Hier sous la pluie dans les bouchons

J’écoutais France Culture. J’avais allumé le poste après avoir déposé devant sa porte à Caluire ma belle-mère qui, si tout va bien, fêtera ses 90 étés cette année. Cela faisait longtemps que je n’avais pas écouté cette station mais je reconnu immédiatement la musique du générique de l’émission "à voix nues". C’était un échange épistolaire , une correspondance amoureuse voulait on nous faire croire, entre François Mitterrand et Anne Pingeot. Plus Mitterand que Pingeot dont on ne lu pas grand chose.

Cela me renvoya à mon époque pré pubère quasi immédiatement et plusieurs fois je me suis gratté le crane pour me demander comment la naïveté pouvait traverser à ce point les différents murs, blindages et barrières menant à l’Elysée.

Comment ? voici un homme dont on dit qu’il fut redoutable en matière de politique et qui démontre son indigence crasse en matière de correspondance amoureuse. Car hormis la littérature enrobant les " je t’aime" les "je te veux" "tu es à moi" je n’ai relevé à peu près rien d’autre que du blabla.

Comment est-ce donc possible ?

Et puis j’ai trouvé.

Ce n’était pas difficile car j’avais été moi-même victime de ma propre vanité épistolaire autrefois.

Dans ces correspondances amoureuses il n’y a que du flan, des envolées lyriques et tout est adressé à une chimère personnelle évidemment. Ce plaisir de se mettre soi disant à nu dans l’encre n’est la plupart du temps que de la masturbation et pas grand chose d’autre.

D’ailleurs les réponses d’Anne Pingeot, rares dans l’émission semblent me donner raison. Elle doute et c’est évidemment ce qu’elle peut faire de mieux face à un tel déchainement narcissique.

En ce sens les hommes de pouvoir possèdent ce privilège tout au contraire du gueux que je fus. On leur répond.

J’ai envoyé à une époque une bonne centaine de lettres à une jeune fille modeste et simple de ma campagne qui ne m’a jamais répondu. Et c’était certainement la meilleure des réponses possibles lorsque j’y pense.

Ces échanges épistolaires se déclenchent bizarrement avec le manque et la distance qui transforme une silhouette, l’autre en cette partie merveilleuse de soi à qui l’on voudrait s’adresser et qu’elle nous réponde.

C’est une projection pure et simple, une illusion et tellement douce et tellement cruelle qu’on la sent aussi douce et réelle qu’une vraie réalité.

Mais au bout du compte il n’y a qu’un peu de honte à la fin de s’être tant épanché hors de soi pour rien.

Peut-être ne nous a t’on pas tout dit tout lu. Peut-être y avait il des passages plus ordinaires, plus érotiques, voire salaces carrément dans tous ces épanchements. Cela m’aurait plu évidemment de les entendre le cas échéant et sans doute aussi cela m’aurait rassuré de considérer le bonhomme comme un gars comme les autres.

Mais ce ne fut pas le cas.

J’ai mis presque 4 heures pour faire l’aller retour sous la pluie et les bouchons entre le trou du cul de l’Isère et la colline où vit la grand-mère. Dans la voiture à l’aller nous n’avons presque pas parlé sinon du temps maussade qu’il fait pour un mois de mai et de ce miracle que représente pour elle son journal de mots fléchés.

-ça me tient compagnie vous savez qu’est ce que je ferais d’autre sinon ? je tournerais en rond.

Phrase n’appelant pas de réponse au final mais révélant une éducation, une finesse d’esprit, une élégance de la conversation, qui mit fin en douceur à celle-ci à peine commencée.

Et j’ai encore été surpris de tant de violence, de fermeté chez cette petite dame toute frêle dont j’ai l’honneur d’être le gendre.

