30.Puzzle
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J’ai du m’assoupir un instant. C’est la vision d’un puzzle dont j’aperçois les pièces éparpillées sur une immense table de monastère qui me laisse perplexe. Durant quelques secondes je me demande si je suis en train de rêver ou si cette scène est réelle. Sur le sol en pierres polies, usées, j’avise ce qui doit être la boite, l’emballage. Celui-ci est défoncé comme si quelqu’un l’avait soigneusement piétiné.
La couverture de la boite est illisible.
Ainsi je me retrouve face à des fragments et il parait évident qu’il sera difficile de les assembler étant donné que je ne dispose pas de l’image originale.
A quoi pourrais-je me fier pour reconstruire ce puzzle ? La première chose qui me vient à l’esprit c’est le temps que je devrais y passer. Une angoisse due à ce que j’imagine aussitôt être cette perte de temps. Et qui monte plus intensément dès que je comprends que la seule chose que j’ai à effectuer ici et maintenant, est de reconstruire ce puzzle.
Comme s’il s’agissait d’une épreuve obligée, de l’espèce de celles dont on ne peut faire l’économie sous peine d’en subir aussitôt la conséquence sous la forme d’une sanction.
Et pourquoi donc ? Pourquoi voudrais-je assembler ce puzzle ? Après tout ce n’est qu’un jeu que le rêve me propose, accompagné d’une facétie dont je ne distingue pas la raison véritable.
Pourquoi irais-je encore me fourrer dans une histoire impossible à terminer si ce n’est toujours cette peur de ce qui adviendrait, ce qui pourrait advenir, si je n’obtempère pas.
N’est-ce pas le fantasme obsédant de vouloir à tout prix achever quelque chose qui vient me poursuivre jusqu’au plus profond du rêve ?
Achever quelque chose pour en finir avec la peur d’être sanctionné. Principalement je m’en souviens maintenant par mon père.
Je vais t’apprendre à terminer ce que tu as commencé me dit-il en dégrafant sa ceinture juste avant de laisser libre cours à la violence de son amour pour moi. Je sais dans ces cas là, je me raccroche de toutes mes forces à cet espoir, qu’il ne veut que mon bien évidemment.
Mon regard se détache de la table et des pièces du jeu dont la plupart sont retournées.
J’aperçois peu à peu une immense salle, probablement celle d’un château. Une cheminée imposante où rougeoient les restes d’un tronc d’arbre. La seule lueur qui éclaire la salle semble provenir de ce feu. Au fur et à mesure que les flammes s’élèvent comment nourries par mon attention, celles-ci projettent de grandes ombres mouvantes à la surface des murs.
Et ces ombres peu à peu prennent des formes humanoïdes.
L’une après l’autre elles se détachent des parois pour s’avancer.
Bientôt elles forment un large cercle tout autour de la vaste table, du puzzle, et moi.
Leur présence parait renforcer plus encore cette notion d’insistance que je pressens depuis un moment déjà.
Le fait d’avoir une décision à prendre qui peut totalement bouleverser le cours de ma vie.
Soit je me mets au boulot servilement et je commence à trier les pièces pour les rassembler par catégories, par famille.
Soit je botte en touche, je fais un bras d’honneur à l’assistance et je décide de me réveiller.
Mais à peine ai-je formulé cette seconde option que les ombres se rapprochent plus encore, je les distingue de mieux en mieux . A première vue je pourrais penser à des religieux car elles sont vêtues comme tels. J’ai peine à voir leurs visages sur lesquels une capuche est rabattue.
Pourtant je n’éprouve aucune crainte. J’ai la sensation que toutes ces ombres me sont familières.
Au delà du cercle qu’elles forment désormais mon regard se porte à nouveau sur les murs. Les flammes de la cheminée semblent s’être encore intensifiées et les ombres qu’elles produisent surgissent de plus en plus. Une sorte d’écoulement, un suintement d’ombres.
Désormais c’est toute une foule qui a surgit des murs de la vaste salle.
Et toutes ces ombres entretiennent un lien intime avec qui je suis.
Elles sont toutes une partie de cette histoire, de qui je suis.
Elles sont issues de milles souvenirs qui me reviennent presque instantanément et qui naviguent ici sur Terre dans une fresque regroupant plusieurs époques.
Toutes ces ombres sont moi à un moment donné de mon passage, de mon incarnation dans une époque donnée ici sur Terre et tout à coup je découvre aussi que j’ai vécu dans d’autres mondes sous différents soleils, d’autres dimensions, d’autres univers.
Mais moi qui suis-je donc alors ? Qui est vraiment celui qui se souvient de toutes ces existences passées ?
Le lien est alors évident entre ce puzzle que je ne sais comment construire et toutes ces ombres qui m’entourent à présent.
Est-ce que j’ai le temps de m’attarder à vouloir achever quoique ce soit ? L’instant présent contient tout l’espace-temps, tous les espace-temps plus précisément et je saisis intuitivement que cet espace temps dans lequel je suis est semblable à un tout petit élément d’une suite infinie. Je ne suis là qu’en tant de nombre précisément dans une suite de nombres. Et tous ces nombres s’élancent sans relâche vers l’infini.
Réciprocité d’une relation mathématique. Car l’infini ne peut exister si l’on retranche un seul de tous ces nombres.
Chaque nombre dépend de tous les autres inéluctablement comme je dépends des ombres massées tout autour de moi.
Chaque existence achevée dans le temps me propulse vers une conscience plus aigue du but, vers cette fatalité que rien ne peut dans cette course effrénée se terminer. Que chaque existence qui se termine participe de la nécessité de l’infini, de la conscience comme de l’amour.
Il faut des milliers de fins pour se constituer en tant qu’humain une vague idée de l’éternité.
Et enfin effectuer ce saut quantique : en finir avec l’idée que l’éternité est un but, une fin que l’on puisse imaginer.
En finir avec l’obsession de vouloir achever quoique ce soit.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}