4.Tu ne jugeras pas
Et charité bien ordonnée commence par soi-même. C’est à dire que ce jugement qui te conduit sans relâche dans les plus basses vibrations de l’énergie, tu apprendras à t’en défaire, à t’en libérer.
Tache ardue. Surtout si on considère que l’on est perpétuellement installé sur le banc des accusés. Dans un procès sans appel, avec le pressentiment que les choses finiront mal.
Que reste t’il alors pour s’orienter ?
La méditation et l’observation furent des clefs. Et aussi cette sensation perpétuelle de ne pas appartenir à ce monde dès mon plus jeune âge. Malheureusement le jugement m’attrapa très tôt, il m’extirpa de l’enfance en me scindant en deux parties distinctes.
Probablement pour que je parvienne à comprendre sa raison d’être, ses tenants et aboutissants. C’est à dire la séparation, l’oubli, l’aveuglement.
Il faut juste se souvenir. Se souvenir que rien ne surgit par hasard. Que tout est toujours là exactement au bon moment.
Ainsi cette volonté soudaine de rejoindre la classe de catéchisme du petit village où j’habitais me tenaillait depuis des semaines lorsque soudain je décidais de m’en ouvrir à ma mère.
Mon père ne voulait pas que j’aille au catéchisme, toute idée d’église lui hérissait le poil sans que je ne comprenne pourquoi. Peut-être voulait-il que la responsabilité, le choix ne vienne que de moi-même. Peut-être ne voulait-t ’il pas m’imposer une religion ainsi qu’il est d’usage dans notre campagne.
C’est à dire reproduire par habitude, par tradition, et peut-être aussi dans un soucis de conformité. Il avait dit que je pourrai bien choisir la religion qui me plaira le jour où j’aurai suffisamment de jugeotte pour le faire. Ce qui projetait mon désir, ou ma curiosité de la chose religieuse dans une temporalité qui m’obligeait à patienter.
Or la patience en tant qu’enfant n’a jamais été mon fort. La patience était ce mot que l’on interposait toujours entre l’envie et la satisfaction de l’envie. La patience créait le temps. Et je trouvais toujours le temps beaucoup trop long en tout.
Et bien sur dans cette sensation d’ennui que le temps interminable me procurait pour atteindre n’importe quel but, j’avais recours à cette nouvelle propriété de mon esprit qui était le jugement.
Je crois que je me suis mis à juger à peu près tout et n’importe quoi, n’importe qui par pur ennui.
Mais à l’époque je ne me rendais pas compte à quel point ce jugement s’insinuait en moi comme un poison et dévastait mon cœur.
Le jugement était le petit morceau de glace que je me fourrais tout seul dans l’œil pour ne plus percevoir qu’un monde désenchanté.
Et probablement que le but caché de ce mouvement était de rencontrer la reine des Neiges, ce personnage dont j’avais fait connaissance dans ces livres de contes que je ne cessais de dévorer.
Je suis passé ainsi en un claquement de doigt de l’unité à la séparation en laissant pénétrer en moi la notion de jugement pour tromper mon ennui, parce que j’ignorais tout des raisons de la patience et du désir.
Le monde s’obscurcit aussitôt.
Je revois défiler toutes ces scènes dans une grisaille quasi permanente. Même les moments que je considérais jadis comme des pauses, des récréations, des moments où l’on peut reprendre sa respiration après un long moment en apnée, me semble teintés de gris aujourd’hui.
C’est à dire que l’aura de beauté, de poésie, dont je me suis servi pour les conserver durant de nombreuses années s’est évanouie. Elle ne semble plus avoir de raison d’être puisqu’elle fut créé en miroir de ce sentiment d’ennui, de désolation qui s’évanouit désormais.
Je me dis que ça ne doit pas être facile d’écrire simplement les choses sans jugement. Que probablement ça n’intéressera pas beaucoup de personnes.
Si je juge utile de publier ces textes c’est avant tout pour moi, pour réparer un malentendu. Le fait d’appuyer ensuite sur le bouton publier n’est peut-être pas grand chose d’autre qu’un symbole lorsque je considère la naïveté enfantine qui ne m’a jamais quitté tout à fait.
Comme je le dis à mes élèves, je ne cherche pas à réaliser un chef d’œuvre littéraire, je me concentre plutôt sur le fait de parvenir à effectuer un bon exercice.
Et puis pourquoi avoir encore besoin de justifier les choses comme pour s’excuser de faire quoi que ce soit ? Sans doute parce que cette part de moi qui est à l’œuvre chaque jour et qui écrit ces lignes ne connait pas de frontière, ni de séparation. Elle s’aventure sur tous les plans de l’être et récupère le ton de chacun d’eux, le restitue sans jugement.
Sans jugement véritable malgré tout ce que moi je peux en juger. C’est aussi une sorte de foi dans le pouvoir des mots que j’ai depuis toujours. Pas tellement les mots que l’on prononce mais ceux qui restent noirs sur blanc dans les livres.
C’est mon aspect maya dont il faudra bien que je parle un jour ou l’autre, et de cette part intime dont progressivement je me souviens grâce à l’écriture, grâce aux mots.
La fonction de scribe revient de façon lancinante tout au long de ma vie. Et mon intérêt pour les rébus, les charades, me fait désormais me souvenir avec nostalgie d’une dextérité que j’ai perdue ou que je considère incomplète, que je juge incomplète.
Que je juge incomplète comme pour mieux m’interdire de m’en souvenir réellement.
L’art de manier les glyphes. De les assembler avec la plus haute élégance dans des dédicaces éblouissantes.
Mais je n’ai guère que des flashs, je me revois assis sur ce que je crois être un lit luxueux entouré de serviteurs et d’amis qui tous sont suspendus dans l’attente de ma prochaine combinaison de signes et de sons.
Et si le jugement vient interrompre tout à coup le flot de ces images ce n’est certainement pas du au hasard pas plus qu’à la peur au désir ni à l’ennui.
C’est seulement pour éviter de pénétrer trop avant dans une digression dont je suis trop souvent coutumier.
Lorsque je me souviens de toutes ces années emprisonné dans le jugement je peux aussi bien penser à Merlin l’enchanteur emprisonné par celle qu’il aime la belle Viviane à l’intérieur d’un rocher.
Viviane n’est pas à maudire ni plus qu’à révérer. C’est là justement que se loge toute la beauté que je découvre peu à peu à mon histoire.
Doucement les voiles frissonnent sur la peau de la nuit nue.
Et cependant une image surgit lumineuse. C’est celle où je suis en train de jouer avec la boue dans un jardin, je crée des villes au bord de fleuves et j’imagine la vie de leurs habitants .
Lorsque soudain j’aperçois un fil de vierge qui traverse le jour ou la nuit. Un fil de Vierge léger et lumineux
Alors j’interromps tout, je ne peux faire autrement que de le suivre et qu’importe où il me mène, qu’importe tout ce que je dois laisser à nouveau derrière moi pour le suivre.
A ce moment précis où je me lève et le suis j’ai perdu le jugement comme on le dit aussi des fous.
Encre et chocolat les doux plaisirs d’une ancienne vie de scribe.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}