Pour continuer

Carnets | mai 2021

L’histoire

Je crois que nous vivons un temps qui veut se débarrasser de l'histoire par la profusion des histoires. Il y a tellement d'histoires désormais et sur tous les tons, qu'il y a de brins d'herbe dans une prairie. On n'y voit que du vert et on dit voilà en gros l'histoire. Voilà comment on pense l'histoire globalement. Ce n'est peut-être pas une intention consciente. Bien sur l'histoire est toujours plus ou moins manipulée par le pouvoir, par la politique, tout comme nos propres histoires nos histoires personnelles lorsqu'on s'appuie sur celles ci afin de tenter de prouver qui nous sommes. On peut tenter de le prouver au monde comme à nous mêmes d'ailleurs, je pense qu'il s'agit d'un levier pour tenter de s'extraire de quelque chose qui nous effraie. On raconte l'histoire, on raconte des histoires parce que parler est cette tentative d'exister face à l'irrémédiable. Ce qui est désolant c'est que l'on transforme ce miracle en boue la plupart du temps. Je pensais à tous ces films de science fiction qui commencent bien et dont le scénario devient de plus en plus poussif en son milieu pour finir lamentablement la plupart du temps. C'est qu'il s'agit d'une sorte de décalque, on suit un squelette de récit établit, le même toujours avec quasi les mêmes ingrédients. Je parle de la science fiction mais on peut prendre aujourd'hui tous les genres c'est pareil. L'idée générale est de produire des histoires en plus grand nombre pour alimenter les plate formes d'un contenu aussi plat que possible. Hormis quelques exceptions évidemment. Il semble que la boue ne soit d'ailleurs là en excès qu'à la façon d'un écrin qui servirait à distinguer ce qui tente de s'en échapper. Une exagération de saleté pour mettre l'accent sur le propre. Un peu comme le jeu des 7 erreurs de ce magazine télé. Avons nous besoin de l'histoire, des histoires ? bien sur que oui cela n'est pas à remettre en question, seuls les immortels peuvent se passer d'histoire. Ils peuvent aussi se passer de penser, d'aimer, de créer. Peut-être que l'histoire est une façon de tenter de régler le problème d'Œdipe, cette admiration et cette haine inconsciente la plupart du temps que nous trimballons de génération en génération via les histoires afin de ne pas l'oublier. Comme si cette émotion nous était nécessaire, comme si dépourvue de celle ci nous ne serions plus que des robots des zombies. Une admiration haine du père. Que ce soit un Dieu , un demi dieu, une star, un homme peu importe dans le fond. C'est bien ce mouvement je t'aime je te hais qui est à la source de l'histoire, de toutes les histoires parce que tout simplement ce mouvement d'attirance répulsion est à l'origine de notre univers. C'est sans doute ce qu'on appelle l'amour, cette colle ce ciment qui fait que la matière soit solide, que les histoires, l'histoire toute entière puisse tenir debout. Ou pas. Et il est inquiétant de voir que de plus en plus ces histoires ne sont plus construites avec cette colle ce ciment mais avec des procédés narratifs hollywoodiens eux mêmes chipés à l'ancien Testament qui lui les aura encore piqués à l'épopée de Gilgamesh. C'est à dire qu'on se trouve désormais face à une Histoire dont ne nous intéresse que le squelette mais pas la substance.|couper{180}

