C’est trop beau !

C’est l’expression que j’entends lorsque les enfants voient un dessin ou une peinture qui leur procurent une émotion particulière. Quand ils ne savent pas vraiment quoi dire et qu’ils sont touchés, ils disent "c’est trop beau"

Ce n’est pas très différent finalement de ce que peuvent exprimer les adultes que je rencontre dans mes expositions.

Ces derniers utilisent le "comme c’est beau" le "j’aime beaucoup", le "comme c’est intéressant" ce qui revient à la même chose que ce que disent les enfants lorsque qu’ils veulent surtout marquer le fait qu’ils ont éprouvé quelque chose sans pouvoir vraiment en parler mais qu’ils veulent tout de même le faire savoir.

Je me suis parfois senti frustré de rencontrer toujours ces mêmes expressions je l’avoue. Une sorte de fatigue directement reliée à ce problème de reconnaissance qui se déclare lorsqu’on se découvre en manque de celle-ci.

On désirerait des expressions moins "bateaux" , quelque chose qui vient vraiment de la personne qui est en train de nous dire ces mots que l’on sent empruntés à une multitude.

Mais c’est déjà tellement lorsqu’on y pense.

Au moins il y a cet effort de l’autre de tenter de nous avertir qu’il éprouve des sensations, une émotion vis à vis de ce qu’on lui montre. Pourquoi aller chercher plus loin finalement me direz vous ?

Est ce que l’on peint pour obtenir cette fameuse reconnaissance ? Je ne l’ai jamais vraiment cru. Dans mon for intérieur quelque chose de bien plus important que ce besoin de reconnaissance était en mouvement : L’envie de m’exprimer pour savoir qui j’étais avant toute chose.

Pour m’extraire de la formule convenue. Pour surtout savoir si je pouvais exister, si j’en étais capable, ou viable, en dehors de toute formule convenue. Sous entendue une peur lancinante qui me poussait jusqu’au fin fond de mes cauchemars à refuser cette forme d’obéissance que propage un programme éducatif comme un virus dans tous les neurones de notre cervelle. Je ne voulais pas devenir un robot. C’était cette peur affreuse qui me poussait à ne rien accepter que je ne puisse comprendre par moi-même.

Pour ne pas me dire à moi-même ce fameux "c’est trop beau" qui dans le fond clôt toute conversation possible avec les autres ou avec soi-même.

Sans doute suis-je trop exigeant mais c’est surement pour cela que j’ai choisi cette carrière d’artiste peintre, c’est cette exigence à ne pas me reposer dans la formule toute faite qui m’y aura poussé en grande partie.

Au début on pourrait confondre cet élan avec de la vanité, de la prétention et s’en est toujours en grande partie. Comment lucidement pourrait on faire autrement ?

Je me souviens de ces dessins que j’effectuais en classe et sur lesquels je représentais mes camarades, au début c’était surtout des caricatures pour attirer leur attention. J’avais du mal à me faire des amis, à la vérité je ne savais pas du tout comment m’y prendre.

Je détestais le football, la plupart des sports collectifs d’ailleurs, tout ce qui au final obligeait à faire cet effort de respecter un certain nombre de règles sans prendre le temps de se pencher sur celles ci, de les comprendre.

Ce n’était pas tant de la rébellion lorsque j’y repense qu’une sorte d’incompréhension, un étonnement de voir que je ne pouvais pas pratiquer une activité sans en saisir tous les tenants et aboutissants. Je n’arrivais pas à faire confiance aveuglément comme le faisaient mes camarades. Et cet aveuglement me les rendait à la fois héroïques comme suspects.

Il y a longtemps eu chez moi ce doute d’être en même temps une sorte de génie et un parfait idiot. Ce fut terriblement difficile de parvenir à trouver l’équilibre entre le trop et le pas assez.

Aujourd’hui je sais que je ne suis ni l’un ni l’autre. Pas tout à fait l’un ou l’autre ce qui est apaisant, tranquille, et surtout cela me permet de plaisanter, de prendre du recul sur ma propre vanité comme sur celles qui animent la plupart d’entre nous.

Dans le fond la vanité est un peu comme une formule toute faite, une sorte de "c’est trop beau".

Elle fait à la fois peur et elle intrigue aussi.

Elle n’est peut-être qu’un passage obligé pour prendre confiance en soi. Cependant qu’une fois cette confiance acquise elle ne sert plus à grand chose, on devrait la laisser s’éloigner comme les fusées laissent certains étages aller se dissoudre dans l’atmosphère afin de s’alléger, prendre de la vitesse et s’élancer afin de percer les mystères de l’espace intersidéral.

