
Ce gamin, je suis sur que je pourrais le bouffer tout cru si la loi me l’autorisait. Il me flanque un bordel dans le groupe et en même temps, je dois avouer que je l’aime bien. Je l’aime bien parce qu’il me ressemble beaucoup lorsque j’avais son âge, je veux parler de ce temps béni où je n’étais pas encore devenu le vieux con que je suis, depuis que j’ai franchi la frontière de mon premier septennat d’existence.
Est-ce qu’on aime convenablement les gens parce qu’ils nous ressemblent ? j’en doute. Au contraire généralement ça finit souvent en eau de boudin de mon coté. Donc si je dis je l’aime bien ce n’est surement pas vrai, c’est une façon de vous faire croire que je suis quelqu’un de normal, posé, gentil, pour que vous ne tombiez pas trop vite sur la part la plus noire .
Parfois il m’arrive de rêver que je retrouve le hachoir à main de mon grand-père, volailler, et que je me rue sur toutes ces chères petites têtes blondes, enfin, désormais elles sont plus brunes que blondes, si vous voyez ce que je veux dire. Mais là ne comptez pas trop sur moi tout de même, je ne suis absolument pas raciste. Moi je déteste tous les gens, sans distinction de sexe et de couleur de peau. J’abhorre l’humanité en générale.
Il faut dire que désormais tout leur est permis à ces morveux. Et du coup il vaut mieux faire preuve de fermeté immédiatement, et ce dès le premier jour, sous peine d’être bouffé presque aussitôt.
De plus je ne sais pas si vous avez remarqué le nombre de prénoms directement issus de vieilles séries américaines tartignoles, où empruntant des noms d’acteurs célèbres. Les Kévin, Jennifer, Beverley, Ethan, Léonardo, j’en passe et des meilleurs. Je crois que la génération actuelle des trentenaires est la plus conne que je n’ai jamais connue en 60 ans de vie sur Terre. Pas étonnant que leurs gosses soient si mal élevés.
Profil du trentenaire, ou du Y comme on dit , ce sont des touche à tout, dont la caractéristique principale est l’impatience. Un problème doit être réglé immédiatement, comme par exemple l’absorption de pizzas surgelées dégueulasses où, ultime outrage fait à la pomme de terre que je vénère, les frites au four.
Du coup les gamins héritent de cette impatience parentale , la mime, la caricature en forçant le trait , la poussent à son paroxysme et voilà comment je me retrouve avec une bande de nains surexcités dans mes ateliers de peinture.
D’ailleurs j’ai freiné des deux pieds sur l’utilisation de la peinture. On ne travaille plus guère qu’au feutre. ou au crayon de couleur. Sinon bonjour les dégâts. Il faudrait beau voir en plus qu’ils se tâchent, ce serait le pompon, encore un foutu problème pour les parents qui, évidemment me sauteraient dessus.
— Comment vous n’avez pas demandé de blouse en début d’année ? etc, etc
— Mais si madame j’ai envoyé un email regardez dans vos spams.
Ereintant.
— J’ai fini, dit justement Ethan avec un sourire jusqu’aux oreilles car il sait qu’il m’agace d’avoir fini deux minutes après que j’ai donné les consignes de l’exercice.
Et à chaque fois c’est la même chose, je regarde l’infâme gribouillis qu’il me tend, je dis
— hum ce n’est pas si mal mais tu pourrais peut-être tenter d’améliorer encore, par exemple en ne débordant pas partout, en respectant les marges.
Et je le renvoie ainsi à sa place la tête basse mais je vois bien qu’il a toujours ce putain de petit sourire en coin que je ne loupe pas.
Et pour cause j’ai le même, sauf que moi je le planque bien.
