L’inquiétude

Un rien l’entraine vers l’inquiétude. C’est une seconde nature qui, lorsqu’elle fait mine de se dissiper, produit sur la première une sensation de vide inouï. Aussi recherche t’elle l’inquiétude à chaque instant. C’est devenu un reflexe. D’ailleurs s’il arrive qu’elle ne s’inquiète pas, cela l’inquiète. Je crois que c’est devenu chez elle un mode d’existence.
Et puis ne faut-il pas aussi considérer les avantages qu’une personne tire de s’inquiéter perpétuellement de tout ? Car il est impossible que l’on s’inquiète pour rien , même si un rien vous inquiète, surtout si un rien vous inquiète.
Je pense parfois à son inquiétude comme à un costume de théâtre dont elle se revêtirait pour être l’actrice d’une pièce. C’est à dire que pour jouer convenablement le rôle qu’elle s’est attribué l’inquiétude est indispensable, tout autant que n’importe quel autre accessoire, boucle d’oreille, bague, collier. Il n’y a que lorsque elle se drape d’inquiétude qu’elle se rassure enfin qu’elle se sent enfin elle-même pour ainsi dire.
Comme si l’inquiétude et l’inéluctable se confondaient enfin.
Sombrer dans l’inquiétude, s’abîmer dans celle-ci, je me demande pourquoi elle s’oblige ainsi à la répétition de ce naufrage volontaire, cela finit par m’inquiéter aussi par ricochet.
Car on peut tout imaginer des raisons, sans qu’aucune ne soit meilleure ou pire qu’une autre. Ce qui fait rejaillir un vieil épouvantail ridicule au milieu du champs de mes investigations. Comme une caricature de ma propre impuissance, d’une vanité certaine à désirer ainsi la rassurer de quoique ce soit. Ce qu’elle me reproche amèrement la plupart du temps.
— Tu ne me rassures pas.
Et c’est vrai que je trouverais cela parfaitement faux et désolant d’avoir cette outrecuidance là. En quoi puis-je rassurer qui que ce soit ? Ce serait me placer à une position qui n’est pas la mienne dans la vie de tous les jours. Une position exceptionnelle et surtout usurpée.
Si je peux parler de son inquiétude, c’est parce que je la connais bien. Pour m’inquiéter moi aussi régulièrement de tout et rien. Est ce que je cherche à me rassurer cependant ? pas du tout, et dans l’expérience du phénomène j’en ai vu des vertes et des pas mures je peux vous le dire.
Si vous rassurez, ou que vous tentez de rassurer quelqu’un qui passe le plus clair de son temps à s’inquiéter, nul doute qu’il vous en voudra de lui ôter son os ou son jouet. Inconsciemment cela sera transmuté en dette et personne n’aime être le débiteur d’autrui.
Du coup il m’arrive d’abouler encore plus dans son sens, d’augmenter ses inquiétudes en lui ajoutant les miennes à voix haute avec des qu’est ce qu’on va devenir et des on ne s’en sortira jamais. Au moins de cette façon elle renonce à ce que je puisse la rassurer de quoi que ce soit, c’est établi aussi clairement qu’un contrat entre nous.
Pour autant cela m’arrive de m’inquiéter sur les raisons pour lesquelles j’ai accepté de jouer ce petit jeu avec elle. Ce qui m’inquiète encore plus c’est de devenir conscient de cette inquiétude là que je ne percevais même pas auparavant, au paravent de qui ou de quoi ... ? et qui était dissimulé derrière tous les ça va aller, les t’inquiète pas je suis là, les baisers et les fureurs provoquées par l’impuissance à la rassurer. Un tonneau des Danaïdes qu’on ne peut jamais remplir et qu’on laisse en plan lorsqu’on se rend compte de l’ineptie.
L’inquiétude est aussi un pouvoir qu’on a ainsi sur l’autre si je réfléchis bien. Implicitement bien sûr, voire même inconsciemment, déballer sans relâche son inquiétude, au delà de l’ennui vire à l’obscénité après être passé par le vulgaire.
L’inquiétude est obscène, c’est une trouvaille de taille.
Car tout désormais semble être fait pour la produire et la nourrir, de toutes parts, cette obscénité. L’humanité entière est en train, en ce moment même de se travestir d’inquiétude sans trop broncher et donc de filer vers l’obscénité généralisée.
C’est sans doute le seul pouvoir qui lui reste de s’inquiéter ainsi d’un rien ou de tout. Reste à savoir si l’inéluctable répondra à l’appel..
Et ce n’est pas sûr du tout ! Si l’inéluctable adopte mon point de vue, qui est désormais celui de m’en foutre totalement et de laisser chacun à ses propres responsabilités.
Post-scriptum
hautPour continuer
import
Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
import
technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
import
La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}