L’élan créateur

Perec, je ne le connais pas bien, il m’a toujours semblé qu’il me parlait d’autre chose que de littérature lorsque j’ai ouvert ses romans. Ou alors qu’il m’en parlait d’une façon qui ne me correspondait sans doute pas à l’époque. Je me souviens avoir lu "la vie mode d’emploi" très jeune, vers 18 ans, et je n’y ai rien trouvé qui puisse m’intéresser véritablement à cette période difficile de ma vie. J’ai trouvé que c’était un ouvrage trop intellectuel pour moi, et surtout que cela risquait de me détourner d’une vision romantique, romanesque de l’écriture qui était surtout une sorte de bouée de sauvetage en ce temps là. J’imagine aujourd’hui que si j’avais eu à cet âge une véritable conscience politique, j’aurais pu m’engager dans la voie Oulipienne, certainement, mais j’étais dans une survie, poussé par l’impératif de trouver de quoi me nourrir, de quoi me loger, et cela mobilisait une très grande partie de mes faibles ressources.

Aussi je ne suis pas mécontent du tout de constater que je pourrais, si l’envie m’en prenait ; m’en prendra t’elle je n’en sais rien, de changer mon fusil d’épaule, 40 ans après.

C’est un peu un hasard, les choses importantes dans une vie viennent t’elles autrement ?

Je suis tombé ce matin sur un article datant de 2020, un entretien de Yann Etienne sur le site Diacritik avec l’écrivain Jacques Abeille l’auteur entre autres du "cycle des contrées" qui traite justement de cet écart entre deux visions que l’on peut comprendre à notre époque concernant la littérature.

Soit une vision oulipienne de celle-ci, soit une vision que je persiste toujours à nommer "magique" pour ne pas utiliser le mot romantique, ayant passé l’âge d’utiliser ce mot concernant l’écriture, et la littérature en général et aussi après avoir donné un ou deux tours à ma naïveté première.

Comme dans de nombreux domaines on est obligé de choisir et donc de renoncer.

En tant que peintre j’ai renoncé au conceptuel je ne vois donc pas pourquoi je le choisirais en littérature, ce ne serait pas très cohérent. Encore que la cohérence je m’en méfie beaucoup aussi.

Non ce qui m’intéresse surtout c’est cette magie de "l’élan créateur" et en maintenir le mystère même si par des longs cheminements circulaires parfois je me sens à deux doigts de l’élucider et qu’il faille avec sagesse y renoncer.

Jacques Abeille est un de ces magiciens et les quelques expressions que je surprends dans l’article me le confirme.

J’ai l’impression que je vis dans la présence de ce que j’écris, des personnages qui peuplent mes écrits.

et un peu plus loin

J’écris des rêves, et il y a un moment où un rêve est mur et se laisse écrire

Dans les rêves il y a des vestiges du quotidien qui émergent, des traces que l’on peut identifier. Si on est dans l’élan du rêve il faut laisser venir. Je laisse venir ces émergences. Elles font partie du tissu interstitiel, conjonctif. Ca fait partie du rêve c’est tout

Il évoque aussi Maurice Blanchot à propos de Melville, de Moby Dick et je tombe d’accord tout de suite quand il évoque une "mauvaise volonté de son auteur" un désir de détruire, de s’affranchir d’une réalité.

Jacques Abeille dit la porter également cette envie, et je m’y retrouve de mon coté parfaitement. Sans oublier cet aveu : "j’ai le gout de la contradiction" qui le rend apte à écrire un texte lumineux comme un texte obscur à propos d’un même monde. ( les jardins statuaires vs le veilleur) Et il sait la puissance de la contradiction, à quel point celle-ci est motrice dans toute création

Et puis à la fin de l’article cette phrase terrible dans laquelle je me reconnais aussi totalement même si c’est pour des raisons toutes aussi obscures que différentes :

L’identité, c’est une place dans la société des hommes. Quand vous êtes un bâtard, vous n’avez pas de place. Vous ne pouvez vous inscrire nulle part. Si en plus on vous fait sentir que l’identité que l’on vous fournit est un faux ou une usurpation, ça verrouille ce défaut d’être. Il y a une sorte de béance. On pourrait faire une analyse complète de mes écrits et retrouver ce fil conducteur, grave, important, possible, de tout ce que j’ai écrit.

Voici le lien de cet article à partir duquel j’ai été touché au point d’écrire ce petit texte. ( toujours comme note de chantier de l’atelier d’écriture avec François Bon qui décidemment m’apprend beaucoup.)

https://diacritik.com/2020/10/19/jacques-abeille-le-monde-prend-conge-de-moi-au-moment-ou-je-prends-conge-de-lui/

voir aussi cet entretien

http://www.radio-univers.com/jacques-abeille-sest-eteint-que-sa-parole-circule-n1030/

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

Comme

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mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

La ramener