Il y a beaucoup à dire sur ce "c’est trop beau" et finalement lorsque je me souviens des premières fois où je me suis mis à regarder les filles, et plus tard ensuite les femmes je n’ai jamais été bien éloigné d’une formule toute faite pour exprimer les émotions que ces rencontres déclenchaient.

Entre le trivial, le grossier, le vulgaire et les tentatives naïves d’évoquer poétiquement le sublime de ces émotions.

Car finalement ces formules toutes faites ne se soucient t’elles pas que de cela bien plus souvent que de l’objet lui-même qui la déclenche ?

Dans le fond il y a aussi dans ces formules toutes faites une certaine violence qui m’a toujours atterré comme j’imagine un homme une femme peuvent l’être si on ne les définit qu’à la façon d’un tableau, d’un miroir.

"C’est trop beau" je ne te fais exister que pour te reléguer presque aussitôt ou simultanément dans la catégorie des objets qui me servent à imposer à moi et aux autres l’image de moi qui me convient. Une pure invention qui se reflète dans toute invention.

Le "c’est trop beau" c’est un peu l’exclamation de Narcisse découvrant son image à la surface tranquille de l’eau et qui en tombe éperdument amoureux jusqu’à se noyer dedans à la fin.

C’est aussi le risque de l’artiste, des protagonistes d’un couple une fois la passion ou la fusion amoureuse dépassée.

Quelque chose se perd pour laisser place à un vide nécessaire et qu’il s’agira de remplir désormais avec la plus grande attention, l’amour de tous les jours.

Ce weekend les petits enfants et leur père sont venus chez nous et nous avons fait de la peinture. Je leur ai montré un truc ou deux. Prendre une feuille de papier et la tacher progressivement de jaune, de rouge puis de bleu en utilisant de l’eau puis en tamponnant ça et là avec de l’essuie tout.

Une fois sèche on peut dessiner par dessus avec des feutres de différentes épaisseurs. Gros trait, moyens traits, tout petits traits. On peut aussi s’amuser à créer des hachures, des petits ronds ou des points de différentes tailles pour apporter ça et là du rythme. Ce fut un bon moment passé et puis à la fin nous avons fait des photos

Et on a tous dit ensemble : "c’est trop beau !" En riant.

Peintures réalisées par Matxin 8 ans et Lottie 5 ans

Pour continuer

Carnets | mai 2021

L’histoire

Je crois que nous vivons un temps qui veut se débarrasser de l'histoire par la profusion des histoires. Il y a tellement d'histoires désormais et sur tous les tons, qu'il y a de brins d'herbe dans une prairie. On n'y voit que du vert et on dit voilà en gros l'histoire. Voilà comment on pense l'histoire globalement. Ce n'est peut-être pas une intention consciente. Bien sur l'histoire est toujours plus ou moins manipulée par le pouvoir, par la politique, tout comme nos propres histoires nos histoires personnelles lorsqu'on s'appuie sur celles ci afin de tenter de prouver qui nous sommes. On peut tenter de le prouver au monde comme à nous mêmes d'ailleurs, je pense qu'il s'agit d'un levier pour tenter de s'extraire de quelque chose qui nous effraie. On raconte l'histoire, on raconte des histoires parce que parler est cette tentative d'exister face à l'irrémédiable. Ce qui est désolant c'est que l'on transforme ce miracle en boue la plupart du temps. Je pensais à tous ces films de science fiction qui commencent bien et dont le scénario devient de plus en plus poussif en son milieu pour finir lamentablement la plupart du temps. C'est qu'il s'agit d'une sorte de décalque, on suit un squelette de récit établit, le même toujours avec quasi les mêmes ingrédients. Je parle de la science fiction mais on peut prendre aujourd'hui tous les genres c'est pareil. L'idée générale est de produire des histoires en plus grand nombre pour alimenter les plate formes d'un contenu aussi plat que possible. Hormis quelques exceptions évidemment. Il semble que la boue ne soit d'ailleurs là en excès qu'à la façon d'un écrin qui servirait à distinguer ce qui tente de s'en échapper. Une exagération de saleté pour mettre l'accent sur le propre. Un peu comme le jeu des 7 erreurs de ce magazine télé. Avons nous besoin de l'histoire, des histoires ? bien sur que oui cela n'est pas à remettre en question, seuls les immortels peuvent se passer d'histoire. Ils peuvent aussi se passer de penser, d'aimer, de créer. Peut-être que l'histoire est une façon de tenter de régler le problème d'Œdipe, cette admiration et cette haine inconsciente la plupart du temps que nous trimballons de génération en génération via les histoires afin de ne pas l'oublier. Comme si cette émotion nous était nécessaire, comme si dépourvue de celle ci nous ne serions plus que des robots des zombies. Une admiration haine du père. Que ce soit un Dieu , un demi dieu, une star, un homme peu importe dans le fond. C'est bien ce mouvement je t'aime je te hais qui est à la source de l'histoire, de toutes les histoires parce que tout simplement ce mouvement d'attirance répulsion est à l'origine de notre univers. C'est sans doute ce qu'on appelle l'amour, cette colle ce ciment qui fait que la matière soit solide, que les histoires, l'histoire toute entière puisse tenir debout. Ou pas. Et il est inquiétant de voir que de plus en plus ces histoires ne sont plus construites avec cette colle ce ciment mais avec des procédés narratifs hollywoodiens eux mêmes chipés à l'ancien Testament qui lui les aura encore piqués à l'épopée de Gilgamesh. C'est à dire qu'on se trouve désormais face à une Histoire dont ne nous intéresse que le squelette mais pas la substance.|couper{180}

