incantation aux voyages

image:Lukas Bischoff

Rien de pire que de perdre, par inadvertance, le désir de voyage, le désir d’aller vers l’ailleurs et à la rencontre des autres. En ce temps là, tu avais déjà fais dix fois le tour du monde, et tu t’étais lassé de toi, qui n’y voyait goutte. Les gens là-bas achevaient régulièrement tes espoirs de nouveauté et devenaient ainsi aussi semblables que les gens d’ici. Plus rien ne te faisait rêver, et tu t’enfonçais dans l’indolence de parcours minuscules, effectués depuis ta chambre parisienne jusqu’aux lieux d’activités périphériques, alimentaires, servant à en payer ton terme. A peine un écart ou deux, en fin de semaine, pour te rendre dans l’immense bibliothèque du centre ville ou acheter chez des marchands africains, à quelques pas de ton gourbi, au marché de Château-Rouge, le nécessaire pour substituer. Et pour ne pas crever comme un chien, tu t’inventas cent disciplines. Parmi toutes celles , plus ou moins efficaces , ratées ou réussies, la plus roborative était l’incantation au désir, l’incantation aux voyages. Mais comment t’y prenais-tu, t’en souviens-tu encore ? Comme préambule, à l’aube, face aux façades rosies que tu apercevais au-delà de la fenêtre, un nom de ville te revenait en bouche avec son goût de cendre si particulier, un peu salé, comme celui du sang : Samarcande, Alger, ou Zanzibar. Et le fait de les prononcer à haute voix, d’écouter le son rebondir contre les murs de l’étroite pièce pour revenir comme un boomerang vers ta poitrine et au-dedans ton cœur, provoquait ce léger vacillement de toi-même sur toi-même. Alors, mécaniquement tu déployais les bras, et te mettais à tourner autour d’un axe imaginaire, tu devenais une hélice humaine, un excentrique tournant autour de son axe taré, en quête de cette ivresse bien connue en Orient, qu’offre la transe et le tournis. Ensuite au bout d’un bon quart d’heure à jouer ainsi les derviches tu allais t’allonger sur le lit puis tu fermais les yeux. C’est à ce moment là, précisément, que tu pouvais voyager dans ton propre temps. Tu pouvais examiner toutes tes erreurs d’appréciation, déposer un instant tes lourdes œillères, les écailles si permanentes sur tes paupières, souviens-toi, et refaire les mêmes voyages encore une nouvelle fois mais cette fois d’une façon inédite. Puis, tu te réveillais- était-ce des rêves ou des inventions conscientes, des constructions aussi imaginaires que bizarres, quelle importance... Tu avais regonflé tes batteries suffisamment pour aller jusqu’au bout de la journée, jusqu’à la nuit, et cela en ce temps là te suffisait.

Pour continuer

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

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technique mixte 70x70 cm

mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

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