Supercherie de ces visages peints sans modèle. Mensonge, pensais-je. Refus de voir, refus de sentir. L’habileté masque le pot aux roses. Souvent, il faut se méfier des apparences trop lisses et propres. Heureusement, paré de bonne heure pour faire face.

Mais toujours incertain, toujours à douter de tout et de moi-même, changeant sans relâche. Jusqu’à aujourd’hui, où réduit à si peu, enfin naissent mes filles. Cette idée soudaine. Mes filles peintes dans la transe plus que tout autre mot.

La transe de la peinture, ce n’est pas une blague du tout. Mais on a peine à y croire, à l’accepter. Même si, par gageure, on se dit chaman.

On ne tient pas longtemps dans l’ironie.

Car on n’a pas choisi cette appellation au hasard, on ne croit plus au hasard depuis le temps.

La souffrance n’est pas du pipi de chat, mon petit vieux, elle est précieuse comme le sang et l’eau, l’amour et les papillons.

Je me suis ouvert les flancs et des filles en sont sorties — des filles, des femmes désormais. Elles auront grandi ; elles auront acquis leur indépendance.

Sauf une.

Une petite fille qui reste à jamais avec le petit garçon. Et ces deux-là ne bougeront pas. Ne bougeront plus. Ils étaient là bien avant moi et le resteront bien après.

De temps à autre, je peux les voir assis dans le cerisier, ils me font un petit signe de la main. Un signe d’encouragement, je crois.

Mais toutes ces filles, ces femmes qui sortent de mon ventre, qui sont-elles ? Je ne le sais pas, elles naissent ainsi comme des humeurs du gémissement profond de la peinture.

Elles sont les larmes des couleurs.

Des couleurs qui sont allées loin dans la profondeur des terres pour se créer une valeur, une intensité, une existence.

Je dis mes filles, mes femmes,

mais c’est mon désir d’être père qui veut ça.

Moi, je ne vois pas les choses ainsi.

Je ne les vois plus ainsi.

C’est tout l’inverse certainement,

ce sont elles qui me créent,

qui me donnent du corps, du souffle, de la voix.

Ainsi donc, on pense qu’on crée,

puis on devient honnête,

on sent de mieux en mieux qu’on est créé

par ce que l’on peint, par ce que l’on écrit.