Carnets | mai 2021

La modernité

Une phrase de Rimbaud reste logée quelque part dans le bidonville de la mémoire. Le fameux "Il faut être résolument moderne". Dans la cabane recouverte de tôle ondulée juste à coté il y a Barthes, Roland Barthes qui tout doucement se désagrège au soleil de Mai en murmurant un je m'en fous pas mal de la modernité, c'est à dire que cette idée me laisse indifférent. Et puis Chirac qui renchérit en disant ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. C'est qu'elle en aura mené par le bout du nez cette fameuse modernité... il n'y a qu'à regarder autour de soi, visiblement ce n'est toujours pas terminé. Et en même temps on sent bien une fatigue. Le nombre des trainards semble augmenter. Je veux dire ceux qui n'arrivent plus à courir après elle tout simplement parce que l'envie, les raisons leur manquent. C'est peut-être un effet de l'âge. Il parait que lorsqu'on vieillit on devient de plus en plus conservateur. Peut-être devient plus lucide sur tous les trompes couillons. Derrière le fard de la modernité au bout du compte que découvre t'on sinon une vieille dame qui fait ce qu'elle peut pour ne pas sombrer dans la décrépitude totale. Est ce que cette antiquité poussiéreuse est cette fameuse modernité ? je n'ose pas être malpoli en parlant du fondement de notre société Est ce l'ennui et son effroyable répétition le carburant de ses mille et une fantaisies ? Est ce parce que l'abondance considérée comme la vertu sur laquelle semble s'appuyer encore notre idée d'économie nous rend indécrottables en matière de changement de diversité de nouveauté ? Nous allons abondamment vous faire économiser, trier électriquement... La modernité ressemble à un vieux tapin mon petit chou et ça ne présage rien de bon pour l'avenir. Car pas de doute que tôt ou tard on utilisera sa déchéance pour prôner une idée toute neuve d'éternité, de solidité, de fiabilité et de fidélité et pour finir de propreté. Tôt ou tard c'est visiblement presque déjà demain. Ce ras le bol du zapping, de cette cohérence artificielle bâtie sur l'incohérence absolue en dit déjà long sur le désir de changement en train de germer dans des cervelles abreuvées, irriguées par des poncifs qui sont d'ailleurs comme autant de produits installés en tête de gondole dans le supermarché des idées de notre temps. Soyons écolos roulons électrique sur le dos de certaines peuplades dont la jeunesse vive s'éteint tragiquement à extraire du lithium pour nos batteries. Ou encore des métaux précieux pour nos indispensables smartphones. Cette civilisation de masse l'est vraiment , à la masse. Le discernement tire sa révérence en même temps que la vieille modernité. On ne voit plus que du veau du bovin de l'ovin un peu partout sans compter sur le cochon qui se débite à tous va et pour peu cher. Et des bergers invisibles tout là haut dans des tours de verre dont les chiens sont les flics debout sur les chars de ce défilé foutraque. Le carnaval perpétuel et désolant d'une pensée politiquement et moralement correcte, une érosion bizarre fabrique le désert sur lequel on vend du mirage de l'oasis et pas mal de bombes pour égayer divertir détourner l'attention. Cette fatigue éprouvée pour la surprise, la nouveauté dissimule à peine une faim, une avidité pour le retour au linéaire, à l'ordre. Une fatigue doublée d'un énervement et de jugements à l'emporte pièce. L'étranger comme l'étrangeté deviennent saugrenus puis assez rapidement dangereux et hostiles. La singularité ne fait même plus sourire elle révulse quand on ne fait pas tout pour ne pas la voir, la rendre banale autant dire invisible. Mais qu'est ce qui fait que la modernité a remporté un tel succès du 18 ème siècle à nos jours ? Qu'elle a tant fait tourner le monde dans tous les sens comme dans une lessiveuse ? Je dis le 18 ème parce que c'est à partir de cette époque qu'on a tenté de la mettre vraiment en mots. Il est probable qu'elle vienne de bien plus loin, de la Renaissance Italienne. Et cette dernière n'est qu'une resucée d'un phénomène qui prend sa source à l'origine même de notre humanité. Je veux dire n'est ce pas résolument moderne de descendre des arbres pour aller se balader dans la savane et devenir la proie de toutes les bestioles affamées qui trainent sur cette terre ? Il y a du pour et du contre toujours. Le mieux serait de se tenir au milieu de ne pas montrer d'avis trop tranché , signe d'extrémiste évidemment honni de nos jours pourrait t'on encore penser mais non. Justement le milieu aussi semble être devenu aussi une position intenable. Il faut trancher citoyen ça commence comme ça et ce n'est pas bien nouveau. On croit juste que c'est moderne parce qu'on nous le vend ainsi. Question d'emballage, de marketing rien que du copywriting. D'ailleurs on peut bien nous vendre tout et son contraire nous nous en fichons bien le seul truc qui nous intéresse désormais c'est de ne pas crever trop vite, de ne pas souffrir trop, d'être tranquille , pas malade si possible, de ne pas être dérangé par n'importe qui n'importe quoi Essayer de remettre un peu d'ordre dans sa tête, dans sa maison, dans son jardin ce n'est déjà pas une sinécure alors s'il vous plait madame la modernité eut égard à votre grand âge et au fait que malgré tant de vicissitudes vous soyez encore admirablement bien conservée, amusez nous dans le poste à l'heure du café si vous voulez, mais pour le reste faites nous donc pas suer. Ces arguments évidemment en valent d'autres que d'aucuns ne tarderont pas à élargir bien au delà des murs du jardin, de la maison. Cette mondialisation effrayante qui peut d'un coup faire surgir dans la salle à manger un pygmée, un aborigène, un breton et même un portugais désormais ! Trop c'est trop ! On nous revendra la France aux Français à rire larigot sur tous les tons et en argot. Vous verrez ce que je dis si c'est pas vrai. Peut-être que dans le fond c'est juste une façon d'exorciser et rien de plus je veux parler bien sur de mon texte matinal . Je nous le souhaite autant que je nous plains.|couper{180}

