangle restant car il en est ainsi depuis l’invention de cette forme géométrique, elle contient toujours un carré, et l’on peut prendre le problème dans tous les sens la solution est inexorablement toujours la même.
C’est durant cette période de sa vie que l’archiviste fréquenta des gens plus cultivés que lui, jusqu’alors il n’avait gère fréquenté que des gens simples, des ouvriers pour la plupart ou des employés de bureau fantômatiques. Mais là dans le Cabinet d’Architectes, ce n’était pas la même population. Et puis nous étions à Paris, il y a des musées, des théâtres, des bibliothèques, et même de nombreuses salles de cinéma. En un mot tout est fait ici, à Paris pour que chacun s’imagine que l’accès à la culture est facile et qu’il s’y rue tout son saoul. Ceci afin d’avoir quelque chose à dire durant les repas entre amis ou entre collègues. Ce qui changea aussi passablement l’existence de l’archiviste qui avait coutume de prendre ses repas à la table familiale généralement en silence, si ce n’est le bruit de fond d’une télévision que l’on allumait le matin et qu’on éteignait vers les 22 h le soir. Mais il ne parla pas plus il écouta. Il écouta le vide des propos autour des tables où l’on déjeunait où l’on soupait entre collègues ou entre amis. Le vide qu’il entendait malgré lui creusait en lui quelque chose qu’il n’arrivait pas à nommer. C’était un lent et long malaise qui s’installait progressivement et qui lui fit prendre cette décision étrange : dès lors et pour un temps je m’abstiendrai de participer à des repas quelqu’ils soient. Je déjeunerai seul, souperai seul. Puis il eut envie d’avoir un chat et presque aussitôt l’occasion se présenta à lui. C’était la plus grincheuse de la portée, elle ne minaudait pas contrairement à ses frères et soeurs. Il l’emporta dans une boite à chaussure et en revenant chez lui acheta des sachets de paté de la marque Felix, morceaux en gelée.