Queneau et ses exercices de style
Raymond Queneau, Photomaton, 1928, Fonds Jean-Marie Queneau/diff. éditions Gallimard.
Donc l’écriture ne permet pas d’être sauvé. Ni de léviter. Ni les mondanités. Ni de remplir le réfrigérateur. Ni même un minimum de respect. Pas plus qu’un sourire de mon banquier, des institutions en général. Pas même de ma chatte qui s’en tamponne royalement. L’écriture ne permet pas grand chose en fin de compte à part de s’écrire au kilomètre, pour aider à passer le temps, pour contrer l’angoisse, pour se dire je fais tout de même un peu quelque chose dans ma journée. Est-ce que j’écris pour les autres ? rien n’est moins sûr. Parfois j’aimerais bien, mais mieux vaut ne pas être trop exigeant non plus.
L’erreur sans doute est de penser qu’elle doive permettre ou servir à quoique ce soit.
Du coup quand je ne me sens pas très bien je reprends mon Queneau. Je relis quelques passages d’exercices de style.
Je crois que ce bouquin vaut autant qu’un périple douteux vers l’Himalaya et ses monastères pouilleux. Question distance il nous rapproche du vrai sujet. Comment rire de ce que l’on écrit, s’en détacher en même temps, et accessoirement, être frappé par la grâce de l’illumination, surtout par temps morose, quand la luminosité baisse et que machinalement on appuie sur l’interrupteur du bureau.
Prendre une simple scène et la réécrire ainsi en employant plusieurs temps de la conjugaison relativise beaucoup le point de vue qu’on peut avoir sur l’écriture, sur l’importance qu’on y accorde, ou que l’on s’accorde surtout à soi en tant que scribouillard compulsif.
Une légèreté. Un allègement notoire de l’idée de notre propre importance.
Des moineaux sont venus s’ébrouer dans une flaque d’eau laissée par la pluie dans la cour. Je les ai regardé faire un bon moment. La chatte aussi. On s’est même regardé la chatte et moi à un moment, c’était assez troublant. Elle à lorgner les piafs mais mesurant l’effort à produire et le gain putatif à en extraire, elle a renoncer à bouger, tout comme moi. J’aurais pu prendre un appareil photo pour immortaliser la scène . Pour me changer les idées. Tout en sachant qu’on en change pas d’idée aussi facilement que ça d’un moment à l’autre. Queneau et les moineaux sont divertissants comme à peu près tout ce qui a pour fonction de nous extirper d’une idée fixe.
Puis ils se sont envolés d’un coup. J’ai refermé le livre et mes pensées se sont aussitôt ruées vers ce qui pouvait rester à grignoter dans le réfrigérateur. Se vider et se remplir, tout ne se résume t’il pas à cela.
Quand j’étais plus jeune je me demandais comment vivaient vraiment les écrivains, leur vraie réalité. Peut-être fut elle la mienne en grande partie. Un refuge contre une certaine réalité justement. Ce qui entraine , assez logiquement, qu’écrire, avec tout ce qui va avec consiste à tenter de créer une réalité au regard d’une autre. Se valent-elles ? Et pourquoi faudrait-il que les choses se valent ?
J’écris parce que je ne peux pas faire autrement voilà tout. J’écrirai parce que je ne pourrai sans doute jamais faire aussi sincèrement autre chose. Je n’écrirais certainement pas si je pouvais faire autre chose. Si je n’avais pas écrit je ne sais pas ce que j’aurais pu faire d’autre. Eussé-je planté des poireaux, des blettes, des salades si je n’avais pas eu cette lubie d’écrire ? J’ai écrit tout le temps bien avant de prendre un carnet et un stylo. Je voudrais bien continuer à écrire une fois mort, si c’est possible évidemment. Le jour où je n’écrirais plus c’est peut-être parce que le monde aura disparu, que le néant aura repris tous ses territoires. Mais rien n’est moins sûr sachant que rien ce n’est pas rien. ce n’est jamais totalement rien. Je me rassure. J’écris, tu écris, il ou elle écrit nous écrivons vous écrivez ils écrivent. Parfois c’est bien de réviser Queneau et ses conjugaisons. C’est relaxant.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}