La modernité

Carnets | mai 2021

Exigence

Derrière toutes tes prières l'exigence se traine prête à bondir pour un oui pour un non pas d'issue. Je sais que tu as essayé de la piquer l'euthanasier, l'amadouer, la ligoter l'entortiller, la soudoyer, l'hypnotiser, la saouler, la renverser, la bourrer, la tromper, la baiser, l'endormir, l'assouvir, la saisir, la retenir, la bousculer, l'agiter, la secouer En vain. Chez toi l'exigence est ce moyeu d'où sourd la lumière et l'ombre j'en connais chaque rayon de ce beau paon qui fait la roue en criant Léon par ci Léon par là Tu n'as pas assez fait ceci tu as beaucoup trop fait cela. Je te regarde et je me tais Tu restes encore si belle malgré toutes les années malgré les rides et les crevasses ta peau fripée tes cheveux filasses. Mon bel élan d'amour. Quand je te regarde j'ai toujours 20 ans. Et je dis merde au temps qui passe merde à l'éternité merde à la mort je débouche une bouteille et nous trinquons en nous dégottant des bourrades jouant des coudes les arpions en éventail. Est ce que tu m'aimes Est ce que je t'aime ? En sommes nous toujours là ? Sommes nous en dessous ou en deçà ? On doit bien avoir exploré tout le kamasutra... ne sommes nous pas repus ? allongés en sueur sur de beaux draps on attend on prie et c'est toujours toi qui la première décide exige de remettre ça. Moi c'est bien connu je ne suis qu'un malgré moi.|couper{180}