Par où commencer avec la poésie ?

Pour Y.

La réflexion d’aujourd’hui arrive suite à un message reçu hier d’une amie. "J’aimerais lire de la poésie mais je ne sais pas par où commencer, pourrais tu me donner quelques pistes ?"

Me voici bien embêté car je suis bien obligé de me poser quelques questions sur mon approche personnelle du genre.

Qu’ai je conservé de tout ce que j’ai pu lire des poètes et d’abord lesquels ?

Je crois que j’ai commencé par Prévert à l’école avec le recueil "Paroles", j’aimais beaucoup et en même temps ces textes m’effrayaient car sous l’aspect léger je pouvais sentir une gravité qui n’avait de cesse de m’échapper dans le langage mais pas dans ce que je ressentais du monde.

Ces poèmes alors étaient un peu comme une mélodie à laquelle je m’accrochais pour traverser les ombres, l’obscurité toute entière, ma nuit.

J’en ai appris beaucoup "par cœur" comme on disait alors car j’ai toujours mis un point d’honneur à récolter de bonnes notes en récitation. C’était à peu près la seule matière où d’ailleurs j’excellais si je fais un effort de mémoire. Tout le reste me semblait beaucoup plus austère et ennuyeux.

La poésie donc aura été d’une certaine manière comme ces miettes de pain que le petit Poucet dépose au fur et à mesure qu’il s’égare dans la forêt, des envies de points de repère traduire "pas de repère" sur lesquelles très vite on se rend compte plus tard qu’on ne peut pas compter pour retrouver la maison. Tout au contraire il est fort possible qu’ils auront jouer le rôle inverse me concernant, c’est à dire m’éloigner de plus en plus du familier.

Et puis lorsqu’on est enfant on n’établit pas beaucoup de hiérarchie, on se fiche un peu du classement des adultes dans de nombreux domaines. Evidemment c’est bien plus tardivement que j’ai compris que Rimbaud était une sorte de génie en matière de poésie, tout comme Baudelaire, mais à cette époque ils étaient d’une certaine façon mes égaux. Je n’effectuais pas plus de distinguo entre un poète que j’aimais lire et un camarade d’école qui m’intéressait par ce qu’il avait ou pas à dire.

C’était simple, soit j’aimais ce que je parvenais à entendre comme rythme et sonorité chez les uns comme chez les autres soit je détectais quelque chose de proche du couac et je laissais tomber. Aussi Rimbaud a t’il eu ma préférence par rapport à Baudelaire juste derrière Prévert que j’ai longtemps conservé en tête de classement.

Bien sur il y eut aussi Apollinaire, José Maria De Heredia, Paul Fort auxquels j’ai accordé un peu d’attention car ils étaient au programme des classes primaires.

Mais le choc fut lorsque j’ai écouté pour la première fois Georges Brassens. Très vite les livres de poésie m’ont paru pauvres à coté de ce que pouvais m’apporter le mange disque ou la platine stéréo.

Brassens, puis un peu Brel, et enfin à l’adolescence les rôles se seront inversés, Brel en tête, Brassens en second. Brel pour la manière de réciter m’impressionnait énormément alors que Brassens qui suait à grosses gouttes me procurait une gène un malaise lorsque je le voyais sur le petit écran. Il n’avait pas l’air bien à l’aise, comme s’il n’était pas à sa place.

Pourtant les textes de Brassens m’auront toujours bien plus fait réfléchir que ceux de Brel. Brel c’était d’une certaine façon de l’esbrouffe, de la séduction, Brel déclenchait la passion que j’interprétais à ma façon comme de la fiction alors que Brassens me suggérait de graves et perturbantes vérités sur l’espèce humaine.

C’est donc une première approche tout à fait personnelle de ce qu’on appelle la chose poétique et qui me sera apporté par l’éducation, la culture, l’école, et la famille.

Mon arrière grand-père, Charles Brunet possédait une collection de livres impressionnante parmi lesquels Victor Hugo remportait le pompon. J’arrivais à peine à les soulever tant ils étaient lourds avec leurs épaisses reliures de cuir. Ils n’étaient pas non plus pratiques à lire et surtout jamais au lit. Car c’est au lit que j’ai passé une grande partie de ma vie enfantine, une fois l’extinction des feux annoncée par ma mère. J’allumais ma lampe de poche et me confectionnant une sorte de tipi avec un polochon je pouvais lire tout mon saoul en cachette des illustrés, des livres de poche, mais jamais ces gros in quarto.

