Une photo, pas forcément de bonne qualité, en noir et blanc de préférence, un extrait de texte, une nouvelle catégorie…

« Au bar d’un train, entre Grenade et Madrid, un ami m’a raconté un autre voyage dans ce même train, au cours duquel il avait fait la connaissance d’une femme et, moins d’une heure plus tard, ils avaient commencé à s’embrasser. C’était l’été, en plein jour, dans le Talgo qui part tous les jours à trois heures de l’après-midi. La fiancée de mon ami était venue lui dire au revoir sur le quai. Plus tard, lui et l’inconnue s’étaient enfermés dans les toilettes avec une hâte téméraire, un bonheur et un désir que ni l’incommodité, ni les problèmes d’équilibre, ni les coups donnés sur la porte par des voyageurs irrités n’avaient réussi à mettre à mal. Ils pensaient qu’ils se quitteraient pour toujours en arrivant à Madrid. Mon ami, qui faisait son service militaire, n’avait ni métier ni situation, elle était une femme mariée, avec un enfant jeune, un peu déséquilibrée, aussi portée aux mouvements d’enthousiasme inconsidérés qu’aux noirceurs de la dépression. Mon ami m’a dit qu’elle lui plaisait beaucoup et qu’elle lui faisait peur, et que jamais il n’avait autant joui avec une femme. Il se la rappelait avec beaucoup de clarté et de gratitude parce que c’était la seule femme avec laquelle il avait couché outre la sienne, avec qui il s’était marié peu après, à son retour de l’armée. »
Extrait de 
Séfarade
Munoz-Molina, Antonio
