Carnets | janvier
Seul avec le minotaure
Depuis le début de l’année, je suis entré dans un labyrinthe. Pas celui des livres, mais le mien : une suite de couloirs intérieurs où, à chaque tournant, je me retrouve devant la même question de geste, de couleur, de nécessité. J’avance sans arme, sans plan affiché. Mon fil d’Ariane n’est pas une méthode : c’est une sensation très simple, presque physique, du juste et du faux. Quand je prends un pinceau, je le sais tout de suite. Si le geste n’a pas d’intention, il sonne creux. Si le tableau ne tient pas entre le monde et moi comme un passage indispensable, il devient décor. Alors je reviens en arrière, je reprends, je m’entête dans une direction, puis je la quitte si elle ment.
Dans les mythes, il y a toujours, au centre du labyrinthe, une chambre où l’on doit rencontrer ce qu’on est venu chercher. En Crète, c’était l’antre du Minotaure : un monstre caché pour que personne ne le voie, nourri par des sacrifices, et que Thésée finit par tuer en suivant un fil. Je ne suis pas Thésée. Je n’ai pas l’idée d’une victoire. Je ne sais même pas si l’on sort vraiment d’un labyrinthe de ce genre. Mais l’image m’aide parce qu’elle dit la vérité de l’expérience : on ne s’engage pas là-dedans pour se distraire. On s’y engage parce qu’il y a quelque chose au centre qui appelle.
Ce que je cherche, ce n’est pas un mythe, c’est la source de l’envie. Pourquoi peindre, si ce n’est pas pour toucher à ce point où le désir, l’amour, la compassion se remettent à circuler ? Pourquoi continuer, si ce n’est pas pour approcher une zone qui résiste, qui effraie un peu, et qui pourtant est la seule qui compte ? Le Minotaure, je ne sais pas encore s’il est dehors ou dedans. Peut-être les deux. Peut-être une même masse obscure : le monde tel qu’il va, et moi tel que je réagis — peur, honte, violence, besoin de sens. Je ne suis pas sûr qu’il faille “tuer” quoi que ce soit. Je marche plutôt pour voir, pour m’approcher, pour comprendre de quelle façon cette bête et moi sommes liés, et ce que cette liaison exige de mes tableaux, de ma vie, et de la place que j’essaie de tenir devant vous.|couper{180}
minotaure