La poésie c’est un peu comme un foyer dont on ne cesse de s’éloigner que pour mieux y revenir. Un laboratoire où l’on observe comment l’espoir se meut en déception, en colère, puis dans ce sentiment étrange qui semble être le diapason correct nécessaire à l’accordage.

En terminale j’ai lu lettre à un jeune poète de Rilke et j’ai cru tout comprendre et m’ennuyer. Ce qui évidemment était prétentieux comme on l’est à 16 ou 17 ans. Le fait est que je n’ai jamais relu Rilke tant son discours à cette époque avait mis en relief mon inaptitude à écrire. Je n’avais rien pour arriver à aligner deux lignes poétiques. D’ailleurs je ne comprenais pas du tout ce qu’était la poésie, je ne le comprends pas plus aujourd’hui. Je veux dire que je me garderais bien de faire un discours sur le sujet.

Je n’ai pas grand chose d’autre que des impressions dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres d’ailleurs et je ne peux que deviner que tout ce qui m’est cher en particulier peinera à toucher le général.

Ces impressions poétiques me viennent aussi de cette enfance passée dans le bourbonnais, de la solitude pesante comme une chape de plomb mélangée d’une formidable dose d’ennui, de désœuvrement dans les moments où je pouvais m’enfuir pour échapper à l’interminable liste de corvées que mon père m’énonçait en début de semaine.

J’ai cette image de ressort que l’on compresse durant 5 ou 6 jours puis qui soudain se détend et qui fait jaillir le spectre de l’ennui d’un champs de luzerne, du bleu des collines et du ciel. L’ennui et certainement quelque chose d’autre dans laquelle se dissimule la poésie.

A ces moments de liberté je ne pensais pas à autre chose qu’à courir vers la foret pour m’y enfouir la plupart du temps. J’enlaçais un arbre et je restais comme ça pour me recharger en courage et en espérances folles.

Qui a dit que la poésie ne se trouve que dans les livres ? Ce sentiment d’étrangeté à condition qu’on ait le temps pour y porter une attention, on peut bien le retrouver partout, et souvent dans le menu bien plus que dans le sensationnel. C’est cette partie de soi silencieuse, rétive à la fois à la pensée et aux émotions faciles qui peut l’accueillir dans une sorte d’écho de profondeur à la profondeur ou du léger à la légèreté.

Cependant que c’est une autre chose que d’éprouver cette sensation d’étrangeté et de vouloir se mêler de la mettre en mots. Car à vouloir la capturer ainsi les phrases, les mots ne font qu’encercler du vide. Elle s’échappe en repérant illico la mauvaise intention.

Lire de la poésie cela demande du temps sans doute mais pas à lire. Du temps à vivre avant tout pour se retrouver la chair bien à nue et le cœur débarrassé de sa patine en toc.

Parce qu’on peut se leurrer à lire de la poésie en étant vierge de tout, je veux dire si évidemment on la lit par intérêt, pour tromper ou se tromper de but.

Il n’y a aucun but à lire de la poésie, comme il n’y a aucun but à l’aimer. C’est ce qui est parfois difficile d’admettre dans une époque où tout semble orienté vers une finalité.

Il n’y a pas de finalité autre que celle de vivre si je pousse plus loin le raisonnement. C’est sans finalité que naît la poésie lorsque tous les buts se sont évanouis, lorsque l’être s’extirpe de l’avoir.

Ferais je une liste de tous les poètes que j’ai aimés ? à quoi cela servirait-il du reste puisque les frontières sont parfois floues entre poésie et prose toujours en ce qui me concerne.

Je pourrais dire qu’un des plus grands poètes que j’admire aujourd’hui est Raymond Carver par exemple tant il produit d’effets d’effondrement, de vertige, dans la plus banale de ses nouvelles. Je peux dire que Pessoa m’a tenu en haleine jusqu’à la trentaine environ avant que l’admiration ne se métamorphose en compassion, puis au final comme il se doit en une indifférence vitale pour me dégager totalement de son attraction morbide.

Pourquoi est ce qu’on lit de la poésie, il faut garder la question vive. Si c’est juste pour pouvoir placer une référence entre une poire et un bout de fromage dans un repas mondain ça ne vaut vraiment pas la peine. Car ça demande un peu de peine si on veut s’élever au dessus du superficiel ce serait ballot d’y revenir par un biais.

La poésie c’est vrai ça console quand tout va mal mais ça ne vaut jamais autant qu’un bon coup de pied au cul pour continuer d’avancer dans la vie.

