faux-moteur
articles associés
fictions
oscar
Elle a décroché le squelette de la potence, puis elle a réglé les lumières. Je n'arrive plus à me souvenir si elle était nue au moment où elle s'est allongée près de ce pantin désarticulé. Ça aurait pu être moi j'ai tout de suite pensé. J'ai essayé de chasser cette idée de mon esprit , mais ça revenait par bouffées. Ensuite ce fut un enchaînement de gestes techniques : regarder dans le viseur, régler la mise au point, appuyer sur le déclencheur. Des gestes anodins. Mais depuis, quelque chose ne pourra jamais plus être comme avant. Il fallait que je parte. J'ai commencé à y penser par petites bribes. C'était difficile parce que j'avais pris des habitudes, peut-être m'étais-je habitué à un certain confort. Si je partais, j'allais perdre quelque chose dont je ne parvenais pas à définir vraiment le nom. Et plus je m'acharnais à tenter de trouver ce mot, plus d'autres mots parasites s'amenaient comme pour m'empécher de plus en plus de le trouver. Ridicule, comme d'habitude fut le mot auquel je décidai de m'accrocher. Grotesque était aussi assez présent. J'aurais aussi pu me laisser aller au chagrin si ce chagrin ne m'était pas aussitôt apparu ridicule et grotesque. Si le ridicule et le grotesque n'avaient pas immédiatement dévoré mon chagrin. Maintenant, elle était là, dans le viseur allongée nue, le corps emmếlé avec ce squelette. On devait l'appeler Oscar comme tous les squelettes que j'avais un jour connus. D'une certaine manière, elle baisait avec Oscar sur l'écran de l'appareil. Elle baisait avec la mort, elle me baisait aussi d'une autre façon. J'ai embrasser toute la scène d'un seul regard puis j'ai appuyé sur le déclencheur. En fait cette version "combat de sorciers "est probablement enfantine, c'est une manière de botter en touche probablement encore. Transformer cette femme en sorcière est une facilité tout comme dire que je suis capable à cet instant d'être moi aussi aussi "malin" et renvoyer un contre-sort, c'est puéril. La vérité est que cette femme s'est sentie rejetée, nous ne faisions plus l'amour depuis plusieurs semaines, alors que notre histoire était assez récente. Mais j'avais tellement de soucis en tête à cette époque de ma vie, parmi ceux-ci l'écriture déjà, le fait surtout que je ne parvienne pas à écrire réellement, mon impuissance à écrire débordait sur ma vie toute entière. je ne pensais plus qu'à cela il n'y avait plus de place pour rien d'autre.... Elle a décroché Oscar. Pas comme une sorcière, mais comme une femme qui cherche désespérément un langage que je comprendrais peut-être. Quand elle s'est allongée nue contre les os, ce n'était pas un rituel magique. C'était la seule chose qui lui restait pour me dire : « Regarde-moi. Je suis encore là. » Mais moi, j'étais déjà parti. Pas dans la mort, mais dans l'écriture. Mes angoisses formaient une chape de plomb entre sa peau et mes yeux. Dans le viseur, j'ai vu une scène étrange. Je n'ai pas vu une femme qui criait que mon silence la tuait à petit feu. Le déclic de l'appareil a couvert le bruit de quelque chose qui se brisait. Le ridicule, le grotesque – des mots commodes pour ne pas nommer l'indicible : « Je préfère mes phrases à ton corps. » Je n'écrivais pas. Je fuyais. Mes personnages n'étaient pas des compagnons, mais des cachettes. Quand elle s'est allongée avec Oscar, elle ne savait pas qu'elle posait avec le vrai squelette : celui de ma capacité à être présent. Mon appareil photo était une machine à mettre de la distance entre le monde et moi. Chaque clic était un clou dans le cercueil de quelque chose que je n'arrivais plus à nommer. L'écriture n'était pas mon exigence - elle était mon bouclier contre l'exigence de vivre. Le ridicule, le grotesque ? Des noms polis pour nommer l'impuissance. Maintenant, vingt ans après, je dois l'admettre : je préférais écrire sur l'amour que d'aimer. Je préférais décrire la vie que la vivre. Cette femme ne demandait pas que je l'aime. Elle demandait que j'existe en face d'elle. Et ça, ça me terrifiait plus que la mort.|couper{180}
Carnets | avril 2025
Faux départs
Il arrive qu’un geste, une décision, un élan semblent lancer une action. Mais ce n’est pas de là que l’histoire part. Le personnage agit — ou croit agir — puis quelque chose se dérobe. C’est ce qu’on appelle un faux moteur : un déclencheur qui n’entraîne rien. Ou plutôt : un déclencheur qui déplace tout, mais autrement. Voici cinq microfictions dans cette zone de glissement, de suspension. 1. Le sac Il avait pris ce sac pour partir quelques jours. Mais en arrivant à la gare, il n’a pas su quelle direction prendre. Il s’est assis sur un banc. Puis il est rentré chez lui, sans rien défaire. Le sac est resté posé là, prêt, pendant des semaines. 2. La fenêtre Il s’était levé pour aérer. Mais il est resté devant, à regarder dehors. La fenêtre est restée fermée. C’est l’intérieur qui a changé. 3. La photo Il voulait trier les images. Faire de la place, organiser, supprimer. Il est tombé sur celle-là — une banale, presque floue. Il ne l’a pas supprimée. Il n’en a supprimé aucune. 4. L’agenda Il avait noté l’heure, le lieu, les détails. Tout était prêt pour s’y rendre. Mais à l’heure dite, il est resté à sa table. Il a juste barré le rendez-vous, sans explication. 5. Le pantalon Il l’a mis exprès. Celui qu’il ne sort que pour les grandes occasions. Il a bu un café, rangé deux papiers, ouvert la porte. Puis il l’a refermée, lentement. Il s’est changé. Il n’est pas sorti. Texte issu d’un travail sur les “faux moteurs” narratifs, dans une approche inspirée par John Truby, détournée à la manière de Malt Olbren : l’action comme illusion, la mise en mouvement comme simple variation d’attente.|couper{180}