Carnets | mai 2021

La modernité

Une phrase de Rimbaud reste logée quelque part dans le bidonville de la mémoire. Le fameux "Il faut être résolument moderne". Dans la cabane recouverte de tôle ondulée juste à coté il y a Barthes, Roland Barthes qui tout doucement se désagrège au soleil de Mai en murmurant un je m'en fous pas mal de la modernité, c'est à dire que cette idée me laisse indifférent. Et puis Chirac qui renchérit en disant ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. C'est qu'elle en aura mené par le bout du nez cette fameuse modernité... il n'y a qu'à regarder autour de soi, visiblement ce n'est toujours pas terminé. Et en même temps on sent bien une fatigue. Le nombre des trainards semble augmenter. Je veux dire ceux qui n'arrivent plus à courir après elle tout simplement parce que l'envie, les raisons leur manquent. C'est peut-être un effet de l'âge. Il parait que lorsqu'on vieillit on devient de plus en plus conservateur. Peut-être devient plus lucide sur tous les trompes couillons. Derrière le fard de la modernité au bout du compte que découvre t'on sinon une vieille dame qui fait ce qu'elle peut pour ne pas sombrer dans la décrépitude totale. Est ce que cette antiquité poussiéreuse est cette fameuse modernité ? je n'ose pas être malpoli en parlant du fondement de notre société Est ce l'ennui et son effroyable répétition le carburant de ses mille et une fantaisies ? Est ce parce que l'abondance considérée comme la vertu sur laquelle semble s'appuyer encore notre idée d'économie nous rend indécrottables en matière de changement de diversité de nouveauté ? Nous allons abondamment vous faire économiser, trier électriquement... La modernité ressemble à un vieux tapin mon petit chou et ça ne présage rien de bon pour l'avenir. Car pas de doute que tôt ou tard on utilisera sa déchéance pour prôner une idée toute neuve d'éternité, de solidité, de fiabilité et de fidélité et pour finir de propreté. Tôt ou tard c'est visiblement presque déjà demain. Ce ras le bol du zapping, de cette cohérence artificielle bâtie sur l'incohérence absolue en dit déjà long sur le désir de changement en train de germer dans des cervelles abreuvées, irriguées par des poncifs qui sont d'ailleurs comme autant de produits installés en tête de gondole dans le supermarché des idées de notre temps. Soyons écolos roulons électrique sur le dos de certaines peuplades dont la jeunesse vive s'éteint tragiquement à extraire du lithium pour nos batteries. Ou encore des métaux précieux pour nos indispensables smartphones. Cette civilisation de masse l'est vraiment , à la masse. Le discernement tire sa révérence en même temps que la vieille modernité. On ne voit plus que du veau du bovin de l'ovin un peu partout sans compter sur le cochon qui se débite à tous va et pour peu cher. Et des bergers invisibles tout là haut dans des tours de verre dont les chiens sont les flics debout sur les chars de ce défilé foutraque. Le carnaval perpétuel et désolant d'une pensée politiquement et moralement correcte, une érosion bizarre fabrique le désert sur lequel on vend du mirage de l'oasis et pas mal de bombes pour égayer divertir détourner l'attention. Cette fatigue éprouvée pour la surprise, la nouveauté dissimule à peine une faim, une avidité pour le retour au linéaire, à l'ordre. Une fatigue doublée d'un énervement et de jugements à l'emporte pièce. L'étranger comme l'étrangeté deviennent saugrenus puis assez rapidement dangereux et hostiles. La singularité ne fait même plus sourire elle révulse quand on ne fait pas tout pour ne pas la voir, la rendre banale autant dire invisible. Mais qu'est ce qui fait que la modernité a remporté un tel succès du 18 ème siècle à nos jours ? Qu'elle a tant fait tourner le monde dans tous les sens comme dans une lessiveuse ? Je dis le 18 ème parce que c'est à partir de cette époque qu'on a tenté de la mettre vraiment en mots. Il est probable qu'elle vienne de bien plus loin, de la Renaissance Italienne. Et cette dernière n'est qu'une resucée d'un phénomène qui prend sa source à l'origine même de notre humanité. Je veux dire n'est ce pas résolument moderne de descendre des arbres pour aller se balader dans la savane et devenir la proie de toutes les bestioles affamées qui trainent sur cette terre ? Il y a du pour et du contre toujours. Le mieux serait de se tenir au milieu de ne pas montrer d'avis trop tranché , signe d'extrémiste évidemment honni de nos jours pourrait t'on encore penser mais non. Justement le milieu aussi semble être devenu aussi une position intenable. Il faut trancher citoyen ça commence comme ça et ce n'est pas bien nouveau. On croit juste que c'est moderne parce qu'on nous le vend ainsi. Question d'emballage, de marketing rien que du copywriting. D'ailleurs on peut bien nous vendre tout et son contraire nous nous en fichons bien le seul truc qui nous intéresse désormais c'est de ne pas crever trop vite, de ne pas souffrir trop, d'être tranquille , pas malade si possible, de ne pas être dérangé par n'importe qui n'importe quoi Essayer de remettre un peu d'ordre dans sa tête, dans sa maison, dans son jardin ce n'est déjà pas une sinécure alors s'il vous plait madame la modernité eut égard à votre grand âge et au fait que malgré tant de vicissitudes vous soyez encore admirablement bien conservée, amusez nous dans le poste à l'heure du café si vous voulez, mais pour le reste faites nous donc pas suer. Ces arguments évidemment en valent d'autres que d'aucuns ne tarderont pas à élargir bien au delà des murs du jardin, de la maison. Cette mondialisation effrayante qui peut d'un coup faire surgir dans la salle à manger un pygmée, un aborigène, un breton et même un portugais désormais ! Trop c'est trop ! On nous revendra la France aux Français à rire larigot sur tous les tons et en argot. Vous verrez ce que je dis si c'est pas vrai. Peut-être que dans le fond c'est juste une façon d'exorciser et rien de plus je veux parler bien sur de mon texte matinal . Je nous le souhaite autant que je nous plains.|couper{180}

La modernité

Carnets | mai 2021

Exigence

Derrière toutes tes prières l'exigence se traine prête à bondir pour un oui pour un non pas d'issue. Je sais que tu as essayé de la piquer l'euthanasier, l'amadouer, la ligoter l'entortiller, la soudoyer, l'hypnotiser, la saouler, la renverser, la bourrer, la tromper, la baiser, l'endormir, l'assouvir, la saisir, la retenir, la bousculer, l'agiter, la secouer En vain. Chez toi l'exigence est ce moyeu d'où sourd la lumière et l'ombre j'en connais chaque rayon de ce beau paon qui fait la roue en criant Léon par ci Léon par là Tu n'as pas assez fait ceci tu as beaucoup trop fait cela. Je te regarde et je me tais Tu restes encore si belle malgré toutes les années malgré les rides et les crevasses ta peau fripée tes cheveux filasses. Mon bel élan d'amour. Quand je te regarde j'ai toujours 20 ans. Et je dis merde au temps qui passe merde à l'éternité merde à la mort je débouche une bouteille et nous trinquons en nous dégottant des bourrades jouant des coudes les arpions en éventail. Est ce que tu m'aimes Est ce que je t'aime ? En sommes nous toujours là ? Sommes nous en dessous ou en deçà ? On doit bien avoir exploré tout le kamasutra... ne sommes nous pas repus ? allongés en sueur sur de beaux draps on attend on prie et c'est toujours toi qui la première décide exige de remettre ça. Moi c'est bien connu je ne suis qu'un malgré moi.|couper{180}