C’est à peu près cela que je me suis dit entre 30 et 40 ans en prétextant avoir un tas d’autres choses plus importantes à faire.

Comme je disais on y revient, on finit toujours par y revenir, avec un autre cœur, avec un autre regard, est ce que ce seront les bons ? par contre, on ne le sait pas, ça change tout le temps.

Par quoi commencer avec la poésie ? Aujourd’hui je dirais aussi en se souvenant, en revisitant tous les moments où le banal l’emporte sur l’extraordinaire. toutes ces rencontres tous ces moments délaissés parce qu’on imaginait qu’il y avait autre chose à dire à faire au lieu d’être là tout simplement.

La poésie c’est se souvenir d’être là, sans s’attarder de trop à y rester.

Pour continuer

Carnets | Purgatoire

Écriture et dépendance

La dive bouteille de Rabelais. Reçu hier un e-mail bizarre, mais qu'est-ce qui ne l'est pas dans ces mondes virtuels. Le compagnon d'une abonnée me demandant fort poliment d'ailleurs de bien vouloir faire le nécessaire pour qu'elle ne reçoive plus mes billets dans sa boîte à lettres. Elle n'irait pas très bien, et toute source d'excitation devant être évitée. notamment tout ce qui touche aux ateliers d'écriture, l'en préserver. Du coup cela me fait réfléchir ce matin sur les dépendances, car on peut tout autant évoquer celles-ci pour la plupart des activités produites en état de transe, et dont le but premier serait l'évasion dans une satisfaction rapide, souvent désolante. personnellement je serais assez tenté de placer l'écriture au meme degré que l'alcool, le tabac, la masturbation, la pratique compulsive du sexe, celle-ci valant tout autant que la marche effrénée sans oublier la lecture. Pour avoir pratiqué le plus assidûment tout cela jusqu'au dégoût de soi et des autres il me semble honnête de déclarer que je suis parmi tous les hommes l'un des plus à même d'en parler sans passion excessive, d'une façon mesurée. Maintenant si c'est une chose de comprendre la dépendance, c'est autre chose d'en faire quelque chose d'utile. Le terme dépendance indique qu'on perd le discernement en même temps qu'une idée de liberté. Mais de quel discernement, de quelle liberté est-il question. Il me semble qu'on entre en dépendance comme jadis les chevaliers de la table ronde entraient dans une quête du Graal. C'est une initiation ni plus ni moins. Sur la route on y rencontrera autant de sorciers, de mages, de dragons que dans les vieux contes ; le happy-end n'est pas si souvent happy que ça il vaut mieux le savoir ; on y perd beaucoup plus qu'on y gagne selon les critères du siècle en matière de gain et de perte évidemment. car sous l'idée de toute dépendance se dissimule un combat inégal la plupart du temps, à proportion de l'orgueil, de l'obstination de celle ou celui qui s'y engage puis s'y livre corps et âme. Il faut parfois aller jusqu'à l'âme pour bien comprendre, pour sentir toute l'ineptie qui fonde cette quête absurde, vue de l'extérieur. Cette dépendance n'est qu'un instrument, un véhicule destiné à conduire vers l'espoir d'épuisement du désir autant que celui-ci est perpétuellement insatisfait, et de plus, approcherait-on ne serait-ce qu'un peu de la peur d'être satisfait, que l'on s'en détournerait aussitôt en s'engouffrant, par la répétition d'un processus , repris quasi systématiquement depuis sa propre origine, c'est à dire par la réinstallation des éléments d'un rituel. C'est à dire aussi par une négation du temps profane. s'imposer en douce un temps sacré. Encore que sacré et profane sont des termes ronflants désormais, mais j'imagine que ce sont les plus proches de l'idée que je désire développer. Ce n'est sans doute ni l'écriture, ni les livres, pas plus que la bouteille, le tabac, le phallus ou la vulve les responsables des dépendances dans lesquelles on s'engage, mais simplement cette volonté de s'engager quand toute autre volonté nous aura abandonné. De s'engager dans l'inconnu par fatigue de ce que l'on croit toujours connaître ou re connaître et dont la meilleure définition s'approche de celle de l'ennui. La dépendance et l'ennui, crées par la prétention, l'orgueil, en tant que maladies, nous auront entraîné à circonscrire le monde ou la réalité dans une collection d'objets de désirs dont il ne reste plus que ruines. A ce titre la ruine symbolise néanmoins une présence indéfinissable. L'indéfinissable surgit de façon propice au moment même où la ruine devient évidente, ou l'absence se retrouve soudain en pleine lumière dépourvue d'écrin. Épuiser la dépendance, épuiser la manie, épuiser l'obsession, la prétention, l'orgueil, l'ineptie, la bêtise, n'est donc pas si fou que cela puisse paraître de prime abord. C'est fastidieux, c'est surtout en cela que beaucoup y renonceront. C'est à dire que pour chasser un type d'ennui il faudra le remplacer par de nombreux autres jusqu'au moment où l'on comprendra que tous les ennuis n'ont qu'une seule et même source, un désir insatiable dont on ne peut tirer aucun plaisir véritable- au sens bien sûr du mot plaisir de l'époque et qui se confond avec jouissance et, avec cette torsion évidemment, que sont l'intérêt et le profit. La dépendance en fin de course n'est-elle pas contre toute attente un acte de résistance inédit. Toute une geste au sens de ces vieux récits d'autrefois qui lutte contre une définition obsolète du plaisir -Le fameux dragon- liée à l'hypocrisie de nos sociétés déshumanisées. Je fais semblant de me le demander.|couper{180}

