L’amitié

Huile sur toile collection privée

— Tu es terrible, tu n’appelles jamais un tel, une telle , on dirait que tu t’en fiches complètement, tu ne sais pas entretenir les relations, me confie mon épouse pour la énième fois, à propos de tel ou tel événement où je devrais convier des personnes, ce que je ne fais pas la plupart du temps.

L’autre jour aussi on me laisse un message sur mon répondeur que j’écoute et puis je passe à autre chose. J’oublie de répondre.

— Comment !? mais tu n’as pas répondu, et tu attends quoi pour le faire ? Suis-je aussitôt repris dès que j’en parle entre la poire et le fromage, c’est à dire comme la plupart du temps, lorsque les choses me traversent.

—Mais c’est pour ça exactement que tu n’as pas d’ami, tu ne sais pas t’en occuper, tu ne fais rien, on dirait que tu attends que ça te tombe tout cuit dans le bec ! m’avait déjà dit quelqu’un il y a très longtemps. J’étais enfant à l’époque et l’essentiel de ma vie se déroulait dans mon imaginaire. Je ne pense pas que les choses aient vraiment changé depuis tout ce temps.

J’ai des amis qui appartiennent plus à mon imaginaire qu’au monde réel. Cette prise de conscience est venue tardivement, je dirais aux alentours de la cinquantaine. Ce fut un vrai choc de le découvrir, une sorte de deuil si l’on veut.

Mais on se fait à tout, vivre c’est en grande partie cela, traverser toutes ces choses sur cette passerelle étroite qui relie le monde dit réel à celui dit imaginaire. Un étonnant va et viens.

Si bien qu’en plein milieu de cette passerelle on se demande bien ce qui est vrai et ne l’est pas. On est devenu le fameux chat de Schrödinger, ou Hamlet, ou Snoopy sur sa niche. Je veux dire qu’il y a de quoi avoir des doutes et forcément un brin d’humour.

Mais une chose est sure la plupart du temps, lorsque soudain un ami se retrouve en face de moi, je reprends la conversation exactement là où nous l’avons laissée. Une abolition de la durée, et des vicissitudes du temps, immédiate s’opère et j’ai l’impression de partager une sorte d’éternité. En fait très peu de personnes, de celles qu’on a l’habitude plus qu’autre chose de désigner comme "amies" peuvent comprendre et accepter cet était de fait.

C’est faire la nique au temps. Faire fi de toute obsolescence, de toute entropie. Et si ça ne fonctionne pas toujours, je dirais que c’est très rare, ça ne vient pas de moi.

A la vérité ça n’a pas fonctionné une seule fois, de toute ma vie. C’est le jour où j’ai retrouvé mon ami d’enfance à la foire de Sancoins, au marché des Grivelles précisément. Il y avait une chance sur un million pour que je tombe sur lui et sans doute est-ce pour cela qu’au début ma joie fut forte. Mais très vite en voyant son visage bouffi par l’alcool, ses mains rouges et gonflées de maçon, en écoutant ses borborismes gênés face au citadin que j’étais devenu, un certain malaise s’est installé. Un malaise partagé immédiatement.

La rencontre a duré très peu de temps et c’était déjà très long, je m’en souviens encore. La prise de conscience d’un tas de choses comme le simple fait que nous n’avions plus jamais eut le moindre lien depuis mon départ de l’Allier à l’âge de neuf ans. Et parallèlement le souvenir de ces beaux moments partagés ensemble à jouer dans les arbres, à courir en foret et dans les blés, à vivre cette enfance tout simplement.

C’était mon "meilleur ami" voyez-vous comment l’imagination peut nous jouer des tours. C’est surtout ce que je me disais à cet instant précisément dans la cacophonie des beuglements et mugissements de toutes ces bêtes agglutinées là pour parader à la foire.

Il m’a regardé et moi ses yeux. Je ne l’ai pas reconnu. Il n’y avait plus cet enfant dans le regard de l’homme, juste un voile derrière lequel j’ai subitement eu peur de ne rencontrer que du vide. La conversation n’a pas pu reprendre comme avant à propos de l’excellent gout des cerises et des petites filles après lesquelles ensemble nous courrions.

Au lieu de ça ce silence gêné d’être devenus autres.

Une expérience comme celle-ci laisse des marques indélébiles. On se met à douter de tout forcément et surtout de soi-même et de notre façon d’envisager le monde et ses habitants.

Suivi une longue période à partir de cette date où je considérais alors que je devais quasiment tout à ma seule imagination.

Je me mis à étudier celle-ci avec la plus grande circonspection et ma vie alors se resserra, je devins d’une sècheresse telle que je ne me reconnus plus , moi non plus, en me rasant. j’étais devenu pareil à ce "meilleur ami" délaissé en quelque sorte. Et lorsque je me toisais dans le reflet des vitres des miroirs je n’avais guère d’empathie pour ce que je pouvais y découvrir.

J’étais devenu Bucéphale, je détalais devant ma propre ombre, non pas par peur mais par nausée.

Ce furent souvent les femmes qui jouèrent le rôle d’Alexandre. Qui me prenant par le colback et en me retournant dans le bon sens vis à vis des soleils et de leurs aveuglements me permirent peu à peu de reconquérir un semblant d’estime de moi-même où alors un dégout tel qu’il menait telle une carte au trésor, vers le grotesque, l’exagération, la caricature.

Mais ce n’était encore que le pur jeu de mon imagination évidemment. Je veux dire une interprétation des rôles, celui de la victime comme ceux des héroïnes ou des traitresses.

Cette histoire parallèle qui ne cesse de remanier nos propres clichés à l’infini jusqu’à ce que l’on découvre finalement qu’ils ne sont que ces choses tristes et terriblement banales.

L’amitié est donc une histoire que l’on se raconte la plupart du temps tout seul. Avec de temps à autre une intersection dans une autre histoire tout aussi solitaire.

Le fait alors de reprendre le fil de la conversation est exactement comme reprendre un livre de chevet avant de s’endormir. Il faut un quart de tour pour se souvenir de tous les personnages, les lieux, les événements, chausser ses loupes et repartir dans le fil des pages. Et c’est à peu près tout de tout ce que j’en aurais retenu de vraiment tangible j’en ai bien peur.

Post-scriptum

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

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technique mixte 70x70 cm

mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

La ramener