Faire l’intéressant

— Arrête donc de vouloir faire ton intéressant ! Dit grand-mère. Elle coud la tête penchée sur son ouvrage et mon babillage incessant l’énerve.

Ma mère est en face d’elle, assise elle aussi. Elle a allumée une Benson & Hedges et sirote son café en déposant sur le rebord de la tasse des traces de rouge à lèvre.

Un peu plus loin dans l’autre pièce Vania est assis à la table de la salle à manger en train de préparer son tiercé. Il me fait un signe de la main comme pour me dire viens, soyons entre hommes, laissons les femmes ensemble. Je m’avance vers lui et il replie le journal en me demandant :

—Ti govorit po russki ? Tu parles russe ?

Ce à quoi je réponds invariablement ia nietchevo ni panimaiou, je ne comprends rien

Alors il attrape l’assimil, me fait signe de m’asseoir à coté de lui et nous commençons une leçon.

ia lioubliou tchai ia nié lioubliou cacao. j’aime le thé, je n’aime pas le chocolat.

J’adore parler russe. On dirait que cela me permet de rejoindre quelque chose ou quelqu’un. Personne vraiment dans cet appartement de La Varenne non. Quelque chose de plus lointain. Je vois des steppes, de la taïga, des chevaux qui galopent avec des cavaliers aux yeux légèrement bridés comme les miens.

La leçon de russe ne dure jamais bien longtemps. Vania ne tient pas en place dans le petit appartement.

— Je sors il dit, je vais faire tiercé. Vania mange certains mots tout comme grand-mère. Par exemple elle ne dit pas "je vous emmerde" elle dit "je vous merde" et ça me fait rire.

Dehors il fait beau, je partirais bien avec Vania. Avec un peu de chance il m’emmènerait avec lui au bord de la Marne, On prendrait les cannes à pèche et on irait pécher tout près du grand saule, près du ponton et des barques.

Mais Vania ne me propose pas. Alors je lui demande.

— Tu vas pécher Vania ? on y va ensemble ?

— Non juste tiercé aujourd’hui et rendez-vous, tu peux pas venir avec moi.

— Il va encore retrouver sa blonde, dit alors la grand-mère avec sa voix grave et éraillée de fumeuse. Elle, ce sont des disques bleues qu’elle allume les unes après les autres et qu’elle laisse se consumer dans le cendrier lorsqu’elle coud.

Il va retrouver sa blonde elle s’adresse à ma mère sans doute, à je ne sais qui, mais surement pas à moi. Mais elle le dit comme si je n’existais pas, comme si de toutes façons ça me passait au-dessus.

d’ailleurs grand-mère dit souvent à maman :

— Pourquoi tu énerves, laisse, il est trop petit, il ne peut pas comprendre, il ne sait rien.

Vania ne dit rien, il prend sa casquette accrochée au porte manteau et referme la porte d’entrée derrière lui. J’écarte le rideau pour le voir partir vers je ne sais où. Personne ne me dit jamais rien. Et je me demande qui est cette blonde.

Le sexe est le non-dit magistral qui fabrique tout l’ennui de mon enfance je crois. L’ennui que je ressens en présence des adultes perpétuellement.

On dirait qu’ils vivent tous avec cette chose qu’ils tentent plus ou moins facilement de cacher aux enfants. Cette obsession du sexe de tous les instants. Le sujet principal de toutes leurs préoccupations.

Même s’ils le déportent sur un tas d’autres choses, comme la nourriture, la boisson, l’argent, je ne suis absolument pas dupe. A partir de 7 ans on n’est plus dupe de grand -chose. Tout est là comme un gros nœud, que l’on met des années ensuite à dénouer juste pour s’effrayer, découvrir à quel point tout cela n’est qu’une longue et fastidieuse vérification.

Et moi je fais le clown, je dis tout ce qui me vient en tête toujours, je fais l’intéressant, et je ne sais toujours pas si c’est parce que je veux vraiment les intéresser, ou les distraire , et me distraire par ricochet de toutes ces pensées bizarres, obsédantes qui occupent 90% de notre vie à tous.

Post-scriptum

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Pour continuer

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

Comme

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technique mixte 70x70 cm

mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

La ramener