Carnets | Purgatoire

Peinture et poésie

Je m’aperçois que je lis de plus en plus de poésie depuis que j’ai créé ce blogue WordPress. Je ne vais pas citer les noms, car beaucoup ont du talent. Enfin pas maintenant, pas aujourd’hui, parce que j’essaie de ne pas perdre le fil de ce que je veux dire. Je voulais juste dire qu’on apprend beaucoup sur la peinture en lisant de la poésie. On sent tout de suite ce qui sonne juste et, hélas, parfois aussi les petits couacs. Encore que le couac peut être éminemment poétique s’il est placé au bon moment, au bon endroit… exactement comme une touche de jaune ou de rouge vif ! Il y a, dans tout ce que je lis, plusieurs catégories que j’affectionne. La première est la poésie écrite avec les mots les plus simples. Une poésie qu’un enfant pourrait lire et comprendre. La seconde, mais qui peut se confondre avec la première, est la poésie à trous… je marche et, soudain, slurp, mon pied s’enfonce, puis le corps tout entier : c’est un trou. Ce n’est pas du tout désagréable… il faut accepter le trou comme la découverte d’une vulnérabilité inédite. Une troisième ? Les oracles et Sibylles, là où je sais immédiatement qu’il n’y a rien à comprendre, mais se laisser porter par le sens sonore des mots, souvent bien plus efficaces, les fulgurances. De Staël disait qu’il y avait deux sortes de fulgurances en peinture : celle de l’autorité et celle de l’hésitation… je suis tout à fait d’accord, et ça vaut pour la poésie également. En lisant de la poésie, j’ai le sentiment parfois aussi de m’améliorer en maths, ce qui est une conséquence inouïe vu mon épaisseur dans le domaine. Transmettre une sensation avec peu de choses, presque rien, c’est d’une élégance… celle qui m’échappe, évidemment ! Tout comme mes crises de sobriété en peinture, en général, finissent mal. C’est juste une note en passant : j’ai voyagé depuis tôt le matin pour aller décrocher mon expo dans le Jura… donc je n’ai pas vraiment eu ma dose de mots. Et puis ce n’est pas mon heure non plus ; en fait, c’est une drôle de journée, un voyage blanc. Pourtant, je suis persuadé que j’ai regardé le paysage, le poids du blanc, avec une acuité et une vacuité réunies, et ceci est certainement le fruit de mes lectures poétiques. Emmitouflé de poésie : un beau voyage !|couper{180}

Peinture et poésie

Carnets | Purgatoire

Aspirer à la quiétude

Aspirer à la quiétude est souvent le meilleur chemin pour entrer dans l’agitation. Parce que l’agitation est le socle, ce socle qui nous échappe autant qu’on désire lui échapper. Voir l’agitation, se mêler totalement à celle-ci, demande autre chose que du courage ou de la folie. Cependant, il faut souvent tenter ces deux voies avant de saisir qu’elles ne fonctionnent pas. Voir l’agitation demande d’être humble, de perdre cette notion d’importance de soi à laquelle on s’accroche sans arrêt. Si je n’ai pas d’importance, si je ne suis pas grand-chose, si je ne suis presque rien, je peux pénétrer dans l’agitation comme une souris dans un immense palais et ainsi l’observer tout entier à ma guise, de la cave au grenier. La difficulté n’est pas l’agitation, la difficulté est de devenir une petite souris, surtout lorsqu’on imagine être un lion.|couper{180}