La tentation de Saint-Antoine

c’est ce livre de Flaubert qui t’accompagne durant cet hiver 1994. Tu le lis et relis dès que tu as un moment dans la journée. Tu travailles comme enquêteur dans une société de sondages quelques heures par jour. Un travail alimentaire qui te permet de payer la chambre d’hôtel dans le quartier de château-Rouge. Tu partages ton temps entre l’écriture à l’aube, une longue promenade, toujours à peu près la même qui te pousse à emprunter la rue Custine jusqu’à Jules-Joffrin puis à gravir les rues abruptes qui mènent a Montmartre. Tu ne vas jamais place du Tertre. Mais les petites ruelles tout autour te fascinent. Tu t’installes sur un banc près du Château des Brouillards rue Girardon et tu imagines tous les fantômes qui hantent les lieux. Modigliani, Nerval, Van Dongen Steinlein. Tu te sens comme chez toi ici, un fantôme parmi d’autres. Tu échanges quelques fadaises puis tu reprends ta route, généralement en passant rue Norvins avec Nerval que tu laisses au numéro 22, la maison de fous du docteur Blanche. Souvent lorsque tu reviens tu t’arrêtes au marché de Château-Rouge pour effectuer de chiches emplettes. Ou tu entres dans le magasin ED nouvellement installé pour acheter un de ces poulets PAC à prix cassé. Puis tu remontes vers ton quatrième et prépare le repas pour que ça fasse plusieurs jours, que tu n’aies plus à te soucier de ce genre de contingence. Il te reste encore beaucoup de temps avant l’heure de partir au travail, prendre le métro et traverser toute la ville pour rejoindre la porte d’Orléans et Montrouge enfin. Alors tu t’allonges et tu reprends ton Flaubert. Tu ne le sais pas mais ce sont certainement les souvenirs parmi les meilleurs de toute ta vie. Tu es parvenu à faire du temps ce luxe, cette abondance sans même te rendre compte de la prouesse. C’est à cette période que l’envie impérieuse de peindre et de confectionner des sculptures en papier mâché t’a conduit à récupérer tout ce fouillis de journaux et de cartons sur le chemin du retour. Tu fabriques ta colle avec de l’eau et de la farine et ainsi la nuit tu crées ces personnages qui une fois achevés vont rejoindre le linteau de la cheminée. Tu as ainsi la sensation d’être moins seul, pour un peu tu entretiendrais presque des conversations avec tes personnages tant ils te regardent si intensément. Quelques pages de Flaubert encore avant de dormir et la journée s’achève ainsi. Tu ne te souviens pas des rêves que tu fais car sitôt éveillé le lendemain tu sautes du lit, et porté par le rituel des gestes automatiques tu te retrouves rapidement installé à ta table pour écrire. Mais parfois il suffit d’un rien, juste une simple modification de la luminosité du ciel pour que tout s’arrête. Le doute s’empare alors de toi et tu ne bouges plus de la chambre durant plusieurs jours et tu ne fais rien de tes journées sauf te rendre le soir à ton travail. Ce sont des journées perdues à tout jamais, le prix à payer pour tout le luxe dont tu t’entoures . La foi inouïe en ton propre génie vacille alors et tu deviens le plus misérable des pauvre types de cette terre. C’est au cours d’une de ces journées de poisse que tu as construit un grand Saint-Antoine en papier mâché. Il a surgit comme un miracle au terme d’une grande fébrilité. Et durant quelques années il t’accompagnera dans tes différents logements de fortune. Jusqu’à ce que tu l’offres à cette femme adultère juste avant de quitter Paris, toujours autant perclus de doutes sur cette réalité qui t’entoure. Mais le désert n’est jamais assez vaste qu’on puisse échapper au diable. Aujourd’hui tu nages toujours dans le luxe du temps et le diable est toujours là près de toi. Dirais-tu que faute de mieux il est ton meilleur ami, non quand même pas, il y a tous les livres, il y a tous les fantômes.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}